Continuons dans les décasyllabes épiques, le mètre de l’épopée ; tant il est vrai que cette légende, publiée autrement, dans une forme plus stable, est faite pour ces variations.

OUI C’ÉTAIT LUI      QU’AVAIT ÉLU LA TERRE,

POUR LE PREMIER      L’ATTEINDRE ET L’AVERTIR.

CE FUT UN SAUT,      UN SEUL SUSPENS DU TEMPS ;

MAIS IL SUFFIT ;      SES YEUX SE DÉCILLÈRENT,

ET LUI REVINRENT      RAISON ET SOUVENIRS ;

LUI QUI RÊVAIT      ET QUE RIVAIT LE RÊVE

À SON OUBLI,      LUI EN FUT ÉBLOUI.

CAR C’ÉTAIT LUI      QU’AVAIT CHOISI LA TERRE

POUR QU’A ELIAS      ENFIN S’OFFRIT LA ROUTE ;

CAR SI LES HOMMES      ÉTAIENT FOUS ET DIVERS,

ET OUBLIAIENT      SOUS LEURS PIEDS LEURS HIERS,

ELLE LA TERRE      SAVAIT TOUT DANS SES FLANCS,

OU CHAQUE MOT,      CHAQUE GESTE S’ENTEND ;

TOUT Y ÉTAIT      DEPUIS TOUJOURS, EN TOUT

REDESCENDU ;      SI BIEN QUE L’ON EÛT DIT

QUE TOUT LE SOL      ÉTAIT TOUTE UNE OREILLE,

OU UN SEUL ŒIL      CAR C’EST LÀ TOUT PAREIL ;

ELLE IGNORAIT      SEULEMENT DANS LES HOMMES

QU’ILS AIENT PENSÉ ;      ILS L’IGNORAIENT AUSSI.

MAIS IL ÉTAIT      DEPUIS UN SOL LOINTAIN ,

ET CEINT DE NEIGE,      EN UN PALAIS OBSCUR,

AUPRÈS DU BERG,      LE MONT GÉANT ET PUR,

L’ÊTRE DE GLACE,      DE DISTANCE ET DE BLANC,

IL EN ÉTAIT      UN SEUL PARMI LES HOMMES,

QUI SAVAIT BIEN,      DE TOUT ET TOUS, LE SORT.

SUR SON FAUTEUIL,      DANS SES MAINS UN BÂTON,

IL AVAIT DIT      ET RÉPÉTÉ AU MONDE –

ET LÀ JE NOMME      TOUTE LA FOULE D’HOMMES

QUI S’EST TROUVÉE      SAISIE COMME UNE SOMME,

QUE LES NAÏFS      DISENT « L’HUMANITÉ »,

IL AVAIT DIT :      « OUBLIEZ ! OUBLIEZ ! »

ET L’HOMME A FAIT      CE QU’IL A ORDONNÉ.

ET CHAQUE GESTE,      ALORS, ABANDONNÉ,

LENTEMENT TOMBE      SUR LE SOL ; CAR IL EST ;

JUSQU’AU MOMENT      OU LE SOL L’A MANGÉ.

LE CRIME : ENFOUI ;      LE TEMPS PASSE : ENGRAIS ;

LE GLAIVE SALE,      LE CORPS DÉCHIQUETÉ,

LE JUGE, LE MAL,      LA VICTIME, LE TÉMOIN,

TOUT S’EST MUE      ET S’EST MÊLÉ DANS L’UN,

DANS UN SEUL ŒIL      QUI DORT ET N’EST PLUS RIEN.

MAIS C’EST UN SONGE      ET C’EST UNE FICTION,

QUE TOUT RETOMBE      ET QUE LA TOUT S’OUBLIE ;

QUE SUR LE TEMPLE      AIT POUSSÉ UNE ÉGLISE,

ET PUIS UN TEMPLE      ENCORE, OU UNE BANQUE,

OU BIEN ENCORE      UN TROU OÙ TOUT SE MANQUE,

C’EST UN MENSONGE      DE LES CROIRE UN HUMUS,

CEUX QUI DESSOUS      NE REPOUSSERONT PLUS :

CAR ELLE SAIT,      ELLE ENREGISTRE ET TIENT,

DANS SON GRAND ŒIL      OU DANS SA GRANDE OREILLE,

TOUT LE REGISTRE      DE TOUT CELA QUI FUT,

ET QUI SE TIENT      DANS SES FLANCS, EN MAGMA,

CE QUI EST DIRE      UN AVENIR QUI VA.

ALORS SOUDAIN      QUAND IL VIT LA COLONNE,

QUI REMONTAIT      DE CE PUITS DE L’OUBLI,

IL EN BUT L’EAU      ET S’ÉVEILLA L’ESPRIT :

PUIS IL PLEURA      CAR LA TERRE EST SUBTILE,

ET POUR L’AIDER      A GOÛTER SA VISION,

ELLE A GRONDÉ EN MAîTRISANT LE SON :

BUTE A PLEURÉ,      QUI ENTENDIT SON PÈRE,

QUI LUI PARLAIT      DEPUIS L’OMBRE ET LA TOMBE.

APRÈS CELA,      TOUT SEMBLA RETOMBER,

MAIS LUI ALORS,      POUR TOUJOURS ÉVEILLÉ,

OUVRIT ENFIN      LA LETTRE QUI VEILLAIT,

DEPUIS QU’UN JOUR      LE VIEIL HOMME ÉTAIT MORT ;

ET QUE SANS DIRE,      SANS PENSER NI PÂTIR,

IL AVAIT PRIS      DE SES GRANDES MAINS FROIDES,

LA LETTRE CLOSE      QU’IL LUI DONNAIT À LIRE ;

CAR EN CE JOUR      OÙ TOUT ÉTAIT DICTÉ,

IL AVAIT SU      QU’IL NE DEVAIT L’OUVRIR.

MAIS IL AVAIT      DÉJÀ LA NUQUE ROIDE,

ET N’AVAIT PAS      BRÛLÉ LE TESTAMENT

QUE LE VIEUX PÈRE      AVAIT DIT EN MOURANT.

CE FUT CE JOUR,      PEUT-ÊTRE, TOUT PREMIER,

QU’UN HOMME AVAIT      CONTRARIÉ LA DICTÉE ;

NON QU’IL AIT LU,      NON QU’IL AIT MAINTENU

CETTE PAROLE      QUI DEVAIT ÊTRE TUE ;

MAIS IL GARDA      CETTE LETTRE ET S’ENFOUIT,

DANS UNE CHAMBRE      OBSCURE DANS LA VILLE,

ET SE TERRA,      LÀ, FLOTTA ET RÊVA,

ET LÀ ERRA,      SANS SAVOIR NI COMPRENDRE ;

LE TEMPS PASSAIT,      ET LES DICTÉES DE FEU,

SE CONTINUAIENT      SANS QUE NUL PUT ENTENDRE

D’OÙ LEUR VENAIENT      LA FORCE QUI MENAIT

LEUR PAS, LEURS GESTES,      ET QUI MÊME ÉTAIENT LIBRES !

MAIS QUAND LA TERRE      AVAIT D’UN COURT DÉLIRE

SOULEVÉ, LÀ,      FACE A LUI, SA MATIÈRE,

IL S’ÉVEILLA      PUIS IL OUVRIT LA LETTRE,

ET PUIS IL LUT.      ET SON PÈRE DISAIT,

UN HOMME ILLUSTRE      ET GRAND PAR LA MUSIQUE,

QU’IL N’AVAIT PLUS      DANS L’ESPRIT OU LES TEMPES,

NUL AIR, NUL SOUFFLE      QUI LUI MONTAIT POUR NAÎTRE ;

 

CAR LÀ, UN JOUR,      IL FUT AVEC SA FEMME,

À LA MONTAGNE,      DANS L’OBSCUR SCHÖNEBERG,

QUE COUVRE ET MASQUE      LE FLANC PARFAIT DU BERG.

LÀ-BAS IL SUT,      ET SA FEMME SE TUT :

ON LE TUA ;      ET SUR SA LANDE OBSCURE,

EN SON ÉCOSSE      IL REVINT LA PLEURER :

« REFAIS, MON FILS,      MON HORRIBLE AVENTURE ! »