Voici le chant troisième, où l’on raconte le Dicteur, terrible maître des âmes, sur son perchoir du Berg…
AINSI FIT-IL, ET QUAND IL VIT LE BERG,
IL DIT : « JAMAIS NOUS NE POURRONS LE VAINCRE! »
ET IL DIT LÀ, LUCIDE ET PROPHÉTIQUE
UN AVENIR ; MAIS IL GRAVIT LA PENTE,
ET LE CHAOS DES SÉRACS ET DES POINTES –
CAR LE GLACIER EN UN POINT RESPIRAIT ;
IL APPROCHA ET VIT UN FILET D’AIR,
PARFUMÉ, TIÈDE QUI SOUFFLAIT SA FUMÉE
COMME UN FOYER ; CAR C’ÉTAIT LÀ QU’ÉLIAS,
– QUE BÉNIES SOIENT SA MÉMOIRE ET SA GRÂCE –
DEPUIS MILLE ANS, PRÉSERVÉ DANS LA GLACE,
DE TOUTE PIOCHE ET GARDÉ EN MYSTÈRE.
IL NE LE SUT, MAIS DÉVALANT LA PENTE,
IL RETOURNA SUR SA TERRE D’ENFANCE,
DU NOM DE BUTE OÙ DORT SON VIEUX CHÂTEAU,
DANS LES BRUYÈRES, LA LANDE AUPRÈS DE L’EAU,
SOUS LES CORTÈGES SANS FIN DES GRANDS NUAGES,
QUI DE CE MONDE PRÉDISENT LE NAUFRAGE.
ET LÀ ENCORE, PAR TROIS FOIS AVERTI,
TROIS FOIS CHOISI ET TROIS FOIS RÉVEILLÉ,
IL VIT ENCORE LA COLONNE MONTER
QUI DIT LE NOM DES TROIS HOMMES DU MONDE,
CES TROIS QUI VONT ACHETER TOUS LES TEMPS ;
ELIAS, ET PUHR, ET LAMAËL ; TROIS NOMS
QUI S’EN VONT NAÎTRE ; IL CHOÎT, PERDU, FOURBU,
LAS, DÉSARMÉ ; « OUI, CERTES, IL FAUT CHANTER,
CE QUE J’AI VU N’EST PAS EN VAIN VENU !
MAIS DE TROIS NOMS, COMMENT DIRE LE MONDE ?
OU BIEN VEUT-ON QUE J’IMAGINE UN CONTE ?
ET DANS LE CIEL PASSENT LES GRANDS VAISSEAUX,
NOIRS, ET SI TRISTES, DES NUAGES-SANGLOTS,
DES VOYAGEURS CÉLESTES QUI EMPORTENT
TOUTE LA PLUIE, LA NEIGE ET LA RÉVOLTE ;
« DOIS-JE L’ÉCRIRE, LE CONTE DES NUAGES ? »
ET LAISSONS-LE, QUAND IL SONDE SON RÊVE,
ET POUR LE TEMPS QUE MONTE EN LUI LE SENS,
LAISSONS LE PAIN LEVER CAR SOUS LE BERG
SONT D’AUTRES PIÈGES ET VONT D’AUTRES TÉNÈBRES ;
ALLONS, FILONS COMME LUMIÈRE ESPIONNE
COMME UN SEUL TRAIT DANS LA POIX ET L’ANGOISSE,
FILONS, NAGEONS DANS LE MAL QUI FOISONNE :
A SCHÖNEBERG OÙ TOUTE VIE TRÉPASSE !
C’EST UNE ROUTE OÙ COMME SE DÉHANCHE
UN PAN DU MONT AVEC MORGUE ET OUTRANCE ;
DEPUIS LONGTEMPS DÉJÀ LA ROUTE EST CLOSE,
FERMÉE, PROSCRITE ET PIÉGÉE POUR QUI OSE
S’AVENTURER OÙ LES BERGER ONT DIT :
« QUI VIENT SE TUE ET QUI RESTE EST MAUDIT ! »
POURQUOI PLUS LOIN LA ROUTE TOURNE ENCORE,
NEUVE ET LUISANTE EN DES LACETS FLEURIS ;
DEPUIS UN TEMPS DÉJÀ ON VOIT DE L’OR,
AU LOIN ; IL POINTE, LE CLOCHER DU VILLAGE !
QU’IL EST BRILLANT, QU’IL EST TYPIQUE ET SAGE !
LÀ LES FOUGÈRES ET D’AUTRES FEUILLES FOLLES
MONTENT, GRANDISSENT ET FONT À L’AVENUE
UNE TOITURE IMPÉNÉTRABLE ET SÛRE ;
NOUS ARRIVONS OÙ GRAVITE LE MONDE.
C’EST UNE RUE, – ET C’EST LA ROUTE ENCORE !
BRÈVE ET DÉÇUE… ET C’EST LÀ MÊME PIRE
QUE TOUT L’ENFER QU’IL FAUDRAIT PARCOURIR ;
CAR CE N’EST RIEN ; UNE ROUTE QUI MONTE,
ESCORTÉE LÀ ET LÀ DE VINGTS CHALETS,
SANS RIEN QUI VAILLE QU’ON TREMBLE OU QU’ON TRÉPASSE !
RIEN QU’UNE ROUTE ; UN TRAIT SUR LE MONDE,
UN PEU D’ENNUI, DE L’ESPACE PARFAIT ;
LÀ LE DICTEUR DEPUIS MILLE ANS MAUDITS
A ORDONNÉ AUX HOMMES ASSEMBLÉS
ET COMPLAISANTS DANS LE PUITS DE LEUR CŒUR
(CAR TOUS ENTENDENT : TOUTE « L’HUMANITÉ »
PEUT SE TROUVER EN SECRET EN LIEU CLOS,
SANS QU’AIENT BOUGÉ LES CORPS, MÊME LES CŒURS !)
A ORDONNÉ LE COURS DE TOUTE VIE !
IL EST MIDI, L’ASSEMBLÉE DES BERGER
EST DANS LE TEMPLE, CAR NOUS SOMMES DIMANCHE,
ET LE PASTEUR, DES FLAMMES DANS LES YEUX,
DU RÊVE AUSSI, SOUS LES REGARDS HAINEUX
QUI LE FOUDROIENT ET LE VOUENT À SE PENDRE
CHANTE SA PEINE À SES OUAILLES TERRIBLES !
CAR LUI N’EST PAS DU COMPTE DES BERGER
QUI SONT DIX-NEUF ET UN, DEPUIS MILLE ANS ;
IL EST D’AILLEURS ET DONC IL EST MAUDIT ;
CAR IL LEUR FAUT QUELQUE AUTRE POUR LA CIBLE –
SANS QUOI SUR QUI SUR QUI COMMENT VISER ?
DANS LES MAISONS, PENDANT LE LONG SERMON,
CLAPOTE UN PEU LE FROMAGE AU CHAUDRON ;
MÊME POUR QUI DÉVORERA LE MONDE,
UNE FONDUE RÉJOUIT L’ÂME ET LE VENTRE !
DEHORS, LA RUE, ET DEDANS, LES MURS VIDES,
TOUT SE RETIENT ET TOUT DANS SOI SE RENTRE ;
LA SÈVE AUX ARBRES A PEUR DE CES BERGER,
ET VOUDRAIT BIEN QU’IL FAILLE ALLER SOUS TERRE
PLUTÔT QU’OFFRIR SA FORME DANS LES AIRS !
LÀ, UN RENARD A DES YEUX DE DÉMENT ;
L’OISEAU SE TAIT, L’HERBE GÈLE ET POURTANT
IL PLEUT, IL PLEUT, ET L’EAU HÉSITE À CHOIR !
ET LE PASTEUR SINCÈRE LEUR DIT TOUT ;
LEUR DIT SON RÊVE ET SON GRAND DÉSESPOIR ;
DANS LEURS PRUNELLES SE RÉGALE UN PLAISIR :
ET LES BERGER VONT DÉVORER ET RIRE !