Laurent David Samama, Pourquoi la sélection brésilienne joue-t-elle en jaune? - La Règle du Jeu - Littérature, Philosophie, Politique, Arts

Au même titre que la musique de Chico Buarque ou la statue du Christ Redempteur, le maillot de la sélection brésilienne constitue un élément premier de l’imaginaire brésilien. Principalement jaune (parfois agrémenté de détails de couleur verte), à col rond ou col en V, la liquette est devenue, aux yeux des fans, un synonyme de Joga Bonito, la promesse d’un football samba, de feintes agiles et de dribble chaloupés. Avec les années et les exploits auriverde, le maillot brésilien s’est ainsi imposé comme une antithèse ensoleillée aux bleus italiens et français ou à ce blanc immaculé porté par les allemand et les anglais. Dans un article publié dans le New Yorker[1], l’écrivain Jon Michaud retrace l’histoire de ce maillot. Il prévient d’emblée : « Il s’agit du symbole par excellence du football brésilien et de l’identité brésilienne elle-même. Un maillot jaune canari porté par la sélection nationale et par des millions de supporters autour du globe. »
Jusqu’en 1950, un maillot blanc, bien loin du populaire amarelinha… Popularisé par les publicités spectaculaires de l’équipementier Nike (sponsor de la Seleçao depuis 1996), le maillot brésilien n’a pas toujours été celui que l’on connaît. De 1930, date de la première Coupe du Monde en Uruguay, à 1950, date de la première Coupe du Monde disputée en terre brésilienne, la Seleçao jouait en blanc et bleu avec l’écusson de la fédération brésilienne flanqué sur le cœur. Comme le montre une très bonne infographie mise en ligne sur le site du quotidien britannique The Guardian[2], ce n’est qu’à l’occasion de la Coupe du Monde 1954, disputée en Suisse, que l’on vit les joueurs brésiliens en jaune. Pourquoi ce changement soudain ? Qu’a t-il bien pu se passer pour que la fédération brésilienne change subitement les couleurs de son maillot ? Pour le comprendre, il faut revenir à la Coupe du Monde 1950 jouée au Brésil. Après avoir écrasé la Suède 7-1 puis l’Espagne 6-1, c’est tout un pays qui s’attend à voir ses footballeurs sacrés, à domicile qui plus est. Sur le front de l’attaque, les bondissants Ademir et Chico font des merveilles. Le 16 juillet 1950, dans un stade du Maracana rempli à ras bord (173 850 personnes se trouvent massées dans cette cathédrale de béton), les joueurs de l’entraineur Flavio Costa rencontrent l’Uruguay. Sur de lui, le Brésil est certain de triompher, d’ailleurs les locaux marquent les premiers par l’intermédiaire de Friaça. La foule exulte ! Mais l’euphorie ne dure qu’un temps… A la soixante-sixième minute, l’Uruguay égalise par l’intermédiaire de Juan Alberto Schiaffino. A la 79ème, lorsque l’ailier du CA Penarol aggrave le score, c’est la stupeur. Le Maracana se tait. Il comprend que le Brésil a perdu. Lorsque le coup de sifflet final retentit, on remet la Coupe du Monde au capitaine uruguayen sur le bord du terrain, à la va-vite. Un épisode raconté par l’ancien Président de la FIFA, Jules Rimet, dans son livre « L’extraordinaire histoire de la Coupe du Monde ». « A quelques minutes de la fin du match, alors que le score était encore de 1-1, j’ai abandonné ma place en tribune présidentielle pour préparer les micros. J’ai préféré descendre aux vestiaires tellement il y avait de bruit. En sortant du tunnel, à la place du vacarme de la foule, j’ai entendu un silence de morgue. Il n’y avait pas de garde d’honneur, pas d’hymne national, pas de cérémonie de remise des prix. Je me suis retrouvé tout seul, au milieu de la foule, bousculé de tous les côtés, avec la coupe sous le bras. J’ai quand même réussi à trouver le capitaine uruguayen et je lui ai remis le trophée en cachette. »
Après la défaite de 1950, le besoin d’un maillot plus patriotique. Au lendemain de la défaite vécu comme un véritable drame national, le Brésil cherche des coupables. On maudit le gardien de but malchanceux de la Seleçao, Moacir Barbosa Nascimento, devenu bouc-émissaire de tout un peuple. Jusqu’à sa mort, en 2000, les Brésiliens lui firent payer la défaite… Un destin tragique. Puisque les symboles comptent, le maillot blanc est lui aussi remis en cause. Déclaré insuffisamment patriotique, la fédération brésilienne de football se met rapidement en tête d’organiser un grand concours pour le redessiner. Seul contrainte : utiliser les quatre couleurs du drapeau brésilien, le vert, le jaune, le blanc et le bleu. Dans le livre « Le Foot, Ses maillots, Leurs histoires », les journalistes Franck Duret et Philippe Loirat racontent. « Aldyr Garcia Schlee, un jeune homme de 19 ans, propose un maillot jaune à parements verts, un short bleu et des chaussettes blanches – quasiment comme aujourd’hui- et remporte le concours. C’est en lisant le journal et en voyant un joueur portant sa tenue qu’Aldyr comprend qu’il a gagné. Le lendemain, l’annonce avec son nom est faite de façon officielle. Grâce au concours, il rencontre l’équipe du Brésil au cours d’un séjour à Rio. »
On peut aujourd’hui voir dans les couleurs portées par les auriverde plusieurs symboles : le jaune pour évoquer la richesse minérale du Brésil, en particulier l’or. Le vert pour symboliser l’Amazonie, véritable poumon de la planète. Le bleu pour le fleuve Amazone et le blanc comme un rappel des étoiles présentes sur la bannière nationale. Pour la petite histoire, c’est avec le maillot jaune que la Seleçao remporta ses cinq titres en Coupe du Monde…


[1] http://www.newyorker.com/online/blogs/books/2014/06/the-writer-who-designed-brazils-soccer-uniform.html

[2] http://www.theguardian.com/football/ng-interactive/2014/may/30/-sp-world-cup-kits