Pour une légende qui n’est pas un roman, il fallait au moins des ébauches de rimes. Pour sonner la trompette du commencement de la légende, voici un premier chant en décasyllabes épiques…
ILS ONT CHANTÉ, PROFUS EN LEUR DÉLIRE ;
ILS ONT MARCHÉ, ILS ONT BU ET CONQUIS ;
ILS ONT MANGÉ, ONT BRÛLÉ ET BÂTI ;
PUIS ILS ONT VU ET ILS ONT DÉCHANTÉ.
L’ÂGE ÉTAIT JEUNE, LES VIEILLARDS ÉTAIENT BEAUX ;
ON S’ENCHANTAIT DE MYTHIQUES HIERS,
QUAND SEUL UN JOUR AVAIT COUVERT LE MONDE.
L’ÂGE VIEILLIT ET LES SIÈCLES EN NOMBRE,
FURENT PLUS LOURDS A CHANTER ET CONNAITRE.
LES TEMPS GRINÇAIENT, LES VIEILLARDS ÉTAIENT LAIDS,
ON AURAIT DIT QU’ÉTAIT MONTÉ UN MUR,
DEPUIS LES YEUX, ET LES CŒURS ET LES ÂMES,
JUSQU’AU GRAND MONDE ; MAIS ON NE CHANTAIT PLUS.
ON NE VOULAIT PLUS D’HOMME NI DE FEMME,
DE VRAI NI FAUX, NI D’ENFANT NI DE VIEUX ;
NI S’EN ALLER ; NI POUSSER COMME L’ARBRE
DANS LE MAQUIS DESSÉCHÉ DE LA PAIX ;
ET PAS NON PLUS ON NE VOULAIT LA GUERRE,
CAR LE DÉGOÛT EST UNE GRANDE MER
QUI A NOYÉ LA VIE COMME LA MORT.
QU’ON AIT CHANTÉ ON NE LE CROYAIT PLUS ;
ET L’ON DISAIT : « CAR TOUT S’EST TOUJOURS TU ! »
ET SUR LES GENS, SUR LES MOTS ET LES MONDES,
TOMBA UN SOIR COMME UN DOUTE INCERTAIN,
OU COMME UN VOILE SUR UNE CHAIR OBSCÈNE,
COMME UN SILENCE DANS UN CHANT QUI SE TAIT,
TOMBA LE NOIR DES CIMES AUX PAUPIÈRES.
ALORS LA TERRE ENTRA DANS SA COLÈRE ;
PUIS VINT ÉLIAS, DONT TOUS NOUS SAVONS TOUT.
MAIS IL NE FAUT OUBLIER CEUX QUI ONT,
D’UN LIEU OBSCUR ET D’UN GESTE MODESTE,
MENÉ LEUR PAS DANS LES JAMBES DU MAÎTRE,
ET ONT CHANTÉ SA GESTE ET SA CHANSON.
CAR IL EN VINT, D’ABORD, DEPUIS L’HIVER,
OÙ S’ENDORMAIT LE MONDE EN SON DÉCLIN,
QUI RÉCHAUFFAIT LEUR CORPS AU FEU SÉVÈRE
OU ROUGEOYAIT LA SOURDE SOLITUDE ;
LEUR VOIX CRIAIT ET CRÉPITAIT LEUR FAIM
QUAND ÉTOUFFAIT LA NEIGE ET LA FROIDURE !
ON AURAIT DIT QUE TOUT ÉTAIT PERDU ;
ON AURAIT DIT QU’ON N’ESPÉRERAIT PLUS.
LE CIEL ÉTAIT IDENTIQUE ET AUSTÈRE ;
ON N’Y VOYAIT NI DE VIE NI DE RÊVE.
MAIS IL EN EST DE CEUX-LA QUI DEMANDENT,
ET FONT ENCORE QUAND TOUT ESPOIR EST VAIN
SONNER LES CORDES ET RÉSONNER LE VENTRE,
ET VONT DURCIR LEURS MUSCLES ET LEURS MAINS !
NE SERAIENT-ILS QU’ON LEUR DIRAIT DE NAÎTRE,
TANT IL LES FAUT, COMME IL FAUT UN DEMAIN !
CAR IL EN FAUT QUAND IL N’EST PLUS UN HOMME,
IL EN FAUT UN QUI COMME L’HOMME TIENT !
IL S’APPELAIT JOHN STUART BUTE ; UN HOMME
À TERRE, À NOM, À RÊVE ET À CHANSON.
C’ÉTAIT UN FRÊLE, VENU PAR LES BRUYÈRES,
QUI TOURNOYAIT DANS SES LONGS SOUVENIRS ;
SON NOM SOUFFLAIT SON ÉCOSSE ET SA BISE ;
HORMIS SON NOM, IL ÉTAIT EAU ET SONGE.
MAIS ON DIRA PLUS TARD COMMENT IL VIT,
COMMENT IL PUT ET COMMENT IL VÉCÛT ;
CAR PLUS FRAGILE QU’UN ENFANT DANS LA FIÈVRE,
IL LUI VINT L’AIR QUI REMUA SES LÈVRES,
ET QUI SI DOUX, ET SI SOUPLE ET DISERT,
FIT RETENTIR LES NOTES QUI MENÈRENT,
DEPUIS UN HOMME, À NOMMER LES MISÈRES,
ET LES MENER OU LES NOMMER LIBERE !
QUE CHANTA-T-IL, D’UN JEU DE MOTS EN L’AIR ?
IL DEMANDA : « SUIS-JE LIBRE, OU UN LIVRE ?
SUIS-JE MON PAS OU CETTE TRAÎNÉE D’ENCRE
QUI SUIT MON NOM ET DANS LA PAGE L’ANCRE ?
EST-CE MON SANG OU LE RÊVE D’UN ARBRE,
QUI SAIGNERAIT DU PAPIER QUI LE SABRE ? »
AUCUN AUTRE HOMME N’AURAIT ÉTÉ SI SAGE,
HORMIS CES DEUX : L’HOMME LIBRE ET L’ESCLAVE ;
IL N’EN RESTAIT AUCUN DURANT CET ÂGE,
OU L’ON RIAIT DE ÉGYPTE ET D’ATHÈNES
ON RIT ENCORE, PUISQU’ON TREMBLE D’ABORS,
DE CES JOURS NOIRS QU’IL DISTINGUAIT À PEINE !
CAR IL FALLAIT QU’IL PARLÂT POUR MAUDIRE ;
IL SUFFISAIT QU’ON PENSÂT POUR DÉTRUIRE ;
ON EUT SOUDAIN PLUS FROID AU FOND DU CŒUR,
UN RIEN SE FIT OU SE FIGEA LA PEUR ;
C’ÉTAIT UN JEU DANS LA VOIX D’UN CHANTEUR,
DE MOTS, DE CHANTS, QU’ON IMPROVISE LÀ ;
CELA SUFFIT POUR QUE TOUT Y CROULÂT.
IL LUI PARVINT CE QUI NOUS VIENT À TOUS,
CET AUTRE SOUFFLE DERRIÈRE NOS CHEVEUX ;
CE VOILEMENT QUI ÉCAILLE LES YEUX,
ET LES FAIT LUIRE D’UN FEU QUI VA DEDANS ;
IL SE TROUVA COMME SERAIT L’ENFANT
QUI A JOUÉ CE QUI TANT LE DÉBORDE
QU’IL A COMPRIS ET VU MIROITER L’ORDRE ;
IL FUT SAISI DANS SA CLAIRE VISION,
PENDANT QU’AUTOUR SE TOURNAIENT EN LEURS TOURS,
EN BOUCLES PURES, VILLES GENS ET VOITURES ;
ALORS IL SUT QU’AU LOIN ON LES DICTAIT ;
PUIS IL CRUT VOIR, MONTANT DEPUIS LA TERRE,
COMME UN PILIER, COMME UN FÛT DE POUSSIÈRE ;
D’UN COUP IL SUT LE SECRET DES COLÈRES.