À lire le résumé du film de Atiq Rahimi, on s’attend à un récit bien pensant de la libération d’une femme afghane. En effet, quoi de plus beau que la Femme, cette émancipatrice, ce versant de l’humanité tourné vers l’avenir ? Grâce à elle, les peuples opprimés feront tomber tous les tyrans ! Non, le film ne tombe pas dans cette facilité si fréquente. Atiq Rahimi ne se sert pas de la féminité comme d’un symbole, mais il questionne au contraire son essence, quels sont ses véritables rêves. Plus généralement, il s’interroge sur la voie à suivre, une fois que la barbarie aura déserté.
Syngué Sabour est une pierre magique à laquelle on livre nos secrets, jusqu’à ce qu’elle explose et nous en délivre. Dans le récit, cette pierre de patience est incarnée par un homme tombé dans le coma après avoir reçu une balle dans la nuque. Son épouse doit donc s’occuper seule de ses deux enfants, et le film commence par nous montrer son extrême détresse. Elle n’a personne à qui parler. L’homme est allongé dans la pièce principale, et la femme prie pour qu’il revienne à la vie. Dehors, les miliciens n’arrêtent pas de brutaliser la population, et le Mollah vient tous les jours toquer à la porte. Les prières de la femme pour que son époux inconscient guérisse et la protège se transforment en une longue confession. Elle dit ses maux à un homme devenu doux, qui n’a plus rien du mâle guerrier qu’elle a connu et qui la soumettait. Petit à petit, sa parole se libère. Tous les jours elle se livre à son mari inconscient, elle lui confesse ses désirs, lui disant qui elle est vraiment. Mais la propriété de la pierre de patience est d’exploser…
Cette femme qui parle à son mari inconscient ne fait plus face à la dictature de l’homme, mais à elle-même, à ses désirs, à ses contradictions. Le film ne libère pas une femme soumise pour la mettre dans un contexte idéal. Il se questionne plutôt sur cette liberté, ne sachant pas vraiment si une paix générale lui est tout à fait nécessaire. Il lui cherche un avenir, qui n’est pas de rejoindre l’occident. La vraie question du film, c’est ce que l’épouse peut devenir après s’être libérée.
Plus généralement, la Femme se tient aux cimes de chaque civilisation, elle est sa part prête à se faire universelle. Mais à quelle universalité pourrait tendre un peuple si longtemps martyrisé par les siens et haï du reste du monde ? Ses femmes seront sans doute, de tout ce peuple, les seules qui arriveront à nous parler.