Ce mardi 14 janvier 2013, vers midi
Je ne publierai plus mes pensées au réveil. A relire aujourd’hui mes élucubrations d’hier, je vois éclater mon ambivalence à l’endroit de l’Eglise. Ou dois-je dire hainamoration ? Di Ciaccia peut témoigner de ma passion ancienne pour la théologie et pour l’institution vaticane. L’étude de Lacan a fait beaucoup pour me mettre sur cette voie. Lacan se rapportait incessamment à Aristote pour en différencier Freud, et pour élaborer la doctrine conforme à l’expérience analytique. A Guitrancourt, Aristote était dans sa bibliothèque juste au-dessus des dictionnaires. On sait par ailleurs que la religion catholique était pour lui la vraie religion, par quoi il faut entendre – quel ton pédant ! dès que je ne persifle plus, je pérore – la seule qui soit à proprement parler une religion, et la religion de la vérité. La seule religion, car elle rend à César ce qui est à César, ce que ne fait pas le judaïsme, sauf contraint par Rome ou par Napoléon – car à l’Etat juif il ne concède rien, ou peu – ni l’Islam, qui n’a pas encore trouvé de maître qui le dompte. En Orient, il y a des sagesses, non des religions. La religion de la vérité : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jean) 14, 1-6). Et il ne sera jamais pardonné à Ponce Pilate d’avoir demandé « Qu’est-ce que la vérité ? », d’un air dubitatif, manque de pot, devant celui qui l’était, la Vérité. Lacan aimait conter à ce sujet l’apologue de Claudel, et l’a repris au séminaire.
Cependant, ma fascination pour l’Eglise catholique – je dis le mot – date de bien avant ma rencontre avec Lacan. Car je confesse avoir passionnément admiré la Rome antique dans la jeunesse, avant même que l’école publique, la 6e du lycée Charlemagne, ne me mette dans les mains le fatal De viris de l’abbé Lhomond. Ah ! si l’on m’avait donné à la place les Portraits de femmes de Sollers, comme ma vie eut été plus facile ! L’Eglise reste à mes yeux la forme sous laquelle se survit parmi nous l’Empire romain. Justification païenne, sans doute. Comment une petite entreprise juive, menée par des gens de peu, et qui n’avait rien d’autre à vendre que des bonnes paroles – comme la psychanalyse, n’est-ce pas ? – a-t-elle conquis le marché mondial ? Quelle success story ! Apple est à peine parvenu au pinacle que déjà on en prédit le déclin : l’innovation marque le pas, les jeunes se détournent des gadgets favoris de leurs parents, ils préfèrent Samsung, etc. L’Eglise, elle, contre vents et marées, tient le pompon depuis vingt siècles. Comment a-t-elle eu raison de l’Empire romain ? Ce n’est pas si clair, malgré Gibbon et Rostovtzeff, complétés de Peter Brown et Paul Veyne, et quelques autres.
Je comprends qu’on fasse intervenir le saint Esprit, car il y a certes fallu beaucoup d’esprit, Witz, wit. Avec le Christ, « un nouvel amour », comme dit Rimbaud, est entré dans l’histoire, et n’en est pas sorti, à la différence de celui qu’incarna Lénine. Alors que la seconde décennie du XXIe siècle est commencée, cet amour met encore des centaines de milliers de personnes dans les rues de Paris, avec en tête une magnifique figure de proue que seul un butor a pu appeler « vieille toupie ». Si, au lieu d’aller chercher noise à Ansar Dine au Mali, François Hollande avait fait tirer sur le peuple au Champ-de-Mars, sur des « défenseurs de la foi » bien de chez nous, comme jadis fit le Tzar à Saint-Petersbourg, eh bien, le 13 janvier aurait été notre « Dimanche rouge », et Frigide Barjot serait restée dans l’histoire comme la nouvelle édition du pope Gapon. Et nous aurions peut-être eu une nouvelle Chouannnerie.
Voyez où j’en arrive quand je laisse aller ma plume : à un massacre. Suis-je un sanguinaire ? C’est possible. Au moins dans le monde des idées. Mais je plaiderai mon symptôme, celui d’un fils de massacrés, rédimé par les Lumières. D’où un malaise avec l’Eglise, c’est sûr. Depuis la Révolution française, elle rame. C’est beau comme la campagne de France : Napoléon l’a perdue, mais son génie était alors à son comble. Mais rien ne dit que l’Eglise perde son combat. Danièle Hervieu-Léger pense qu’elle l’a déjà perdu, au moins concernant « la discipline des corps ». Lacan pensait que toute cette histoire allait se terminer par le triomphe de la religion. Etait-il sérieux ? Ou s’il bouffonnait ?
Pour signer l’appel contre l’instrumentalisation de la psychanalyse.