Ce lundi 21 janvier 2013

Entrons maintenant, s’il vous plaît, dans le vif de la question qui fut agitée avec tant de chaleur au mois de septembre dernier, et qui n’est pas éteinte quatre mois plus tard.

Si Philippe Barbarin comparaît devant vous, sachez d’abord que c’est en toute humilité. Il a péché. Il le sait. Il l’a reconnu. Il en est contrit. Veuillez prendre garde à ceci, que la honte de ce péché, il l’a éprouvée ; que la douleur de ce péché, il l’a endurée ; que la punition de ce péché, elle lui a déjà été administrée, et il l’a subie.

Vous l’avez vu être blâmé, piétiné, que dis-je ? crucifié par le tribunal médiatique le moins complaisant, que dis-je ? le plus intolérant qui soit. On a mené grand tapage autour de lui. Et le public, égaré par ces mauvais bergers, qui abusent de cette « liberté de la presse » que ne connaissaient point les pères des pères de nos pères, l’a enseveli sous les invectives, comme ce Jésus insulté au prétoire que nous représente la gravure magnifique d’Albrecht Dürer. Et son procès a été fait, non pas une, mais mille fois autour du monde, car cette tourbe de folliculaires est solidaire, et enlace le globe d’un trois fois triple tour, comme les eaux du Styx enferment les Enfers. La vérité est que nous ployons sous le joug d’un nouveau paganisme mondialisé, qui est sans foi, qui est sans loi, qui est tout de désordre et d’injustice, tandis que les clameurs de la vox populi recouvrant la Parole mènent les affaires des hommes.

Il y eut jadis la faute de l’abbé Mouret, que monta en épingle tel petit romancier pornographe et dreyfusard. Il y a aujourd’hui le péché du cardinal Barbarin, dont les sans-Dieu se repaissent et font leurs choux gras. Mais ce péché, mes sœurs, mes frères, mes enfants, quel est-il ?

Examinons la question avec l’Aquinate. Il n’est point de meilleur guide en matière de raison éclairée par la foi. Elle fait autorité, elle est canonique, sa liste des sept péchés cardinaux, qui ne sont point péchés de cardinal, mais péchés essentiels, matriciels, « mortels », dit-on, depuis Jean 1.

Le péché du cardinal Barbarin

Ce péché, ce n’est point la luxure. Ce n’est visiblement pas la gourmandise : le prélat est sec et sobre. Et ce n’est pas non plus l’avarice : ce prêtre est pauvre, il se dévoue, il ne garde rien pour lui. Et qui dira que Philippe a succombé à l’envie ? Quelle envie ? Qu’aurait-il à envier, Philippe, à nos frères et à nos sœurs homosexuels, je vous le demande ?

« Leur coming out», ricanent des effrontés dans l’assistance. Je les entends. Oh ! je les connais. Ce sont ceux qui se précipitent à exploiter sans vergogne, pour vendre leurs feuilles et leurs films, les faiblesses de la chair, quand ce sont celles de pauvres prêtres. Ce deux poids, deux mesures, l’Eglise en pâtit tous les jours et partout. L’opinion, volontiers impitoyable avec la pédophilie ecclésiastique, est indulgente aux écrivains, aux artistes, aux hommes politiques, et même aux animateurs de télévision, comme l’a montré le sauf-conduit que l’Angleterre a implicitement concédé à un Jimmy Savile jusqu’au dernier jour de son existence terrestre. Là, on ne voulait point voir. Sur le prêtre, on écarquille les yeux, on scrute, et souvent on hallucine.

Certains de nos frères et sœurs homosexuels affichent désormais leur condition. Ils s’égarent jusqu’à en faire étalage dans des processions où ils paradent grotesquement attifés. Ils ne reculent pas à appeler la majeure de ces exhibitions impudiques la Gay Pride, se souciant comme d’une guigne que superbia, orgueil, orgoglio, orgullo, Hochmut, pride, soit sur la liste noire de saint Thomas d’Aquin. Comme une telle ostentation est regrettable, chers frères et sœurs ! – quand le Vatican vous donne tous les jours, et singulièrement dans ses cérémonies et dans ses cortèges, de magnifiques illustrations de la vertu d’humilité. Fi de toute Catholic Pride ! Ces ors, cette pourpre, ces pompes, ne procèdent d’aucun orgueil humain. Une plus haute Gloire les commande.

Quand le Saint-Siège tance et admoneste des gouvernements qui sont élus, n’y voyez nulle arrogance. Non. Le pape, qui tient son mandat de l’Esprit Saint, ne songe pas un instant à se substituer à César, ni même à l’amener à Canossa. Il l’a fait jadis, il n’en a plus les moyens, il n’en a pas le désir. Mais conformément à la mission de Pierre, il lui appartient de rappeler à la Parole de Dieu les puissants de la terre.

A-t-il péché par colère, notre frère Philippe ? Ah ! il est aussi de saintes colères. Voyez Jacob, Job et Jésus. Ouvrez la Philocalie des Pères neptiques, vous y lirez ce dit que je chéris dès longtemps, du grand Isaïe de Gaza, selon lequel « sans colère, s’il ne s’irritait pas contre tout ce qui est semé en lui par l’Ennemi, il n’y aurait pas de pureté chez l’homme. » Non, non, pour l’amour de l’anachorète, nous ne retiendrons pas contre le cardinal-archevêque de Lyon le péché de colère.

Eh  bien, quel péché reste-t-il pour lui dans la liste fatale ? Usons du procédé que nous offre l’art de la mémoire, SALIGIA. Soit : superbia, avaritia, luxuria, invidia, gula, ira, acedia. Reste acedia ! L’acédie, cette antique maladie des moines ! L’ancêtre de notre « spleen », de notre « paresse », voire de notre « dépression » ! Qui inspira à Durkheim son « anomie ». Voisine de la tristesse dont il est parlé dans la seconde Epître aux Corinthiens (7, 10) : non pas « la tristesse selon Dieu », qui porte à la pénitence, mais « la tristesse de ce monde (qui) produit la mort » – dans le latin de la Vulgate, « sæculi autem tristitia mortem operatur». Walter Benjamin, Jacques Lacan, l’ont dit après saint Thomas : c’est une faute, une lâcheté morale.

Est-on fondé à attribuer au cardinal-archevêque de Lyon le péché d’acédie ? On ne peut ici s’empêcher de se souvenir de la pénitence à laquelle ces pécheurs sont astreints par Dante en son Purgatoire.

Pour racheter leur negligenza e indugio, retard et négligence, ils courent con fretta, en toute hâte.

« Ratto, ratto, che’l tempo no si perda
per poco amor », gridavan li altri appresso,
« che studio di ben far grazia rinverda ».
« Vite, vite, ne perdons pas de temps
par manque d’amour ! criaient les autres,
« le zèle à bien agir fait reverdir la grâce ».
XVIII, 103-105

Or, avant de défrayer la chronique par ses propos négligents, et d’être taxé d’archaïque et de réactionnaire, Mgr Barbarin n’était-il pas surnommé Monseigneur Cent mille volts ? N’était-il pas connu comme un prélat moderne et à la coule ? Pratiquant avec assiduité un sport ? Et  lequel ? Le jogging.
Est-ce par hasard ? Les mécréants le diront. Mais les hommes de foi ?

Ce trait est mentionné dans tous les portraits qui ont été faits de lui. Il en a toujours joué, non sans coquetterie. Encore en juillet dernier, quand le site du diocèse lui posait la question, « Qu’est-ce-que vous aimez ? »,il répondait : « A part le jogging, j’aime aussi les étoiles. » En octobre, un mois après les propos qui firent scandale, alors que L’Express l’interrogeait sur la dernière interview, si émouvante, du cardinal Martini, il éludait : « Il est quand même permis de se poser des questions sur une interview publiée après sa mort », et plus loin dans l’entretien,  il trouvait le moyen de glisser: « quand je fais mon jogging le matin… »

Paresse et travail

Nous n’entendons nullement nous prévaloir ici de notre qualité de psychanalyste pour poser un diagnostic. Que Philippe Barbarin trouve grand plaisir à courir tous les matins, c’est le cas de nombre de nos contemporains. Il parle beaucoup de cet exercice, il le place très haut – au niveau du ciel étoilé, pour ainsi dire – et c’est déjà moins fréquent, un peu étrange pour un homme d’Eglise. Mais peu importe, il ne serait pas le seul à trouver dans la course à pied un dérivatif à un sentiment de faute morale, voire une véritable thérapie comportementale : on le sait au moins depuis Dante. Plaidant sa cause, ce qui nous intéresse, c’est de cerner la nature précise des griefs qui peuvent lui être faits. Quels sont-ils ? Nous en voyons deux.

Premièrement, c’est un homme trop spontané, nous l’avons dit dans notre sermon précédent. Mais la spontanéité n’est pas un péché. Tout au plus peut-elle être chez un cardinal l’occasion de commettre une faute professionnelle. Nous faisons confiance au Vatican : la faute du cardinal Barbarin a déjà été sanctionnée. L’incident de septembre dernier ne peut pas ne pas avoir été inscrit au dossier ecclésiastique du susnommé. L’inspection générale des services, quel que soit son nom exact, a certainement baissé sa note à la rubrique consapevolezza, cautela e accortezza. En 2008, Philippe Barbarin était le 6e de la liste des Ten Top Papabili établie par Anura Gurugé. Depuis 2010, il est surclassé par André Vingt-Trois. Gageons qu’après l’esclandre de septembre, il a encore reculé de plusieurs cases. Une fois pape, en effet, on peut faire des gaffes, Benoît XVI en a été prodigue au début de son pontificat. Avant, ce n’est pas recommandé.

Philippe Xavier Ignace a battu sa coulpe sur ce point le 3 novembre dernier. « Regrettez-vous vos propos sur le mariage homosexuel? », lui demandait alors L’Express — « Oui, répondit le cardinal, car ils ont blessé beaucoup de monde, contre ma volonté. Ce que j’ai voulu dire, c’est : “Que ferez-vous lorsqu’il y aura des demandes de mariage entre plusieurs personnes ?”, et une dépêche de presse a traduit : “polygamie”, ce qui évoque tout autre chose dans les esprits. J’aurais mieux fait de rester dans le sujet : le mariage de deux personnes du même sexe. » Toute personne de bonne foi admettra qu’il y a lieu de clore toute polémique sur ce point.

Le second grief tourne donc autour de l’acédie supposée du cardinal. Relisons ensemble ce qu’il a dit : « Après, ça a des quantités de conséquences qui sont innombrables. Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera. » Qui ne sent qu’une personne autorisée qui s’exprime dans des termes aussi approximatifs, nuit au prestige du magistère ? Et qu’elle se rend coupable de négligence, de laisser-aller, et, pour dire le mot, de paresse intellectuelle ?

Nous serions en désaccord sur le fond avec le cardinal, nous ne pourrions lui reprocher que d’être dans l’erreur ou dans l’illusion, voire de se montrer ignorant, vulgaire, rétrograde, que sais-je encore ? Mais rien de tout cela – n’est-ce pas ? – n’est un péché. C’est précisément parce que, selon nous, Mgr Barbarin est dans le vrai, que le caractère extrêmement relâché de ses formulations est à nos yeux constitutif du péché d’acédie.

Oui, assez dit ! Assez tourné autour du pot. La vérité est que Mgr Barbarin dit les choses comme une Frigide Barjot ne les dit pas. Il est vrai que, sous des dehors désordonnés, cette dame est une fine mouche, qui fait toujours preuve dans ses déclarations d’un tact médiatique des plus sûrs. Mgr Barbarin en est dépourvu. Mgr Barbarin parle à tort et à travers. Mgr Barbarin fait scandale. Mgr Barbarin dit les choses comme quelqu’un qui n’a pas travaillé. M. Berheim, lui, le Grand Rabbin de Paris, a travaillé. Il a même si bien travaillé qu’il a été félicité par le pape. Et le Saint-Père a voulu le féliciter, non dans le secret de son cabinet, ni par une missive confidentielle qu’il lui aurait fait porter, mais dans la salle Clémentine du Vatican, devant la Curie toute entière assemblée, au cours d’une véritable homélie Urbi et Orbi.

Mgr Barbarin n’a pas été félicité par le pape. Tout porte à croire qu’il ne le sera jamais. Il n’est pas impensable que le pape ait tiré les oreilles à Mgr Barbarin, ou quoi que ce soit de ce genre que l’on fait au Vatican. Car le pape lui aussi, comme M. Bernheim, est un intellectuel qui travaille. Et il sait parfaitement reconnaître les gens qui travaillent avec leur tête et ceux qui ne travaillent pas, mais préfèrent jouer les Monseigneur Cent mille volts pour épater le bourgeois et en mettre plein la vue au populo, et qui racontent Urbi et Orbi comme ils adorent faire leur jogging le matin, et dans la nuit regarder briller les étoiles. Il ferait beau voir que Benoît XVI laissât sa succession à Mgr Barbarin. Pour lui, c’est cuit. Monseigneur Cent mille volts a eu un court-jus.

Evidemment, the next Pope, ce ne sera pas non plus M. Bernheim. Encore que la qualité de juif ne constitue pas en elle-même un empêchement dirimant, comme l’a démontré la belle carrière de Mgr Lustiger. Certes, je ne sache pas que M. Bernheim ait l’intention de se convertir à la religion catholique. Mais on se ressouviendra que son homologue italien l’a fait, lui, après la seconde guerre mondiale. Et, en hommage au pape Pie XII, Eugenio Pacelli, le Grand Rabbin de Rome, Israël Zolli, avait même pris Eugenio comme nom de baptême.

Benoît Bernheim ! Voyez-vous ça ! Ce serait … du zolli !

Une thèse non-triviale

Je n’irai pas plus loin pour aujourd’hui. J’ai beaucoup chargé la barque du cardinal de Lyon. C’est que, pour parler franc, je le crois indéfendable sur la forme, et ce d’autant plus que je crois m’accorder avec lui sur le fond.

Mais ce fond, quel est-il ? Il est encore obscur. C’est ce qu’il s’agira d’élucider.
Toujours est-il que Mme Vallaud-Belkacem a su asseoir les vacillants propos de Mgr Barbarin sur une base saine et solide, quand elle s’est faite avec générosité son interprète auprès du public, et nous a expliqué, sans être démentie, que le prélat avait voulu dire ceci : que si l’interdiction de l’inceste et de la polygamie devait « tomber », elle entraînerait dans sa chute toutes les autres règles régissant la vie en société.
La thèse n’est pas triviale. Elle fait réfléchir. Nous aurons à l’examiner.

NB : pour ne pas allonger notre livraison, nous remettons à plus tard la publication des notes et références de nos Persiflages de ce lundi.

2 Commentaires

  1. Vous formulez remarquablement ce qui m’énerve chez ce « prêtre mondain ». Pour ce qui est de Bernheim, nous avons appris depuis qu’il n’était pas nécessairement le producteur du travail de pensée qu’il signait. Mais, bon, au moins il signe un travail de pensée.