Maksym Yemets est mort au combat le 4 février 2025, lors d’un bombardement russe près de Pokrovsk, dans la région de Donetsk. Engagé depuis 2014, il avait gravi les échelons jusqu’à devenir commandant au sein d’une unité d’élite ukrainienne. Plusieurs fois blessé, il n’a jamais renoncé à son engagement. Dans son dernier message, il exprimait le vœu que ses erreurs puissent servir à épargner d’autres vies.
Sa tombe est aujourd’hui ornée de pierres aux couleurs du drapeau ukrainien, mais aussi de fleurs déposées par sa fiancée, Oksana Rubaniak, qui veille à faire vivre sa mémoire. Maksym et Oksana partageaient la nécessité de transcrire la vie en poèmes.
C’est à Bernard-Henri Lévy, rencontré sur le terrain, qu’Oksana Rubaniak a confié le souhait que soient publiés en France non pas ses propres poèmes, mais ceux de Maksym. Les philosophe publiera les deux soldats-poètes. On retrouve cet échange dans une scène de Notre guerre, film-documentaire coréalisé avec Marc Roussel.
Les poèmes de Maksym Yemets
Poème dédié aux femmes et aux hommes qui défendent leur patrie, qui se sont battus et qui se battent toujours pour notre indépendance et notre unité territoriale
Au-dessus du Dnipro le brouillard s’étale dans la nuit sombre,
L’eau silencieuse exhale la peur.
Des bateaux gonflables tels les ombres,
Avancent de concert comme les oiseaux migrateurs.
Les rames sont à l’eau, sans bruit, sans un son,
Chaque marin serre son arme, fort.
Kozatchi Laheri est une forteresse de l’ennemi,
Les cœurs des héros battent à l’unisson, en écho ami.
L’ennemi a renforcé les berges avec des mines et des fils savants,
L’eau sous le bateau est un miroir de vérité.
Chaque coup de rame rapproche du combat,
Chaque avancée est un saut vers la sainte liberté.
Et voilà que le pied touche le sol,
Les ennemis s’affolent,
Les troupes d’assauts en raz de marée,
Brisent le barrage où attendait la guerre.
Kozatchi Laheri est baigné du sang de héros et d’ennemis
Les pirates conquérants des nouveaux mondes
Attaquaient les îles de Dnipro en bateau la nuit
Pour devenir la légende et ceux qui sont tombés sont restés à jamais dans cette guerre sacrée
***
Dédicace à l’unité des opérations spéciales GUR du Ministère de la Défense, le bataillon « Chamane » (Chamanbat)
Au milieu de la nuit, ils avancent au phosphore blanc
Vers l’antre de l’ennemi conduits par leurs commandants.
Chamanbat c’est plus qu’un bataillon
L’ennemi n’aurait pas dû franchir le Rubicon.
Leur chemin n’est pas pour les cœurs tendres,
C’est le plomb qui attend l’adversaire
L’éclaireur, feu dans l’âme, est un esprit
Les décisions au front ne sont jamais facilement prises.
Le drone montre le chemin depuis le ciel,
Les ancêtres apportent leur appui,
Comme des chamanes, ils lisent les traces de l’ennemi.
L’ennemi sera débusqué à tout prix.
À travers la passoire de la frontière dans le brouillard
Le capitaine mène l’équipe à la poigne.
Les hommes du Chamanbat sont des légendes vivantes,
L’ennemi ne se cachera pas dans la terre d’Ukraine.
En hélico ou en bateau,
Ils atteindront l’ennemi comme il faut.
Là où ils passent, les corps des ennemis sont en nombre,
Comme les juges armés, ils rendent à chacun selon ses œuvres.
Leur mission est de venir en silence
Trouver l’ennemi qui se tapit.
Si tu viens ici, sache au fond :
Tu convoites ? Et bien, réponds.
***
Dédicace à l’ami, le frère Dmytro Kotsubaïlo « Da Vinci »
Tu étais un artiste de la guerre
Même si tu n’as jamais pris le pinceau durant la guerre.
Tu peignais les paysages au milieu de la douleur et de l’obscurité
Au son des canons pris sur l’adversaire,
Tu ne dessinais pas sur une toile.
Ton art ce sont les jours
Donnés pour la liberté de l’Ukraine
Ton pinceau est ton arme, ta palette est le sang de l’ennemi
Ton chef-d’œuvre sera l’Ukraine libre
Tu as laissé dans mon cœur l’espoir
Qui brille, malgré la perte des frères et les ruines
Da Vinci nous graverons dans les siècles
Ton chemin qui restera dans l’éternité
Tu créais notre histoire dans les combats libérateurs
Parce que tu n’as jamais connu le mot peur
Gloire éternelle au Héros de l’Ukraine !!!
***
Quand j’ai mal, quand je souffre,
Quand le désespoir étreint mon cœur et secoue,
Tiens ma main, reste un rayon de soleil souriant,
Tu es mon phare dans la tempête du néant.
Tu es la lumière qui règne dans mon âme, mon astre,
Mon espoir dans la nuit la plus sombre du Donbas.
Tu es le stimulant de mes endorphines,
Ma chaleur, mon île de quiétude dans l’abîme.
Même si la tempête secoue notre bateau,
Je te chanterai les chants d’Okean Elzy, plus fort,
Sur la fidélité, sur la lumière, sur notre amour,
C’est grâce à toi que j’ai vaincu mes démons.
Les vagues de folie auront beau monter jusqu’au ciel,
L’orage essayer d’effacer le monde entier,
Ma voix va louvoyer à travers les tempêtes et le tonnerre,
Car tu es mon Etoile dans ce monde souterrain.
***
Ta chère étreinte douce enflammée
A des centaines de kilomètres m’apporte de la chaleur
Au front, dans les explosions et le mur de fumée
Tu es mon refuge dans les jours de malheur.
On peut écrire des milliers de mots sur l’amour,
Chanter des centaines de chansons populaires.
Mais la pensée est la même, toujours,
Observer les ombres de lampe sur le mur.
Là où nos silhouettes sont étreintes,
Où le temps se fige et on se fiche des présages
Il n’y a que nous, mon sang brûlant te réchauffe
Peut-être est-ce qu’on appelle amour pur et sincère ?
***
Telles époques tels héros.
Jadis on achetait une étoile
Aujourd’hui le sang couvre la médaille,
De la joie, bien sûr, mais une profonde tristesse tapie dans les entrailles.
On pousse la nation à travers la fumée et les ruines,
Portant sur les épaules d’Atlas le poids de l’avenir de l’Ukraine,
Pas pour les récompenses ni les rayons de gloire –
Pour le droit des enfants de vivre sous un ciel clair.
Jadis le prix était le papier ou le métal précieux,
Aujourd’hui la vie est devenue une éternité.
Chaque médaille, comme une lourde prière,
Une course éternelle pour l’oiseau du bonheur.
La joie à la guerre a un goût amer,
La mémoire garde la douleur comme un verdict judiciaire.
Chaque époque a ses héros.
Ce chagrin sera toujours proche.
***
Sous la pluie des balles, en contournant les cratères des obus ennemis,
Là où le gémissement et le cri déchirent le brouillard
Se cachant de temps à autre des Grads ennemis,
Mon frère d’armes était en mauvais état.
Je ne te lâcherai pas, mon ami, ne te laisserai jamais,
Je ne t’abandonnerai pas seul avec la mort dans l’étreinte de la guerre.
Crois-moi, nous allons nous en sortir et rentrer
Là où il y a le calme et la quiétude, la bonté et la chaleur.
Je te mettrai sur mon épaule et te porterai sous la pluie d’acier.
Je suis ton bouclier, ton appui, ton glaive au besoin.
Chaque pas compte, l’essentiel est d’aller jusqu’au bout
Encore un effort et on y est, au bout.
Respire lentement, écoute-moi, je te tiens,
Notre oiseau au ciel nous mène sûrement.
Je te prie, frère, parle-moi,
Attends un peu, je vais te donner de l’eau.
La terre natale sous les pieds te donnera des forces,
Nous sommes des frères de sang maintenant.
Je te sortirai, il n’y a pas de retour,
Nous avons à deux une seule vie pour toujours.
***
Elle attend un SMS dans Messenger, lui se tient au bout du silence
Là où les explosions des KABs n’ont laissé que le vent brûlé en souvenir.
Il lui écrit depuis le front, non loin de la première ligne,
Sur les projets lointains et un rêve, un seul.
Son étreinte est loin comme pour un satellite la Terre,
Mais même au loin il sent sur lui ses mains tendres.
Chaque respiration, décision, mouvement est un pas vers un but,
Elle est sa sorcière et il venait dans ses rêves avant de l’avoir connue.
Elle lui fait la morale chaque jour, pour qu’il tienne droit,
Pour qu’il revienne en vie et sourit de nouveau.
Il garde dans son sac ses petits portraits,
Car l’amour est plus fort que les vers de Symonenko, Kostenko et caetera.
Elle voit l’aube du côté de Kharkiv, parfois les larmes dans ses yeux gris charmants,
Il la voit dans la pénombre, sous les tirs, souvent en pensée.
La distance entre eux n’est qu’une bande éphémère dans le temps,
Leurs cœurs sont unis par la force des paroles versifiées.
L’amour à la guerre est une envolée d’âme,
Qui vole à travers les balles et les explosions, donne l’envie de vivre.
Cette foi en lendemain où la fin de la guerre est proche,
Ils vont s’aimer bientôt, peut-être même cet hiver qui approche.
***
Je sais que la victoire aura tes yeux, c’est certain,
Qui viennent me voir au milieu de la nuit.
Leur lueur est le feu qui me guide dans l’obscurité
Leur regard apporte de la lucidité dans cette guerre.
La victoire aura ta voix, si convaincante et précise,
Que même un tir d’artillerie deviendra indicible.
Ton sourire est un rayon de lumière au milieu de la fumée grise,
Ta tendresse rend mon esprit invincible.
Tu es la lumière qui brille dans la nuit la plus obscure,
Pour toi les peuples croisent le fer.
Et même si tout semble silencieux alentour,
La langue de l’amour crie fort.
Tu es une mélodie qui retentit dans le vide désert,
Ta voix est la musique qui inspire à créer.
Et même lorsque le monde à jamais se taira,
Ton amour retentira dans mon âme en trembita.
***
Tels les épis de blé mûr sous le soleil,
Tes beaux cheveux roux,
Reflètent le feu et la chaleur d’été,
Les graines semées par toi qui ont germé.
Tu es quelque chose d’irréel, comme une aube dans un pré,
Comme une vague chaude dans la tumultueuse mer glacée.
J’aurais aimé toucher de mes doigts ce feu de joie,
Mais je brûlerai sans doute bien avant.
Chaque femme recèle un secret,
Comme une église un nartex, comme un champ le blé.
La lumière et l’ombre tu as tout réuni,
Tu me tressais dans tes cheveux roux chaque nuit.
***
Change ou meurs, telle est la vérité amère de la guerre
Où le silence est un leurre et l’amitié est fragile.
Où la mort est dans les fusées, le mensonge dans les paroles
Alors que les balles ne fusent pas que lors des combats.
Cette guerre hybride, sans ligne ni frontière
Détruit la conscience, efface les visages.
Cherche la vérité dans une meule de nuit
Et l’ennemi attend dans votre ombre.
Change pour tenir et survivre
Ne laisse pas ce poison t’emporter
Changer ne veut pas dire briser
Mais devenir plus fort
Le feu ne prend pas les ardents
Car celui qui est resté, n’a pas abandonné les rangs,
La guerre hybride ne le vaincra pas.
***
La guerre a pris le meilleur d’entre nous
Ces annonces concernent nous tous
Le Donbas maudit s’est penché au-dessus du héros
Le vent pleure une prière amère en sanglots
La terre en larmes enlace le héros dans le sable porté.
Il s’est battu pour la vérité, il avait foi dans l’humanité,
Il croyait que notre peuple vivrait avec honneur et gloire
Ses yeux brillaient comme flottent au vent les étendards
Il n’y a plus que le silence dans les steppes glacées.
Mais la gloire ne s’éteindra pas comme les étoiles éloignées.
Il connaissait les risques quand il s’engageait,
Son esprit intrépide nous donne des ailes
Sa mémoire brûle et fait mal.
Qui prêtera à la famille une épaule ?
Soyons donc forts comme il aurait aimé.
Pour nos enfants, pour la terre et le ciel,
Pour la terre et la liberté, pour le bonheur de tous.
Soyons donc dignes, fermes et courageux.
Car les meilleurs d’entre nous ce ne sont pas que des mots.
Ils sont notre force, notre phare éternel.
Quand on aura mal, on verra un signe du ciel.
***
La vie est une contradiction éternelle,
Où la lumière et l’ombre valsent de concert,
Avec le cri et le silence, la foi et le désespoir,
Les gens aux mille visages.
Ici, la joie s’allie à la tristesse
Ici, le rire perce à travers les larmes
L’amour s’éteint et s’enflamme
Dans ces contrastes est la beauté
Sans la nuit il n’y aura pas d’étoile
Sans la douleur quel est le prix du bonheur
La vie est un défi et une inspiration
C’est une quête éternelle et une hésitation.
Et chaque jour est une nouvelle souffrance
Qui nous pousse à nous sentir vivant.
***
Aujourd’hui, demain, toujours
Apprécie le passé, tous les jours.
Apprécie l’amour qui est à tes cotés
Car tout passe, tout va s’écouler.
Pour continuer à vivre en ces lieux,
Pour que nos rêves fleurissent,
Trouve dans ton cœur un chemin radieux
Ne laisse pas le vent éteindre le feu.
Oublie le mot peur.
Notre présent est ici, demain sera un autre jour
Où la vie est comme dans les chansons populaires.
Construit ton monde, aime, crée.
Aujourd’hui, demain, tous les jours.
Reste toi-même, mon ami, toujours.
***
Il n’y a pas eu d’ordre de mourir,
Ton champ de coquelicots n’a pas fleuri.
Le ciel et les balles n’ont pas appelé en chœur,
Les rêves d’enfant vivent encore dans le cœur.
Ta route est un monde plein de potentiel
Où l’aube nous ouvre le bleu du ciel.
Les rossignols se taisent, il n’est pas l’heure de leur chant,
Prends au sérieux les propos prononcés avant.
Je crie encore : « Reste, vis,
Tu feras beaucoup de choses dans la vie. »
Ton sang n’est pas l’engrais de nos champs,
Ne le laisse pas couler inutilement.
Le temps viendra mais seulement quand
Tu te rendras à ton propre combat.
Je sais que la vie n’a pas été tendre avec toi.
Il n’y a pas eu d’ordre de mourir pour toi.
A Oksana Roubaniak
***
Je ne veux pas rester à jamais pourrir dans un champ
Je veux qu’à côté bruissent les saules et les peupliers
Que ma bien-aimée vienne sur ma tombe chanter
Que mon Ukraine se renforce sans discontinuer
Que la famille s’étende en branches ramifiées
Que mon nom reste en mémoire de bonne renommée
Être un combattant vaillant et non exister en esclave interné
L’honneur n’est pas une bête qu’on enferme en captivité.
Il ne faut pas céder à la conscience ni à la peur
On remplace rapidement une chemise brodée par un habit de prisonnier
Car si on perd, on n’évitera pas la mort
***
Les oiseaux libres volaient dans les cieux
Les fils courageux combattaient pour la liberté au sol
La terre les serrait dans son étreinte comme une mère
Nous sommes prisonniers pour toujours des guerres sacrées.
Les drones mortels, la séparation et la souffrance,
Mais la victoire est notre délivrance.
La lumière renaîtra des cendres et du mal
L’Ukraine est debout, son âme est toujours là.
La terre tremblait, la mère pleurait
Combien de temps cet enfer peut durer
Le cœur gardera la douleur des stigmates
J’ai choisi mon chemin
Je dois me battre.
***
Le sang au goût du sel, c’est le goût de Soledar
Où la terre sent les incendies et le fer.
Ici la soif de vivre transcende la douleur
La liberté est le cri d’un frère qui retentit fort.
Le tumulte des combats dans le froid de janvier
Le cœur se fige à chaque explosion, angoissé.
Chaque combattant se tait mais connait le prix
Que nous payons pour le sel de Donetsk ici.
Le sang salé et l’espoir fragile de la destinée
Ici les héros ont combattu pour la gloire et la liberté
Soledar n’est pas qu’un nom que la carte désigne
C’est l’histoire de ceux dont nous ne sommes pas dignes.
***
Une mère enterrait son fils dans la zone frontalière,
Les larmes coulaient de ses yeux comme des rivières
Le héros qui a combattu dans une brigade d’assaut
Qui a traversé les tortures de l’ennemi dans une prison.
Il se battait avec courage, sans connaître la peur,
Il atteignait l’objectif malgré la fatigue de mort
Là où les balles sifflaient comme les vents dans les steppes
On ne souhaite pareille fin à personne.
Maintenant il n’y a qu’une croix et la terre
Et autour se tiennent en silence les frères.
Elle crie et espère l’enlacer comme dans un rêve,
Remercie son fils pour ce qu’il a fait à cette maudite guerre.
« Tu vis dans mon cœur, mon fils chéri,
Tu as donné ta vie pour ceux qui sont plus petits.
Pour moi, toujours jeune, même aux cheveux blancs,
Sois heureux au moins au ciel, mon cher enfant. »
Il n’y a pas de place à la guerre pour les hommes normaux,
Il n’y a pas de modèle comme de raison.
Chacun est différent, ne ressemble à personne,
Il se trouve qu’ici il y a les meilleurs des meilleurs.
Ici l’esprit est plus fort que le blindage épais,
Ici la douleur rassemble, crée une famille des unités.
Les uns tiennent en silence, les autres vivent en blaguant,
Et quelqu’un dans la folie fond comme la pâte à modeler.
Il n’y a pas de type, il n’y a pas d’idéal
Personne n’attend du destin le signal
À la guerre un homme est celui qui tient le rang
Celui qui abandonne son frère, meurt à l’instant.
