La polémique autour du choix de Charlotte Gainsbourg pour incarner Gisèle Halimi au cinéma constitue un symptôme inquiétant du débat culturel français actuel. Tout est parti d’un article de L’Humanité publié le 22 septembre 2025, initialement titré « Charlotte Gainsbourg va incarner Gisèle Halimi au cinéma : pourquoi c’est problématique », puis modifié en « Pourquoi ça fait polémique ». Ce texte remet en question la « légitimité » de l’actrice, en insistant sur sa cosignature d’une tribune dans Le Figaro où elle plaide contre la reconnaissance d’un État palestinien dans le contexte actuel.

Cet article a aussitôt suscité une forte mobilisation sur les réseaux sociaux : pétitions, appels au boycott, et dénonciations pointent une « incarnation falsifiée » de Halimi, trahissant – selon certains militants – ses valeurs et ses combats.

C’est dans ce contexte que Laurent Joffrin, dans une tribune incisive publiée sur LeJournal.info le 23 septembre 2025 et intitulée « Charlotte Gainsbourg, le wokisme et l’Huma », s’élève contre le rétablissement d’une police de la pensée et dénonce une dangereuse « purification idéologique » opposée à l’universalisme républicain et à la liberté de création. À ses yeux, le talent d’une actrice ne doit ni se mesurer à sa biographie, ni à l’orthodoxie de ses opinions, mais réside dans sa capacité à interpréter et à transmettre, enrichissant ainsi le débat public.

Le débat s’est vite envenimé, opposant ceux qui veulent prétendument défendre la mémoire de Halimi par le biais d’un contrôle identitaire à d’autres rappelant que l’art est un espace de pluralisme, où la diversité des approches est essentielle.

L’affaire présente un parallèle frappant avec celle ayant touché Raphaël Enthoven : invité puis déprogrammé – avant d’être finalement réintégré – au festival Livres dans la Boucle à Besançon en septembre 2025, à la suite de réactions à ses propos sur Gaza. Les vives réactions à cette exclusion temporaire, et la mobilisation d’une partie du monde littéraire, révèlent à quel point la gestion de la liberté d’expression engendre aujourd’hui tensions, fractures et instrumentalisations dans l’espace public.

Pourtant, l’art, la littérature et le cinéma peuvent accueillir des sensibilités variées sans céder au sectarisme. Plutôt que d’imposer des normes, ils sont capables d’ouvrir le dialogue, de faire réfléchir, de susciter des émotions partagées et des débats constructifs. C’est dans l’échange et la diversité des points de vue que la culture devrait pourtant s’enrichir, chacun trouvant sa place sans exclure l’autre. 

Rappelons-le alors fermement : priver un intellectuel ou une artiste d’expression publique relève de la plus grande hypocrisie. C’est enterrer la liberté d’expression, si chère à ceux-là mêmes qui prétendent la défendre. Empêcher Charlotte Gainsbourg d’incarner Halimi, c’est bafouer l’un des fondements de l’art : la liberté créatrice. Soumettre le monde artistique à la purification idéologique ou aux injonctions militantes, c’est installer une censure morale sournoise, contraire à l’esprit même de Gisèle Halimi. Parce que sa mémoire ne saurait être instrumentalisée pour faire taire des voix artistiques ; ce sectarisme dénature bien plus la pensée de Halimi qu’il ne la prolonge. Une minorité radicale ne peut décider de qui a droit ou non à la parole, ni transformer nos débats en arènes de l’exclusion.

La liberté n’a pas de prix. À ceux qui hurlent pour interdire, il faut opposer le droit obstiné de créer et la valeur d’un talent indiscutable : celui de Charlotte Gainsbourg. Que les nouveaux censeurs s’en indignent : nous serons nombreux à célébrer la puissance de son interprétation, là où leur intolérance aura seulement laissé le bruit des portes closes et le vide de leurs surenchères. Aux nouveaux censeurs qui voudraient imposer la loi du silence, il faut opposer la détermination de créer et le talent insolent de Charlotte Gainsbourg, bien loin de leurs cris et du sectarisme qui stigmatise plutôt qu’il ne construit.

Un commentaire

  1. Bonjour,
    Le rapprochement avec l’ « affaire » Raphaël Enthoven ne me paraît pas pertinente.
    On peut ne pas être d’accord avec la tribune signée par Charlotte Gainsbourg ; elle a le droit d’avoir cette position. Cela ne la disqualifie pas pour autant pour incarner Gisèle Halimi au cinéma.
    Raphaël Enthoven n’avait pas le droit d’affirmer que les « journalistes » palestiniens ne sont qu’un ramassis de terroristes ! Dans ce cas, se réclamer de la liberté d’expression n’est pas acceptable … Ou alors au sens trumpien du mot.
    Bien cordialement,