Admiration. L’amitié peut-elle répondre à l’admiration ? Y a-t-il jamais vraiment quelque chose de tel que la joyeuse innocence de l’admiration ? La loi d’or d’une alliance, celle d’une amitié confiante et sans réserve est-elle possible avec qui on admire ? Peut-on, veut-on même le croire ? Jusqu’où l’admiration peut-elle aller, à partir de quand, de quel degré, de quelle hauteur ou profondeur interdit-elle l’amitié ou l’amour ? Jusqu’où, et comment, et à quel prix, est-il possible d’endurer la si forte et si constante provocation à la pensée qui vient de qui on admire, et non sans qu’il l’ait voulue ; qui vous oblige envers lui, et non sans qu’il l’ait voulu ; qui vous conduit, sans que nécessairement vous y soyez préparé, en des lieux à la fois immémoriaux et très peu frayés ? Que vous arrive-t-il quand l’amitié se réfléchit dans l’admiration infinie ? N’est-ce pas comme si elle naissait dans son propre deuil ?

Devant ceux que l’on admire, c’est parfois de la piété, parfois de l’ahurissement, parfois de la peur, parfois de l’envie. C’est toujours de l’étonnement. On se dit qu’il vaudrait peut-être mieux se laisser glisser vers la retraite, que c’est perdu. Et puis on essaye tout de même, sait-on jamais, on y trouvera peut-être son bonheur.

Désir. Je tiens que toute cause en nous est récapitulée et fictive. Nous sommes très tôt acquis à l’hypnose de cette récapitulation. L’ensevelissement précoce dans le langage nous fait préférer l’assoupissement dans la répétition à la hardiesse d’être soi ; la famille à la curiosité de tout. Même, parfois, le malheur certain au risque du bonheur. L’éduqué au désir.

Écrire, c’est toujours entrer dans la tactique éprouvante du désir. Ce désir n’est pas le fait de celui qui écrit. Le travail de celui qui écrit est de laisser le désir se trouver, s’affirmer, s’effectuer, se déployer, travailler. Il s’agit de se tenir accessible à l’éventualité de celui qui ne se contrôle pas. Il s’agit d’accepter de ne jamais savoir à l’avance en quoi consistera celui qui apparaîtra. Il convient pour cela de se rendre à ce principe : que les formes de ce qui s’écrit sont le dépôt ou l’archive de ce qui déjoue la volonté, la préparation, l’attente. Le désir, comme les rêves, ne nous demande pas notre avis. Il nous impose une loi contre laquelle nous ne pouvons rien.

Passion. Tout de suite vous pensez qu’elle sera votre perte. Votre adieu au monde. Votre accord est miraculeux, donc désastreux ; un tel accord, penserez-vous, n’est donné qu’une fois ; il est l’unique ekstasis, la sortie de soi dont on ne revient pas. Vous penserez que votre accord est tel que vous vivrez désormais au passé. Le monde qu’ensemble vous aurez déverrouillé est un exil ; la seule vérité de ce monde est la jouissance. La jouissance est un secret, même pour qui l’éprouve. Le lit aura été votre lieu ; vous vous y serez tout dit ; vous vous y serez avoué l’inavouable ; vous y aurez partagé le secret insu ; vous y aurez déposé vos langues, vos ligatures, vos héritages, vos fidélités les plus lointaines ; vos vies. Il s’en sera fallu de peu que ce que vous y aurez trouvé eût raison de vous. Vous penserez que vous n’en reviendrez pas. Vous ne voudrez pas reconnaître que c’est à peine si l’on peut jamais dire qu’on se souvient ; que la nostalgie a inventé ce qui n’eut jamais lieu ; que la mémoire est une hospitalité mensongère, un écho dangereux dans lequel s’engendrent des douleurs que l’on garde longtemps au fond de la gorge, ou que l’on mâchonne.