George Oppen porte le prénom d’artistes contemporains américains, comme le compositeur George Crumb ou le peintre George Segal. Il appartient à l’objectivisme, comme Charles Reznikoff ou Louis Zukofsky, qui voit le jour dans les années trente. Dans cette histoire de la poésie américaine, cette fratrie de jeunes poètes remplirait les conditions esthétiques d’une littérature d’avant-garde qui marquerait la vitalité des arts aux États-Unis. De tout son souffle, George Oppen demeure une figure de l’exil, de l’Amérique à l’Europe. Son engagement politique, du côté du communisme, donne une conscience lyrique au poète nord-américain. De l’Amérique du Nord à l’Europe, il signe sa lettre d’engagement pour l’étranger, du Mexique à la France.

Les œuvres complètes de George Oppen prennent racine dans la Grande Dépression jusqu’à la guerre froide. Elles rassemblent quelques recueils de poèmes dont la ligne de démarcation serait la Seconde Guerre mondiale. Le citoyen américain intègre l’infanterie pour le feu des armes qu’il consigne dans le poème « Survie : infanterie » du recueil « Les matériaux » de 1962. La minceur de son travail poétique, à peine trois cents pages, porte chance à la gloire littéraire de George Oppen. Cette posture de légèreté paraîtrait une imposture dans l’histoire de la poésie moderne. En 1969, il reçoit le prix Pulitzer de poésie pour son recueil de poèmes « D’être en multitude », à l’instar de ses brillants aînés, Robert Frost, Carl Sandburg, William Carlos Williams.

Sous la présidence de Franklin Delano Roosevelt, George Oppen amorce, à l’âge de vingt-six ans, son parcours poétique en 1934, avec sa plaquette d’une trentaine de poèmes, « Série discrète » que préface Ezra Pound. Dans ce premier recueil de jeunesse qui comprend des scènes réalistes, ce héros discret du lyrisme américain s’aventure dans le royaume de la poésie :

La route déblayée de son passé la
vitre – 
Du monde, balayé par les intempéries, avec lequel
on partage le siècle. 

Né le 24 avril 1908, à New Rochelle, dans l’État de New York, sous la présidence de Théodore Roosevelt, il est le fils du riche diamantaire, George August Oppenheimer. En 1927, son père adopte le patronyme plus anglais d’Oppen qui devient une signature d’espoir. George Oppen meurt de la maladie d’Alzheimer, à l’âge de soixante-seize ans, le 7 juillet 1984, à Sunnyvale, dans la Silicon Valley, en Californie, en pleine présidence de Ronald Reagan.

La poésie de George Oppen est à contre-courant du long fleuve des poètes classiques américains. Cet Américain devient rarement poétique ou lyrique, si bien que George Oppen a moins l’air d’un poète. Il opte pour une poésie abstraite, insipide, singulière qui s’apparenterait à une forme d’indifférence, à l’image du poème « Solution » du recueil « Les matériaux » de 1962, qui traite du puzzle :

Le puzzle enfin assemblé
Dans le couvercle de la boîte montrant une colline
Verte, une maison.
Une grange et un homme
Sa femme, ses enfants,
Scène polychrome
Lucide, étayée par le ciel
Bleu.

Ce parti pris renforce un courant de poésie froide qui s’adresse aux fanfarons, et non au commun des mortels, dans le droit fil de la peinture abstraite ou de la musique sérielle. Sous l’emprise des sciences sociales qui deviennent le poison des temps modernes, elle s’opposerait, de façon artificielle, à toute l’histoire de la poésie universelle qui touche le cœur des êtres humains.

Dans cette abstraction lyrique, George Oppen propose une géographie américaine. Des régions mentales prennent forme, d’un côté, la Côte Est, de l’autre, la Côte Ouest jusqu’au Bahamas. D’un point de vue artistique, New York, tout comme San Francisco, constitue son point d’ancrage. Avant le krach de Wall Street, George Oppen s’installe à New York, avec Mary Colby, son amour de jeunesse, qui devient son épouse en 1927, à Dallas, dans le nord-est du Texas. Pour tout artiste, peintre, musicien, poète, la Grosse Pomme apparaît comme la ville de la première fois. Porté par la mode des courants internationalistes de gauche, il offre une vision sociale et politique. Dans le poème « Une langue de New York » du recueil « Dans ce qui » de 1965, George Oppen livre son diagnostic clinique :

Incapables de commencer
Au commencement, les plus chanceux
Trouvent ici tout en place. Ce sont des consommateurs,
Des décideurs, des juges ; … Et ici la brutalité
N’a pas d’issue, c’est leur impasse.

À l’autre bout du monde, un État déplie sa carte routière le long de l’océan Pacifique. Aux yeux du poète américain, il ouvre ses portes vers le poème « Californie » dans le recueil « Les matériaux » de 1962. Cette terre mère de l’Extrême-Amérique présente un visage ensoleillé et bleuté :

Et je regarde le Pacifique en contrebas, les vagues bleues plutôt paisibles qui viennent se battre au pied des rochers,

Une étendue d’océan au soleil –

Dans cet état de grâce, San Francisco devient l’épicentre de George Oppen, car il connaît depuis l’enfance, après le suicide de sa mère, Elsie Rothfield le 20 octobre 1913, la cité de l’avant-garde politique et artistique. Le poète américain rédige quelques fragments qui deviennent « Quelques poèmes de San Francisco » du recueil « Marine : chas de l’aiguille » de 1972. Cette suite de poèmes de longueur inégale s’étale dans les quartiers de la cité du nord de la Californie. Dans ce journal d’images, l’atmosphère californienne devient un prétexte à la méditation jusqu’à la divagation. Il laisse vaguer ses yeux, du corps nu d’une femme dans une chambre à coucher à une fenêtre panoramique qui s’ouvre sur la baie de San Francisco.

L’autre grande géographie de George Oppen est européenne. Pour cet ami de la France, cette géographie est surtout une fièvre hexagonale. Cet attachement à la patrie des droits de l’homme fait sa popularité auprès de poètes français qui font monter la cote de George Oppen. En province, le couple Oppen fait des haltes touristiques qui deviennent une poésie de circonstance. Le touriste américain visite les Alpes dont il retrace l’expérience à travers le poème « Scène alpine » du recueil de 1965 « De ce qui », ou encore « Chartres » dans le recueil « Les matériaux » de 1962. Dans le poème « Le calembour historique » du recueil « D’être en multitude » de 1968, George Oppen porte les habits d’un amoureux parisien :

Le printemps gagne les Buttes-Chaumont
Tous les matins les enfants surgissent
Dans les parcs

Paris est risible et beau, les feuilles de tous les arbres de la ville agitées par le vent
Les filles ont de jolies cuisses, de jolies jupes, tout simule le courage –