Cette semaine est celle de la francophonie inaugurée hier par Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, dont la marraine est cette année Marguerite Abouet, Ivoirienne et auteure de bande dessinée, déjà récompensée à Angoulême en 2006.

Mais c’est d’une poétesse luxembourgeoise dont je voudrais parler aujourd’hui, Anise Koltz, née en 1928 au Grand Duché de Luxembourg, poète germanophone jusqu’à la fin des années 1970 pour devenir à part entière une poétesse francophone. À l’occasion du 50e anniversaire de la collection « Poésie Gallimard », vient de paraître parmi beaucoup d’autres livres anniversaires, Somnambule d’un jour. Poèmes choisis. Je ne suis pas seul à penser qu’il faudrait, en particulier cette semaine bien sûr, faire connaître cette poétesse aux enfants, aux écoliers, aux collégiens, aux lycéens aussi, car ce recueil est une leçon de vie pour tous et d’abord pour les jeunes gens et les jeunes filles de notre pays. Il dit en poésie la vie et la mort, les amours et les deuils, les incertitudes et les doutes, les métaphores et les comparaisons d’une femme née juive, qui vit depuis sa naissance au Luxembourg, d’où elle sillonna le monde comme pour en faire des poèmes.

Anise Koltz a réussi un exploit, car un vrai poète qui change de langue est une des choses les plus rares, sauf peut-être quand il a deux langues différentes, la maternelle et la paternelle. Le livre est composé de poèmes tirés majoritairement de son œuvre francophone sauf pour le premier chapitre « Le cirque du soleil » publié d’abord en 1966 dans la célèbre collection bilingue dirigée par Pierre Seghers « Autour du monde », traduit par Andrée Sodenkamp.

Ouvrons ici le chapitre « L’autre temps ». Anise Koltz a sélectionné une dizaine de poèmes tout au plus, qui nous parlent de Vienne, Venise, de sa mère, du langage… Dans ce florilège, elle consacre neuf lignes à un site rare : Hampi, dans l’Inde. Sur ce lieu, ne restent que d’impressionnants vestiges de la capitale d’une ancienne dynastie, les Vijayanagar – cité de la victoire – érigée par ses généraux en 1336, puis réduite à la solitude des semi-ruines dues à la victoire des armées de l’islam en 1565. Pourtant ni la tradition ni le style Vijayanagar ne moururent. Ils furent repris par la dynastie des Nayaka. Anise Koltz y a senti tout le mystère qui entourait ces ruines et leur métamorphose jusqu’à nous :

Nulle part
le silence des pierres
n’est plus éloquent
la désolation
plus somptueuse

[…]

Le temps assis sur un roc
se repose d’être le temps (p.55).

Ni Nelly Sachs, prix Nobel de littérature, ni Ingeborg Bachmann, ni Paul Celan, n’ont écrit leur œuvre de cendres et de feu, dans notre langue française. Parmi les poètes qui vinrent d’une autre langue pour dire quelque chose de/ou autour de l’extermination des Juifs, il y eut en France Benjamin Fondane, né en Roumanie, assassiné à Auschwitz-Birkenau en 1944, comme il y a Anise Koltz. Jorge Semprún avait aussi donné au retour des camps, quelques poèmes en français. Il y eut dans le vaste domaine de la négritude, Aimé Césaire et Léopold Sedar Senghor, qui choisirent la langue française pour faire œuvre poétique et littéraire. Anise Koltz a donc choisi le français, la francité poétique, pour dire ce feu, ce tourment inlassable, cette folie du monde et des hommes, ce non-sens inexorable, cette perte vertigineuse de Dieu et, ce faisant, bâtir une seconde œuvre poétique à côté de sa part germanique. Lisons justement ces vers dans une langue si calme pour signifier ce qu’il y a de pire peut-être pour des milliards d’êtres humains :

Dieu a sorti l’homme
de terre
pour pouvoir lui parler

Lorsque l’homme fut de taille
à lui répondre
Il l’a recouvert
de terre (65)

Puis cet autre :

Où est Dieu ?
Sur chaque porte d’église
nous avons cloué
son portrait-robot
celui de l’absence (75)

Mais il y aussi celui-ci proche de Celan :

Je ne crois plus en Dieu
désormais
ce sera à Lui
de croire en moi (119)

Qui a dit récemment en titre d’article qu’être poète aujourd’hui c’est « un sport de combat » ?
Il ou elle a si bien compris.

Anise Koltz écrit encore ceci… Vous me direz que je cite beaucoup, mais comment en une page vous faire entendre la voix d’une immense poétesse si je ne vous donne pas l’envie de courir à la première librairie pour acheter son recueil qui pèse si peu car il est impondérable mais s’il est impondérable c’est qu’il est aussi de l’ordre de l’indicible. L’indicible a pour particularité qu’il faut non seulement le Dire mais encore l’Entendre pour qu’il ne soit pas lancé dans le désert à des pierres ou à des sables tyrannisés par la chaleur.

Alors, oui, lisons encore ces lignes :

Je dédie mes poèmes
à tout ce que je ne comprends pas

À tout ce qui existe
et que je ne vois pas

Je les dédie au silence
qui se trouve au fond
de chaque fracas (219)

Qu’ajouter qui vaille la peine ? Pas un mot. Tout est dit.

Tout est signe/Il n’appartient qu’à ceux/qui savent le déchiffrer (236)…

2 Commentaires

  1. Un écrivain originaire d’un pays où le français n’est pas la langue parlée et qui décide d’écrire en français, est-il vraiment un écrivain de la francophonie ?

  2. Quelle belle occasion de célébrer notre langue partout dans le monde ! Et de découvrir des écrivains, comme cette poète allemande. Merci.