De la condamnation d’Alfred Dreyfus 1894 au procès de Rennes (1899)

Le 3 juin 1899, la Cour de cassation casse le jugement du 28 décembre 1894 qui avait condamné Dreyfus pour trahison et le renvoie devant le Conseil de guerre de Rennes. Celui-ci doit juger s’il s’est rendu coupable, en 1894, d’intelligence avec une puissance étrangère.

Le procès en révision s’ouvre le 7 août 1899, sous la présidence du colonel Jouaust. Parmi les juges figurent le lieutenant-colonel Brongniart, les commandants de Bréon et Merle, ainsi que les capitaines Parfait et Beauvais. Le commandant Carrière, commissaire du gouvernement, fait face aux avocats de Dreyfus, Fernand Labori et Edgar Demange. Cent officiers et vingt civils sont cités comme témoins. Le public, composé de nombreux journalistes étrangers, de prêtres et de femmes, assiste en nombre à ce procès hors norme.

Le 9 septembre 1899, après délibération, Dreyfus est de nouveau condamné à dix ans de détention avec circonstances atténuantes, à la majorité de cinq voix contre deux. Cette décision provoque une onde de choc en France et à l’étranger. Jean Jaurès s’indigne :

« Il est extraordinaire et sans précédent que l’arrêt qui attribue à Esterhazy le bordereau sur lequel, en 1894, Dreyfus a été condamné, n’ait pas trouvé dans l’organe du Ministère public à Rennes le défenseur qui était dû à la Cour de cassation. »

Dès l’annonce du verdict, l’indignation éclate et des manifestations ont lieu dans une vingtaine de capitales étrangères.

Nuance sur la mobilisation populaire

Si l’Affaire Dreyfus a profondément divisé la société française et suscité une mobilisation exceptionnelle des intellectuels, journalistes et militants politiques, il convient de nuancer l’idée d’une mobilisation populaire massive dans l’ensemble du pays. Les grandes villes, en particulier Paris, furent le théâtre de manifestations, de meetings et de débats publics très suivis, mais en dehors des centres urbains l’engagement actif fut plus limité. De nombreux travaux montrent que, dans les campagnes et les petites villes, l’affaire est souvent perçue comme lointaine, voire incomprise, et que l’indifférence ou la lassitude prédominent parmi les classes populaires. Néanmoins, la diffusion d’articles, de pétitions et de lettres de soutien, y compris en province, atteste que le débat a touché des cercles plus larges que les seules élites, sans pour autant se transformer en mobilisation de masse.

L’Exposition universelle de 1900 : une trêve nationale

Le 15 avril 1900, le président de la République, Émile Loubet, inaugure l’Exposition universelle, entouré des ministres. L’événement, qui s’étend sur tout le quartier du Gros-Caillou, des Champs-Élysées au Champ-de-Mars, offre plus de trente-six portes d’entrée, dont la principale, la « porte Monumentale », se dresse au sud-ouest de la place de la Concorde. Surplombée par la figure allégorique « Ville de Paris » de Moreau-Vauthier, l’Exposition recrée une « Rue de Paris » dédiée au divertissement, remplaçant l’exotisme de 1889 par l’esprit du cabaret.

Le Figaro du 14 avril s’enthousiasme :
« L’Exposition universelle ne sera pas seulement un gage de paix nationale d’où sortiront l’apaisement et la concorde, elle est aussi une garantie de paix internationale. Lorsque demain, des hommes venus de tous les coins du monde défileront au milieu de ces merveilles, ils comprendront que les nations n’ont pas été mises ici-bas pour s’entretuer, mais pour s’entraider, et que puisque les hommes sont les fils du même père, tous doivent se conduire en frères. »

Pour beaucoup, l’Exposition apparaît comme une trêve salutaire. La majorité des Français souhaite tourner la page d’une affaire qui a tant divisé. Depuis la grâce de Dreyfus, le 19 septembre 1899, l’Affaire semble close.

De la grâce à l’amnistie

Sept mois après la grâce, l’amnistie est votée pour tous les faits liés à l’Affaire. Il est essentiel de rappeler que la loi d’amnistie adoptée en décembre 1900 s’appliquait à l’ensemble des protagonistes de l’affaire, y compris Alfred Dreyfus lui-même. Présentée comme un moyen d’apaiser les tensions et de « tourner la page », cette mesure fut cependant vivement contestée par une partie du camp dreyfusard. Beaucoup y voient une négation de la justice, une manière d’effacer les responsabilités sans rétablir l’honneur des victimes de l’erreur judiciaire. Pour Dreyfus et ses soutiens, l’amnistie apparaissait comme une injustice supplémentaire, puisqu’elle empêchait toute poursuite judiciaire contre les véritables coupables et semblait placer sur un pied d’égalité les victimes et leurs persécuteurs.

Les notes du président du Conseil, Pierre Waldeck-Rousseau, en donnent la clé : il s’agit de «  mettre fin aux poursuites qui sont le legs de l’affaire Dreyfus » et de « liquider l’Affaire ». Selon lui, « l’agitation s’est éteinte » grâce à la grâce présidentielle, conforme au vœu du pays. Mais il redoute que de nouveaux procès, comme ceux de Zola ou intentés par la veuve du lieutenant-colonel Henry, ne ravivent le scandale. L’amnistie, écrit-il, « ne procède ni de la justice ni de la clémence, mais seulement de la raison d’État et de l’intérêt politique. Il est préférable d’oublier. »

Le 19 septembre 1899, le président de la République Émile Loubet signe la grâce. Dreyfus, convaincu par son frère Mathieu et soutenu par Joseph Reinach et Bernard Lazare, accepte de retirer son recours en révision. Le lendemain, il publie ce texte, rédigé par Jaurès :

« Le gouvernement de la République me rend la liberté. Elle n’est rien pour moi sans l’honneur. Dès aujourd’hui, je vais continuer à poursuivre la réhabilitation de l’effroyable erreur judiciaire dont je suis encore la victime. Je veux que la France entière sache, par un jugement définitif, que je suis innocent. »

Dreyfus est libre, mais le camp dreyfusard se divise. Certains, tel Maître Labori, restent insatisfaits. L’opinion publique se détourne de l’Affaire, désormais réduite à un « cas Dreyfus ». La recherche des vrais coupables est écartée au profit de l’amnistie.

Le capitaine Alfred Dreyfus (deuxième à droite) s’entretient avec le général Gillain (au centre) après avoir reçu la Légion d’honneur lors d’une cérémonie marquant la réhabilitation de Dreyfus, à l’Ecole militaire de Paris, le 21 juillet 1906. Photo : AFP.

La réhabilitation judiciaire et la cassation sans renvoi

Le 5 mars 1904, la découverte de nouveaux faux dans le dossier relance l’affaire. La Cour de cassation accueille une nouvelle demande en révision et ordonne un supplément d’enquête. Pendant plusieurs mois, elle recueille les témoignages de nombreux généraux et personnalités politiques.

Au printemps 1905, le procureur général Baudoin dépose son réquisitoire. Deux options s’offrent à la Cour : casser le jugement de Rennes et renvoyer Dreyfus devant un troisième Conseil de guerre, ou bien casser sans renvoi. L’avocat de Dreyfus, Maître Mornard, plaide pour la cassation sans renvoi, tout comme le procureur général, afin de mettre un terme définitif à l’erreur judiciaire.

En juin 1906, la Cour de cassation, par 31 voix contre 18, casse le jugement de Rennes sans renvoi. Il faut souligner le caractère exceptionnel de cette décision : la cassation sans renvoi n’est prononcée que lorsque l’annulation du jugement ne laisse subsister aucune charge, aucun élément susceptible d’être qualifié de crime ou de délit. En l’occurrence, la Cour a estimé qu’aucune faute ne pouvait être retenue contre Dreyfus, rendant inutile tout nouveau procès. Ce choix, soutenu par le procureur général et les avocats de Dreyfus, visait à mettre un terme définitif à l’affaire et à proclamer solennellement l’innocence du capitaine, après plus d’une décennie de controverses et d’erreurs judiciaires.

Le 12 juillet, le président Ballot-Beaupré lit l’arrêt solennel :

« Attendu, en dernière analyse, que, de l’accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout ;
Et que l’annulation du jugement du Conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse, à sa charge, être qualifié crime ou délit ;
[…] Annule le jugement du Conseil de guerre de Rennes qui, le 9 septembre 1899, a condamné Dreyfus à dix ans de réclusion et à la dégradation militaire […] Dit que c’est par erreur et à tort que cette condamnation a été prononcée. »
L’arrêt est publié au Journal officiel du 16 juillet 1906.

Réintégration et reconnaissance

Le 13 juillet 1906, la Chambre des députés vote à une large majorité la réintégration de Dreyfus dans l’armée, avec le grade de chef d’escadron (commandant), ainsi que celle de Picquart, promu général de brigade. Le Sénat confirme ces décisions.

Le 22 juillet 1906, Alfred Dreyfus reçoit la Légion d’honneur à l’École militaire, là même où, douze ans plus tôt, il avait été publiquement dégradé sous les cris haineux de la foule : « Mort aux Juifs ! »

La mort d’Alfred Dreyfus : un épilogue discret

Le 11 juillet 1935, Alfred Dreyfus meurt à l’âge de soixante-seize ans, entouré de sa femme Lucie et de ses enfants, Madeleine et Pierre. Si l’affaire qui porte son nom avait, un quart de siècle plus tôt, bouleversé la France et inauguré l’ère des grands événements médiatiques, sa disparition ne suscite que peu de réactions.

Dans L’Action française du 14 juillet 1935, Charles Maurras souligne que l’Affaire a eu des conséquences « anti-modérées, anti-propriétaires, anti-héréditaires, anticatholiques », mais aussi « antipatriotiques et antimilitaristes ». Le 19 juillet, Gringoire, dans un bref commentaire, décrit Dreyfus comme un homme « sans ressort, on dirait aujourd’hui un mou », dont le caractère « explique en partie son aventure ».

Pour le journal antisémite Je suis partout (20 juillet 1935), le silence de Dreyfus constitue « autant de preuves de sa culpabilité ». Le reste de la presse, pour sa part, s’abstient de tout commentaire rétrospectif sur l’Affaire et se contente, le plus souvent, de courts entrefilets, assimilant l’événement à un simple fait divers.

Photo d’archive non datée du capitaine Alfred Dreyfus en uniforme, prise dans un endroit inconnu après sa réhabilitation. Photo : AFP.

L’affaire Dreyfus sous l’Occupation…

Pendant l’Occupation, la mouvance maurrassienne et les milieux antisémites continuent de nier l’innocence de Dreyfus, à l’image de Lucien Rebatet qui voit en lui une calamité pour la France. L’affaire est alors instrumentalisée pour dénoncer l’antimilitarisme, l’anticléricalisme et la laïcité issus du dreyfusisme. D’autres écrivains comme Céline ou Daudet s’illustrent par leur virulence antidreyfusarde. Sous Vichy, les manuels scolaires sont expurgés de toute mention de l’innocence de Dreyfus, mais l’antidreyfusisme n’est pas central dans la propagande officielle, même si certains ouvrages antisémites restent diffusés.

Les collaborateurs et la mémoire de l’affaire

Des figures liées à l’affaire Dreyfus, comme du Paty de Clam, sont mises en avant par le régime de Vichy pour des postes liés à la politique antisémite. Parallèlement, la famille Dreyfus est directement touchée par la Shoah avec la mort de la petite-fille d’Alfred Dreyfus à Auschwitz. L’Occupation est aussi marquée par des commémorations antidreyfusardes, notamment autour de Drumont, et par la célébration de l’antisémitisme dans certains cercles journalistiques. Toutefois, l’historien Simon Epstein montre que des collaborateurs issus de la gauche n’étaient pas obsédés par l’antidreyfusisme, certains étant même dreyfusards. Charles Maurras, à l’annonce de sa condamnation en 1945, évoque la « revanche de Dreyfus ».

De 1945 aux années 1970 : silence et obstacles mémoriels

Après la guerre, l’affaire Dreyfus devient un sujet sensible et peu abordé publiquement jusqu’aux années 1970, en raison d’une censure officieuse sur les œuvres audiovisuelles. Le réalisateur Jean Chérasse témoigne des difficultés à produire un film sur Dreyfus, et relate le refus de donner le nom de Dreyfus à un lycée à Rennes. Ce n’est que plus tard que la ville organise des commémorations et rebaptise une rue en son honneur, révélant une lente évolution de la mémoire collective.

Portrait non daté d’Alfred Dreyfus. Photo : AFP.

La polémique autour de la statue de Dreyfus

Dans les années 1980, la proposition d’ériger une statue de Dreyfus suscite une vive polémique. L’œuvre, réalisée par Tim, rencontre des oppositions sur son emplacement, notamment de la part du ministère de la Défense, et reste entreposée plusieurs années avant d’être inaugurée au jardin des Tuileries. Peu après, la tombe de Dreyfus est profanée, signe de la persistance d’un antisémitisme violent dans la société.

L’antidreyfusisme de l’extrême droite contemporaine

L’affaire Dreyfus refait surface dans les débats publics, notamment à la suite d’un article controversé paru en 1994 dans une publication de l’armée, qui remet en cause l’innocence de Dreyfus. Cette position est soutenue par certains milieux d’extrême droite, qui continuent de considérer sa culpabilité comme un dogme et dénoncent la « conjuration maçonnique » ou l’interdiction de l’antisémitisme. Des auteurs comme François Brigneau, André Figueras ou Henry Coston perpétuent ces discours, parfois conspirationnistes, et publient des ouvrages à la tonalité violemment antidreyfusarde et antisémite.

Exemples de violence et de réécriture dans les années 1990

Des ouvrages violemment antidreyfusards continuent d’être diffusés dans les milieux d’extrême droite, comme lors d’une fête du Front national en 1991. Ces textes nient l’innocence de Dreyfus et accusent les Juifs d’avoir orchestré une opération contre la France et l’Église, prolongeant ainsi la tradition conspirationniste et antisémite.

Commémorations et mémoire officielle dans les années 2000

Depuis 1990, l’affaire Dreyfus s’est affirmée comme un pilier de la mémoire républicaine et du combat contre l’antisémitisme en France. Les commémorations se sont multipliées, notamment lors du centenaire du premier procès (1994) et du centenaire de la réhabilitation (2006), qui ont donné lieu à des journées d’études, des expositions, des publications et des hommages officiels. Ces événements ont permis de réaffirmer l’importance de l’affaire dans l’histoire nationale et d’insister sur la nécessité de transmettre ses leçons aux nouvelles générations.

Évolutions historiographiques et nouvelles recherches

Les années 1990 et 2000 ont vu un renouvellement majeur de l’historiographie. Des chercheurs comme Vincent Duclert ou Philippe Oriol ont publié des ouvrages majeurs et/ou des synthèses enrichies par l’ouverture de nouvelles archives publiques et privées, ainsi que par l’intégration de nouveaux témoignages et documents. Ce travail a permis de mieux comprendre les mécanismes de l’erreur judiciaire, le rôle des réseaux antidreyfusards, mais aussi la mobilisation des intellectuels et l’impact international de l’affaire, notamment sur le mouvement sioniste et la défense des droits de l’homme.

Cependant, les recherches récentes ne se limitent plus à l’opposition dreyfusards/antidreyfusards ou à la seule dimension judiciaire. Elles s’intéressent à la mémoire de l’affaire, à sa place dans la culture politique française, à la persistance de l’antisémitisme, ainsi qu’à la manière dont l’affaire continue d’être instrumentalisée dans les débats publics contemporains. L’étude du rôle des intellectuels, de la presse, des institutions militaires et judiciaires, mais aussi des répercussions internationales, a permis d’élargir la portée de l’analyse.

Eric Zemmour jette le soupçon sur l’innocence de Dreyfus

Cependant, des controverses subsistent, notamment dans certains milieux d’extrême droite qui persistent à remettre en cause l’innocence de Dreyfus, comme l’ont montré les polémiques suscitées par des publications ou des interventions médiatiques récentes. Ainsi, dans une série d’interventions médiatiques en 2020, Éric Zemmour a publiquement remis en cause l’évidence de l’innocence d’Alfred Dreyfus, relançant un vieux soupçon issu de la tradition antidreyfusarde de l’extrême droite française. Zemmour affirme que « ce n’est pas évident » et que « l’on ne saura jamais », tout en minimisant la dimension antisémite de l’affaire, qu’il présente comme une attaque contre un « Allemand » plutôt qu’un Juif.

Or, depuis plus d’un siècle, l’ensemble des travaux historiques et judiciaires démontrent l’innocence de Dreyfus, reconnue officiellement par la Cour de cassation en 1906. Les propos de Zemmour s’inscrivent dans une stratégie déjà observée dans les milieux d’extrême droite dans les années 1990, où la culpabilité de Dreyfus était encore défendue comme un dogme identitaire, notamment dans certaines publications et par des figures comme Georges-Paul Wagner, François Brigneau ou André Figueras.

Cette offensive idéologique, qui vise à relativiser voire à nier l’antisémitisme de l’affaire Dreyfus et à réhabiliter les figures du nationalisme français, a suscité une vive réaction de la société civile, des historiens comme Vincent Duclert, Philippe Oriol ou Marc Knobel et des associations, qui dénoncent une falsification de l’histoire et rappellent que l’innocence de Dreyfus ne fait plus débat dans la communauté scientifique.

Sur cette photo de famille, Lucie Dreyfus et son mari Alfred Dreyfus. La capitaine Dreyfus venait alors d’être libéré et sera bientôt réhabilité. Photo : Librairie du Congrès Américain.

Reconnaissance et réparations symboliques

Plus récemment, l’affaire Dreyfus a fait l’objet de nouveaux gestes de reconnaissance officielle. En 1994, une plaque commémorative a été apposée à Paris, et en 2000, une place Alfred Dreyfus a été inaugurée dans le 15e arrondissement.

En 2025, à l’occasion des 90 ans de la mort de Dreyfus, deux propositions de loi ont été déposées au Parlement pour l’élever au grade de général de brigade, afin de réparer l’injustice de sa réintégration à un grade inférieur en 1906. Une proposition de loi déposée par le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, sera examinée au Sénat dans les prochaines semaines dans l’objectif d’élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade. Un texte similaire est à l’ordre du jour ce lundi 2 juin, à l’Assemblée nationale à l’initiative de Gabriel Attal.

Ce débat parlementaire montre combien l’affaire reste un enjeu symbolique et politique, structurant la mémoire républicaine et les débats sur l’antisémitisme en France.

Cependant, cette unanimité a suscité des réserves et des critiques. Plusieurs élus, notamment du MoDem, ont dénoncé le risque que certains partis politiques cherchent à « s’acheter un brevet d’honorabilité » sur la mémoire de Dreyfus, en se dédouanant de leur propre passé ou en instrumentalisant l’affaire à des fins politiques contemporaines. Ils visent explicitement le Rassemblement national, accusé de vouloir blanchir son histoire liée à l’antisémitisme, et La France insoumise, soupçonnée d’utiliser la mémoire de Dreyfus pour des motifs électoralistes liés à l’antisionisme et au conflit israélo-palestinien.

Dreyfus : 1894 à 2025

L’affaire Dreyfus demeure l’un des moments fondateurs de la France contemporaine, révélant les fractures profondes d’une société confrontée à la question de la justice, de l’antisémitisme et de la loyauté républicaine. De la condamnation initiale à la réhabilitation, le parcours d’Alfred Dreyfus éclaire les mécanismes de l’erreur judiciaire, la puissance des passions collectives et la capacité de la République à se remettre en question.

L’analyse du déroulement de l’affaire met en lumière la mobilisation exceptionnelle des intellectuels et des élites urbaines, tout en rappelant que l’engagement populaire fut plus mesuré en dehors des grands centres. La grâce présidentielle, puis l’amnistie, illustrent la volonté politique de clore un dossier devenu explosif, mais aussi les limites d’une réparation qui, pour beaucoup, laisse un goût d’injustice et d’inachevé. La cassation sans renvoi de 1906, décision judiciaire d’une portée exceptionnelle, marque la reconnaissance officielle de l’innocence de Dreyfus et la victoire du droit sur l’arbitraire.

L’affaire a profondément bouleversé la vie politique, sociale et culturelle française, consacrant la naissance de l’intellectuel engagé et la consolidation des valeurs républicaines face aux forces réactionnaires. Elle a aussi révélé la persistance des préjugés antisémites, dont les résurgences, jusqu’à aujourd’hui, rappellent la nécessité d’une vigilance constante.

La mémoire de l’affaire, longtemps conflictuelle ou occultée, s’est progressivement imposée comme un pilier de l’histoire nationale et de la lutte contre l’antisémitisme. Les débats historiographiques récents, les polémiques contemporaines et les gestes de reconnaissance officielle témoignent de la vitalité de cet héritage, mais aussi des risques d’instrumentalisation politique.

Plus qu’un simple épisode judiciaire, l’affaire Dreyfus interroge la capacité d’une société à affronter ses propres errements, à reconnaître ses fautes et à défendre, contre vents et marées, les principes de justice et d’égalité. Sa portée pédagogique demeure intacte : elle invite à la lucidité, à la rigueur et à la responsabilité, tant pour l’historien que pour le citoyen.

Marc Knobel est historien, chercheur associé à l’Institut Jonathas de Bruxelles.

Bibliographie sélective

Léon Blum, Souvenirs sur l’Affaire, Gallimard, 1993.
Jean-Denis Bredin, L’Affaire, Fayard, 1983.
Isabelle Cahn, Philippe Oriol (dir.), Alfred Dreyfus. Vérité et justice, Paris, Gallimard/musée d’art et d’histoire du Judaïsme, 2025.
Michel Drouin (dir.), L’Affaire Dreyfus de A à Z, Flammarion, 2006.
Vincent Duclert, Alfred Dreyfus. L’honneur d’un patriote, Fayard, 2006.
Vincent Duclert, L’Affaire Dreyfus, 5e édition actualisée et augmentée, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2025.
Alfred Dreyfus, Cinq années de ma vie. 1894-1899, rééd. Calmann-Lévy, 1994.
Marc Knobel, « Il y a toujours des antidreyfusards », L’Histoire, n°173, janvier 1994, pp. 116-118.
Marc Knobel, « Lorsqu’Éric Zemmour jette le soupçon sur l’innocence d’Alfred Dreyfus », La Revue des Deux Mondes, 22 octobre 2021.
Michael R. Marrus, Les Juifs de France à l’époque de l’Affaire Dreyfus, Calmann-Lévy, 1972.
Philippe Oriol, J’accuse ! Émile Zola et l’Affaire Dreyfus, Librio, 1998.
Philippe Oriol, L’histoire de l’Affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, Paris, Les Belles Lettres, 2019.

Alain Pagès, L’Affaire Dreyfus. Vérités et légendes, Paris, Perrin, 2019.
Élisabeth Weissman, Lucie Dreyfus. La femme du capitaine, Paris, Textuel, 2015.
Émile Zola, J’accuse… ! Les grands textes de l’Affaire Dreyfus, présentés par Philippe Oriol, Librio, 2010.

3 Commentaires

  1. L’Agauche aux abois part à la pêche aux témoignages contradictoires dans la bande orchestralement autochaotisée par l’ennemi d’Israël et de tous ceux qui se reconnaissent en lui. Toute guerre délivre son lot de déserteurs ; aussi les justes n’y font-elles pas défaut.
    Les Juifs palestinistes ont promu sur l’échelle du crime, en tant qu’assassin de son propre peuple — comme c’est original ! — un chef de gouvernement autour duquel les oppositions de n’importe quelle autre nation auraient appelé à l’Union sacrée dans un contexte équivalent. Mais camarades, le fratricide de masse, ce serait a contrario de s’interdire la riposte adaptée à une guerre d’agression omnifrontale.
    Ravitailler l’Allemagne nazie en juin 1944 eût été certes humanitaire, humaniste en un sens, humain, on en doute fort. On peut tenter de reprendre le cours d’une discussion civilisée avec un tyran patenté qui semble être revenu à la raison, dès lors que cet irréductible alter ego vous considère comme le représentant légitime d’une nation souveraine, chef élu, de surcroît, d’un État de droit démocratique. Est-ce le cas entre Russes et Ukrainiens ? Nous verrons bien. Dieu merci, ce ne le sera jamais entre Daechiens de l’enfer et moi.
    La raison d’être des populations arabophones de feue la Palestine est d’obtenir un État panarabe dont la porosité avec l’idéologie millénariste de l’Oumma causerait à terme la disparition pure et simple de l’État juif.
    Les réflexes proprement édifiants de l’AP face aux attaques génocidaires du 7 octobre 2023, privent a posteriori l’actuel leadership djihado-palestinien, toutes tendances confondues, des droits auxquels un peuple digne de ce nom pourrait prétendre en vue d’une reconnaissance en tant que tel et de l’obtention d’un État-nation de la part d’une communauté internationale qui ne serait pas devenue l’Organisation antijuive de facto que l’on sait.

  2. Nous approuvons l’insistance rayonnante, aveuglante jusqu’à s’en aveugler soi-même, des promoteurs de la démocratie mondiale à soutenir le vain, bien qu’honorable effort diplomatique visant à rabattre les États sponsors du terrorisme islamique dans l’enclos du droit international, conditionnant ainsi la normalisation de nos liaisons dangereuses au fait que cette exoplanète Oumma, que traversent des guerres intestines qui n’ont jamais sérieusement entamé son unité en tant qu’elles rappellent le combat des mâles qui se disputent les faveurs d’une femelle du troupeau, abandonne tout de go ses prétentions à la succession de Muhammad, à commencer par la Contrarreconquista en Terre sainte hébraïque, les Arabes ou a fortiori les Aryens n’ayant jamais été les descendants ni davantage les héritiers légitimes des Hébreux, sinon peut-être au détour d’un délire syncrétique persistant.
    S’ils l’étaient, ils ne contesteraient aux Juifs ni leur foyer ni leur nation, ni leur histoire ni leur géographie ou céleste ou terrestre, ni leur indiscutable souveraineté.
    Le problème de l’éthique est en effet au cœur du conflit qui oppose Israël aux Nations palestinistes, et nous ne désespérons pas que l’État juif soit réhabilité, un jour lointain ou proche, après que ses vils contempteurs auront rendossé le crime d’intelligence avec le diable pour lequel ils l’avaient unanimement banni.
    Ces mêmes pays qui accusaient Netanyahou d’avoir non seulement occulté le seuil de l’horreur, mais engendré le 7-Octobre en se montrant trop complaisant avec ses planificateurs, le somment déjà de pacifier ses relations avec l’organisation terroriste n° 1.
    Ils oseraient exiger d’Israël, ne pouvant plus dire qu’ils ne savaient pas après la transmutante bascule, un cessez-le-feu immédiat avec la Palestinazie.
    Alors même que les mêmes causes entraînent, à quelques exceptions près sur lesquelles vous nous pardonnerez de ne point trop tabler, les mêmes effets.
    Au moment même où, inhumainement recroquevillée sous un tapis de boucliers humains dont le lait israélophobe ressort des naseaux d’or, l’entreprise de victimisation hitléro-wokiste poursuit sa tentative de shoatiser la risposte légitime de l’État résilient des survivants d’un génocide réel.
    Comme quoi, chez les cavaliers d’élite, sûr d’eux-mêmes et dominateurs que furent ces peuples indo-européens adeptes des dieux crépusculaires et tout aussi indétrônables dans le domaine de l’élevage des chevaux, le syndrome du coupeur de têtes reviendra toujours au galop.

  3. Alfred Dreyfus a mille fois mérité le grade de général de brigade, ne serait-ce que pour son seuil de résistance anormal à une fraternité d’armes qui aurait pu lui ôter, avec l’océan d’espoir qu’il avait placé en elle, sa dernière étincelle de confiance envers la patrie des Lumières et d’un certain esprit des lois dont les gammes enharmoniques chevauchent notre disparité jusqu’au tréfonds de nos âmes.
    Or, il serait délétère que l’on enterre l’affaire à laquelle le nom du capitaine Dreyfus demeure indissociable en conservant de lui l’image d’un général de France qu’il ne saurait, hélas, avoir été. Si ce héros national absolu qu’est devenu le lieutenant-colonel Dreyfus dépasse en vertus militaires nombre de nos hauts gradés, c’est pour beaucoup grâce à une aptitude quasi surhumaine à ne pas dévier de sa route face au légitimisme suicidaire d’un État obsessif, compulsif et failli ; pour le dire autrement, une capacité à remettre dans le droit chemin un État déviant. Ceci, aucune dérive des sciences historiques ne parviendra à le rayer d’un trait de plume woke sans s’effacer du même hyperespace que ses apôtres auraient emprunté a priori pour accomplir leur plan, aussi inexécutable qu’il fût.
    La Catin du Qatar attend qu’on s’aligne avec elle sur cette équidistance parfaite entre bien et mal, concept erroné s’il en est dont se fend la Garbage Diplomacy. Selon elle, de même qu’il serait inepte de s’obstiner à vouloir faire remonter l’islamisme aux sources de l’islam, religion de paix (millénariste et par là même totalitaire, sauf à entreprendre une réforme transcourant, dont nous ne voyons pas le début de l’amorce d’un soupçon de commencement), il n’y aurait pas de continuum entre le mal et le mal radical. On en arriverait presque à se convaincre que le mal se situe aux antipodes de la version la plus pure de lui-même ; qu’il en serait, en quelque sorte, l’antithèse.
    Nous devons en finir avec ce naufrage en-même-temporel auquel nous réexpose inexorablement un multilatéralisme d’idéologie dont le piètre pragmatisme prête le flanc à l’entrisme politique et cultuel sous couvert de multiculturalité mâtinée d’équité, de libéralité et d’intersubjectivité.
    Nous ne renonçons pas à défendre la devise de feue la République, et pour cause ; l’ultime bataille est une ligne de front projetée, dès lors que cette dernière se recoupe brusquement avec le coin de la rue, la cage d’ascenseur et le bureau ouvert.
    Il fut un temps où des Labro inculquaient à leur petit garçon l’art de tenir sa langue devant la soldatesque allemande qui réquisitionnait le premier étage de sa maison, tandis qu’une famille juive s’y terrait à la cave. La France d’Emmanuel Macron nous renvoie au maquis d’une tout autre façon, quand elle reprend l’(agit-prop)alestinien et jette à un parangon de vice le Juif sordidement nazifié. L’antisémitisme d’État est une constante multiverselle au sens où plusieurs mondes peuvent se superposer au sien sans causer sa disparition. Quelques-uns d’entre ces mondes s’avéreront être irréconciliables, sans pour autant qu’ils se soient révélés inconciliables, une aporie des plus vertigineuses, effarantes, explosives.
    Nous ne sommes pas la seule civilisation qu’ait bâtie un groupement d’être humains plus ou moins naturellement agrégé au sommet de la chaîne alimentaire. OK. Nous ne constituons pas le seul et unique modèle culturel de la planète ; Fatah ou Hamas en représentent un autre. Ça nous fait une belle jambe ! Quoique, on pourrait, à la limite, respecter ça ou, pour être plus précis, le tenir en respect ; et par ça, j’entends une Organisation de Libération de la Peste qui n’a jamais renoncé au terrorisme armé par sous-branche interposée, ou à travers cette Propagandastaffel en odeur de sainteté auprès d’un antidreyfusardisme glandulaire que nous n’aiderons pas, pardon, à se draper dans le J’accuse… antinetanyahiste, antisioniste et antijuif des humanisés de la dernière heure.