Avec Barthes, et depuis ses nombreuses études du matériau mythologique offert par ce qu’on appelait en son temps société de consommation, nous pouvons convenir que « le monde », le monde « bourgeois » selon les Mythologies, se présente à nous comme une immense accumulation de signes, retors et inattendus, un langage par quoi se parlent les idéologies. Accorder à l’entreprise sémiologique validité et fiabilité, y reconnaître l’effort d’une intelligence soucieuse de questionner des évidences sociales, politiques, culturelles, n’implique aucune allégeance à la discipline elle-même – dont on peut faire aujourd’hui un usage libre et fécond, sans se leurrer sur ses limites et ses partialités.
Quelques séquences récentes, plus ou moins anecdotiques, et apparemment incongrues, ont semblé appeler à un déchiffrement de type sémiologique, avant même que la réflexion politique proprement dite puisse en dire quelque chose. Pour en comprendre minimalement l’apparition sur la scène publique où s’échangent les opinions et les points de vue, mais aussi les images, ce décryptage est très utile. La pensée qu’il mobilise doit se confronter à une certaine innocence des objets. Il s’agit, avec cette entreprise analytique, d’inscrire leur évidence et l’innocence de sa représentation dans des systèmes sémantiques sédimentés, de les plonger dans le fleuve tempétueux de la vie des signes. A cette condition, peut-être, on pourra troubler la stabilité desdits objets, non pas seulement dénoncer une ignominie ou s’indigner en observant des contenus, des signifiés univoques, mais en y remarquant une facture, une disposition, par où leurs significations idéologiques se laisseraient finalement mieux approcher.
Je voudrais me rapporter ici à deux séquences récentes, dont je présume qu’elles ne sont pas isolées.
Le 8 mai dernier, jour anniversaire de la capitulation du IIIème Reich, le rappeur américain Kanye West publiait un nouvel album, Cuck, lequel comprenait un single intitulé « Heil Hitler ». Le titre était sans équivoque et n’appelait par lui-même à rien d’autre qu’à son immédiate signification. Un clip l’accompagnait, vu des millions de fois en quelques heures. On y voyait des noirs américains vêtus en peau de bête et scandant ce « Heil Hitler ». La vidéo s’achevait par un extrait d’un discours du Führer. En 2022 déjà, le rappeur avait appelé à « arrêter de diaboliser les nazis tout le temps » et disait sans ambages son admiration pour « les qualités rédemptrices » d’Adolf Hitler, son charisme et son programme.
Le discours ainsi tenu est sans originalité, sans surprise. Il est, depuis la défaite historique du nazisme, celui de tous les néo-hitlériens, des nostalgiques de la croix gammée, des révisionnistes et autres fascistes. Rien de nouveau ? Le neuf n’est pas dans ces paroles anciennes, ni le vin nouveau dans ces vieilles outres. Il se signifie très radicalement par une symbolique inédite. L’antienne national-socialiste n’est pas entonnée par une « bête blonde » mais par un rappeur noir.
Un rappeur, par lui-même c’est-à-dire par sa dénotation propre, et de surcroît dans ses connotations multiples, signifie à la façon d’un « mythe », autant que l’abbé Pierre pour Barthes dans les années 1950. Un « mythe », ici, c’est une forme, un mode de signification qui ne se définit pas par l’objet du message signifié, mais par la façon dont celui-ci se signifie, à travers des syntagmes, des combinaisons signifiants-signifiés : rappeur noir/populations « défavorisées »/quartiers « difficiles »/oppression blanche/séquelles de la colonisation/actualité du décolonial, tous signes agglomérés en un modèle de représentation intégré à une esthétique et à une politique. Des éléments « iconographiques » et des « circuits mythologiques » – comme pour Poujade, Minou Drouet, le plastique ou l’astrologie des Mythologies, comme pour l’abbé Pierre[1] – structurent ces formes et les autonomisent dans leur statut signifiant. Une accumulation de signes se trouve ainsi mise à disposition et disséminée dans ses consommations de masse, selon une économie de la signification très singulière. Son métabolisme n’a même pas à s’embarrasser de la propagation de contenus idéologiques ou militants, de propagande, ou fort peu. Il suffit, selon sa morphologie et sa vocation intrinsèque, de plier la (bonne) conscience de ceux qui écoutent ou regardent Kanye West à un système général où le rappeur et l’hitlérisme font immédiatement office de signes signifiés, sans considération ou presque de leurs usages signifiants. Sans pensée ni remords, une juxtaposition du signifié et du signifiant se substitue au travail de leur médiatisation.
Politiquement le télescopage réussit l’impossible et produit un monstre idéologique, mais pas sémiologique – le nazisme d’un rappeur black, les connotations de gauche d’un hitlérisme habituellement autrement dénoté. Les signes échappent à la réalité historique, mais aussi à la justice ou à la vérité des discours.
Ce même phénomène de juxtaposition signifiant / signifié, on a pu en faire à nouveau le constat le 23 mai dernier sur le mur d’un quartier de Montpellier, couvert de tags et de graffitis militants. L’équivalence de l’antisémitisme et de l’antisionisme, souvent discutée, parfois discutable, s’y représentait selon un régime de signification qui la signifiait comme indiscutable. On y voyait, ensemble et côte à côte, une croix gammée, un portrait bienveillant de Hitler faisant le salut nazi en direction d’un drapeau palestinien, les slogans convenus de toutes les manifestations en faveur du peuple palestinien, « Free Palestine », « Gaza vivra », « Israël tueur », « Nique Netanyahou ».

Cet inventaire d’images et de mots donnait à voir une quasi-fresque où coexistaient les signes de deux registres historiquement distincts, ceux du national-socialisme hyperraciste, hypersuprémaciste, hyperblanc – et terriblement meurtrier – et ceux du décolonialisme, palestiniste en l’occurrence, censément antiraciste et diversitaire. L’un est soudainement soluble dans l’autre, en deux sens et pour mieux faire sens. L’oxymore politique est à son comble. Invraisemblable, sa « vérité » effective saute pourtant aux yeux de qui veut bien regarder.
On pourrait ne voir dans ces séquences du rappeur américain et du mur de Montpellier qu’une aberration des signifiés, un court-circuit sans signification idéologique, culturelle ou politique. Ce serait s’interdire de comprendre le procès de signification emporté par la juxtaposition des signes qui le constituent. Dans les deux cas, l’acte qui unit signifiant et signifié produit un ensemble symbolique et en fabrique la cohérence inédite. Un sens nouveau émerge dans ces deux laboratoires sémiologiques où se concocte ce que Barthes appelait « la cuisine du sens ».
Ce sens nouveau excède la logique des idées, l’idéo-logique. Il ne la dément pas ni ne la dénie mais la suractive innocemment. Peut-être même en révèle-t-il un aspect de vérité, une face cachée, invue, insue, avant le travail de son déchiffrement sémiologique. Une lecture sensible de ces séquences consistera à laisser d’abord résonner, de ces signes, les différences spécifiques, la prime hétérogénéité, puis de saisir leur « sens » et leur saveur en observant comment ils s’entre-accomodent, au sens gastronomique, selon une « cuisine » inaccoutumée mais peut-être appelée à une vaste reconnaissance pour ses amateurs à venir. On pourra se récrier, je viens de l’envisager, et considérer que mes deux exemples sont trop rares pour servir d’échantillons, qu’ils sont isolés, et peu significatifs. « Ce n’est pas parce qu’un phénomène est rare qu’il signifie moins », observait Barthes[2]. D’autant plus que cette rareté est en forte décroissance et que ledit phénomène, une gauche hitlérienne (!), une fois mis en rapport avec d’autres phénomènes à lui associés par opposition ou par corrélation, pourrait bien rapidement passer du statut de simple indice à celui, autrement pertinent, de signe. Ce passage s’effectue par l’adjonction à une polarité binaire quelconque, x ≠ y, ici gauche ≠ hitlérisme, de ses possibles dérivés, ni x ni y, ou, en l’occurrence, x et y à la fois. Les oppositions terme à terme ont souvent la fragilité des grands monuments historiques, vouées à ne pas durer toujours malgré leur apparente permanence patrimoniale. Si l’on s’en tenait à un point de vue philosophique classique, hégélien par exemple, l’œuvre historique du sens consisterait à surmonter les séparations par une réconciliation qui n’en reconduirait pas les formes objectivées. L’Esprit, déséparateur-réparateur par essence, assurerait tranquillement ce surmontement de l’extériorité du non-identique. Ici, il en va tout autrement. « L’aventure » spéculative et dialectique atteint rapidement la limite de son efficacité explicative. « L’aventure sémiologique » en revanche, si elle n’est pas indifférente aux objets séparés, est surtout attentive aux mutations sémiologiques dont ils témoignent. C’est là, dans l’apparemment insignifiant, qu’elle discerne l’apparition du nouveau.
Les objets qu’elle cerne font circuler des contenus et des informations, bien sûr, mais ils donnent d’abord sens aux choses qu’ils signifient. Ils constituent des systèmes de signes – par différence, par neutralisation, par simultanéité. Les sens interdits et les voies sans issue sont aisément convertibles en boulevards du sens – d’une intelligence des circulations l’autre. Sémiologiquement (politiquement, c’est une autre affaire), on peut être aujourd’hui décolonial et hitlérien.
[1] R. Barthes, Mythologies, Seuil, 1957
[2] R. Barthes, L’aventure sémiologique, Seuil, 1985 p. 234.
Faut-il être à court d’arguments pour en chercher désespérément qui puissent justifier la dernière guerre coloniale.
L’Acommunauté s’indigne du fait que les Benéi Israël s’arrogent le droit de coloniser leur propre foyer historique, une terre où s’attarderont les colonies de peuplement fantômes d’un empire ottoman que les vainqueurs de la Grande Guerre avaient pourtant sévèrement démantelé après huit décennies de terrorisme maritime ayant pourri la vie, entre autres incarnations du Corrupteur, aux deux derniers leaders d’une économie mondiale que domineraient successivement, à partir de 1837, les impérialismes britannique, puis américain, au sens purement géostratégique de la notion d’empire en ce qui concerne l’hyperpuissant Oncle protectionniste et protecteur des nations, à moins qu’elles ne menacent l’hégémonie mondiale du camp de la démocratie et des droits de l’homme, et le contrôle tacite que les États-Unis exercent sur ce dernier sans remettre en cause l’aporétique principe de souveraineté supranationale.
Les Russes ont russifié l’Ukraine de la même manière forte que les colonies de peuplement errantes du Méta-Empire sunno-chî’ite déguisées en vagues migratoires d’autant plus intarissables qu’on ne les envisage plus que sous l’angle humanitaire, ont été investies de la mission d’arabiser ; litt. « islamiser » (panarabe littéraire) les derniers mécréants de la planète Oumma, à l’exception des fondateurs du monothéisme que l’on sait hermétiques à la conversion et pour lesquels on réservera donc le traitement radical adapté au règlement du problème qu’ils ne cesseront jamais de poser aux planificateurs d’une Pax Islamica sans alternative concevable.
Zelensky est le genre de Juif qui peut se féliciter de réussir à mettre l’Union européenne dans sa poche en offrant à une ex-colonie russe convertie en république socialiste soviétique, avant qu’elle ne recouvre ses esprits, puis l’élise à sa tête, une dernière chance d’expier par procuration plusieurs siècles de récidive pogromiste et des poussières non moins glaçantes de collaboration passive, ou proactive, à la Shoah par balles — on lui tire notre chapeau, tout en encourageant le grand peuple ukrainien à ne pas s’arrêter en chemin sur la longue voie de la rédemption — et l’on ne désespère pas qu’ensemble, ils parviennent à obtenir la réintégration d’au moins une partie de l’Ukraine à l’intérieur d’elle-même au terme de négociations qui sont en soi la victoire la plus écrasante que pouvait espérer, d’une part, un gouvernement que le Kremlin qualifiait hier encore de ramassis de nazis et, d’autre part, un leader politique dont nous nous inquiétâmes trois années durant que sa tête fût mise à prix comme celle d’un vulgaire hors-la-loi du Far West, ou de ces dissidents subsoviétiques sur qui les BRICS+ vomiraient leur fatwa dans toutes les langues (doublage ou version originale sous-titrée).
Macron veut durcir la position de la F(rance) contre les Juifs s’il n’y a pas d’ouverture humanitaro-terroriste vers la tête de pont de la Neowehrmacht (nouvelle « force de défense » des renverseurs de Table ronde et de réalité au carré). Or non, Monsieur le Résident provisoire, la création d’un État pogromiste ne serait pas « un devoir moral », mais bien plutôt une faute morale et donc pas davantage « une exigence politique » dont vous souhaiteriez être l’incarnation planétaire en sorte que l’ego surdimensionné qui vous caractérise puisse refaire surface. Le macronisme et de droite et de gauche n’a pas d’autre moteur que la drague azimutée. En pleine vague antisémite, on devine facilement sur quoi il cherche à surfer. A fortiori lorsqu’un sursaut républicain à droite ne lui laisse plus d’autre cadavre électoral à siphonner que celui des naufragés du bâbord cadre. Triste fin pour un candide — ha ! — pantin du complot juif — ah ? — qui n’aura jamais réussi à mieux s’émanciper qu’en apportant de l’eau stagnante au moulin des lecteurs des Protocoles des Sages de Sion. Peut-être le vote par la Désassemblée de la loi légalisant l’euthanasie aura-t-elle fait pousser des ailes à un camp présidentiel peinant à traîner par terre son corps accidenté. C’est quand même Bête ! Quelques fautes de petite frappe, et l’on passe de l’euthanasie à l’État nazi.