Prendre la parole face à la guerre
Depuis le début du mois de mai, Delphine Horvilleur, Anne Sinclair, Joann Sfar et moi-même avons choisi de nous exprimer publiquement pour condamner la dureté du conflit à Gaza. Nous avons rappelé la nécessité de ne pas détourner le regard devant la catastrophe humanitaire en cours, tout en soulignant l’horreur du 7 octobre : l’attaque du Hamas contre Israël, d’une violence inédite, a causé la mort de plus d’un millier de civils et l’enlèvement de centaines d’autres. La responsabilité du Hamas dans l’ouverture de cette séquence tragique ne saurait être éludée.
Un débat polarisé en France et à l’international
Le débat autour de Gaza, en France comme à l’international, est marqué par une polarisation extrême. Les réseaux sociaux amplifient cette division : toute prise de position est scrutée, instrumentalisée, parfois déformée. Dans ce climat de crispation, la parole juive critique est souvent instrumentalisée : tantôt présentée comme une caution morale par certains milieux antisionistes, tantôt disqualifiée comme “traîtrise” ou “haine de soi” par d’autres. Cette polarisation ne fait qu’alimenter la confusion et la violence, alors que la tradition juive a toujours valorisé le débat, la remise en question, et la responsabilité éthique.
Une parole sous menace dans un contexte d’insécurité croissante
Il faut rappeler que cette prise de parole publique s’inscrit dans un contexte d’insécurité croissante pour les Juifs de France. Depuis le 7 octobre, la France connaît une recrudescence spectaculaire des actes antisémites : insultes, menaces, profanations, agressions, tags et intimidations se multiplient. Selon le ministère de l’Intérieur, le nombre d’actes antisémites a explosé, traduisant un climat d’angoisse et de vulnérabilité inédit depuis des décennies. Prendre la parole aujourd’hui, c’est donc aussi s’exposer à une double violence : celle de la haine antisémite et celle de la vindicte communautaire ou politique.
Refuser le silence, assumer la complexité
Dans nos interventions, nous avons dénoncé la politique du gouvernement israélien et appelé à la lucidité. Delphine Horvilleur écrivait : « C’est par amour d’Israël que je parle aujourd’hui ». Anne Sinclair affirmait : « Nous sommes meurtris, déchirés, par l’action que mène le gouvernement israélien à Gaza. (…) La forme des actions que mène l’armée israélienne à la demande du gouvernement de Netanyahou est indéfendable. » Joann Sfar rappelait que « nos représentants ne doivent plus rester silencieux ». Pour ma part, j’ai souligné que notre devoir, en tant qu’intellectuels et citoyens, est de ne pas céder à la facilité du silence.
Un appel collectif et des voix majeures pour la responsabilité
Le 11 mai, dans La Tribune Dimanche, un collectif de 45 historiens, philosophes, sociologues et membres de l’Académie française, « français, laïcs, républicains, de toutes opinions », de confession juive ou pas, parmi lesquels le réalisateur Michel Hazanavicius et l’écrivain Erik Orsenna, a interpellé l’Europe, le Royaume-Uni et toutes les grandes démocraties afin qu’ils agissent pour la paix. Ils se disent « révoltés par le sort fait aux Palestiniens, inquiets pour l’âme d’Israël » et dénoncent le « gouvernement Netanyahou et ses ministres, la plupart d’extrême droite », qui « attaquent la démocratie israélienne et son État de droit ».
Dans le même esprit, le philosophe Alain Finkielkraut a déclaré (Le Monde, édition du 13 mai 2025) : « Avec sa volonté d’éradiquer le Hamas, le gouvernement de Benyamin Netanyahou mène une guerre atroce, refuse toutes les propositions de cessez-le-feu et sacrifie délibérément les otages. » Il évoque « deux Israël irréconciliables », « deux judaïsmes irréconciliables ». « Cette brutalisation déshumanise et déjudaïse Israël. En tant que juifs, nous n’avons pas le droit de nous taire. Nous devons simultanément combattre le nouvel antisémitisme et dénoncer les répugnants fanatiques qui mènent à sa perte. »
Une avalanche d’attaques : accusations et violences verbales
Ce refus du silence a déclenché une vague de réactions d’une extrême violence. Nous avons été accusés, par certains au sein de la communauté, de « haine de soi », de « diviser Israël », de « ne pas comprendre », de « Juifs de cour » soucieux de plaire. D’autres, (propalestiniens) n’hésitent pas à écrire : « Toujours est-il qu’un Joann Sfar ou une Delphine Horvilleur rendent de grands services aux médias qui ne souhaitent pas dire franchement ce qu’il y a à dire d’un État qui bombarde et affame des civils sans même éprouver de gêne devant l’élimination de milliers d’enfants. L’un et l’autre posent en humanistes et tant pis si Horvilleur, par exemple, relaie la fake news de la journaliste Ruth Elkrief… »
Messages hystériques teintés d’antisémitisme
Au-delà des critiques politiques, nous sommes aussi la cible de messages hystériques dans les réseaux sociaux qui nous accusent explicitement de commettre un « génocide » à Gaza. Ces accusations, souvent proférées dans un langage violent et outrancier, sont fréquemment teintées d’antisémitisme, mêlant haine de notre personne à des stéréotypes et clichés antijuifs. Ces attaques ne visent pas seulement nos idées, mais cherchent à délégitimer notre identité et notre engagement. Ce climat toxique illustre à quel point le débat public est aujourd’hui pollué par la haine, rendant toute discussion sereine et constructive extrêmement difficile.
Cibles privilégiées : attaques sexistes et misogynes
Delphine Horvilleur a été la cible d’attaques sexistes et misogynes : on lui reproche d’avoir « oublié l’injonction de modestie » censée s’imposer à un rabbin, d’être devenue une « femme-rabbin médiatique » cherchant les « paillettes » plutôt que la « lumière austère de la Torah ». Certains l’accusent d’endosser le rôle de « dénonciatrice », de « salir Israël sous prétexte d’amour », d’être une « juive parfaite de galout » ou une « galoutgirl » qui aurait sa place « chez LFI ». Les attaques vont jusqu’à des remarques sur son apparence physique : « maquillée, élégante, photo visiblement retouchée », « mannequinat », insinuant qu’elle chercherait la notoriété ou le « buzz ».
Anne Sinclair n’a pas été épargnée non plus. Elle a reçu des messages mêlant attaques antisémites, misogynes et allusions à son passé : « Retourne à DSK », « Tu n’es qu’une bourgeoise déconnectée », « On n’a pas besoin de tes leçons de morale », ou encore : « Tu trahis ta communauté pour te faire bien voir des médias ».
La tentation du silence, le devoir d’alerter
Cette avalanche de haine est symptomatique de notre époque : la passion et l’émotion l’emportent trop souvent sur la raison, la nuance et la modération. Les réseaux sociaux, en amplifiant ces discours, transforment chacun en procureur et font des plateformes de véritables tribunaux populaires.
On ne nous pardonne pas d’avoir osé dire que cette guerre est cruelle, ni d’avoir dénoncé la politique de Benjamin Netanyahu et de son gouvernement. Pourtant, il est de notre devoir de refuser l’injonction au silence et le chantage à l’émotion. Ce conflit, l’un des plus complexes de notre époque, exige nuance, raison et humanité. Depuis le 7 octobre, je suis profondément troublé. Mais en tant qu’intellectuel, il m’appartient d’alerter, de questionner, et de refuser la facilité des certitudes ou des silences imposés. C’est ainsi, je le crois, que l’on sert au mieux la vérité et la justice – tout comme il m’appartient de dénoncer le Hamas et de rappeler les crimes qui ont été commis le 7 octobre.
Dernier point : La liberté de penser, même contre la pression des censeurs, est une exigence éthique et spirituelle au cœur de la tradition juive. La vitalité du judaïsme repose précisément sur cette capacité à ne jamais confondre fidélité et conformisme, respect et soumission, autorité et autoritarisme. Défendre le droit à la critique, c’est préserver l’essence même du judaïsme et affirmer la dignité de chaque conscience.
Marc Knobel est historien et essayiste.
C’est mauvais pour vous, moins pour Israël, que vous n’ayez aucune idée de ce qu’est l’Islam et que vous ressentiez pourtant le besoin de vous exprimer. Vos commentaires sur d’autres sujets seront évalués en conséquence.
Alain Finkielkraut met en garde contre une « déjudaïsation » d’Israël, entendue comme la perte de valeurs centrales telles que la compassion et l’autocritique dans la gestion du conflit à Gaza. Selon lui, Israël s’éloigne par une politique brutale du noyau éthique du judaïsme. De nombreux Juifs dans le monde partagent cette inquiétude et se sentent éloignés du gouvernement actuel. D’autres, en revanche, considèrent la réaction ferme d’Israël comme une défense légitime contre le terrorisme des milices chiites et sunnites. La critique de Finkielkraut est donc une incitation à la réflexion, mais pas un jugement aux conséquences pratiques.
Finkielkraut est avant tout philosophe et essayiste, autrement dit, un bavard professionnel.
Ce serait un manquement à sa profession s’il ne réfléchissait et ne parlait pas constamment, quelle que soit la quantité de substance qui en ressort.
Des propositions concrètes pour gérer les ennemis d’Israël ? Aucune trace.
À la place, beaucoup de vent moral, loin de toute réalité politique. Cela se voit déjà dans son attachement à l’idée d’une solution à deux États.
De plus, il n’est pas Israélien, mais un Juif de la diaspora, dans une France (encore) relativement sûre.
Il n’a probablement pas de relation directe avec les tirs quotidiens de roquettes, les prises d’otages ou la menace constante des terroristes.
Ses jugements moraux sont donc sans doute bien intentionnés, mais prononcés confortablement de l’extérieur.
Une fois encore, j’irai dans le sens de l’indignation d’Alain Finkielkraut. Il y a bien aujourd’hui deux Israël, deux judaïsmes en tout point distincts l’un de l’autre : le judaïsme mélenchonien, d’une part et, d’autre part, le judaïsme vallsien. Hélas, ces deux manières d’être juif sont irréconciliables. Un point de rupture, toutefois : la brutalisation par laquelle vous rhabillez pour l’été la riposte au pogromisme jusqu’au-boutiste du Méta-Empire en affirmant qu’elle déjudaïse Israël (sic), eh bien, monsieur le professeur, cette brutalisation a un nom : Moshè. Or, procédant par élimination, si l’on ne devait garder qu’un être-au-monde auquel il ne puisse pas être reproché d’entacher le nom juif sans être terrassé de honte, c’est bien celui d’un homme qui, afin d’extirper son peuple des endorphines sadiques de l’esclavage et de l’amener à développer une épine dorsale assez résistante pour endurer les secousses d’une Terre promise au meilleur comme au pire, ne se sera dérobé à aucun acte de foi surhumain.
Je rappelle juste à mes amis que Benyamin demeure notre principal allié dans la Tempête par essence politique en tant qu’elle nous décivilise à grande vitesse et instaure sans nous consulter un chamboule-tout alterglobal dont nous, l’Anation hyperconsciente d’elle-même, l’exopleuple en répétition constante, serons les derniers d’entre les premiers à en essuyer les plâtres spongieux.
Le chef du gouvernement israélien n’a pas choisi les membres de la 25e Knesset qui acceptèrent d’accorder leurs sensibilités respectives aux siennes, lesquelles ne sortiraient pas moins troublées des dernières élections que ne l’avaient été des gauches manœuvrières participant de la dérive islamiste de l’exécutif juif ou de ce que les Juifs qui ont peur de leur ombre prirent l’habitude de pudiquement nommer l’État des Juifs.
Le Likoud n’est pas l’extrême droite, du moins pas davantage que ne l’est un Parti républicain dont les adversaires tenteraient en vain de faire subir au candidat à la présidentielle le sort du pénitent forcé Alexeï Navalny, avant de se rendre à l’évidence qu’une fin à la Nemtsov était probablement plus appropriée au héros d’un électorat américain de plus en plus défiant à l’égard de la dikastocratie ; Trump et Netanyahou conçurent ensemble les accords d’Abraham que Joe Biden aurait détricotés sans bouder son plaisir s’il en avait jugé les termes voués au renforcement du camp des autocrates plutôt qu’à leur aspiration progressiviste vers l’autoroute de la contre-déshumanisation ; l’un et l’autre (Netanyahou et Trump) firent montre d’une patience à toute épreuve envers une entité pogromiste qui avait convaincu les chancelleries occidentales qu’elles étaient parvenues à la persuader d’infléchir les positions historiques de son organisation terroriste, si bien qu’elle avait consenti à abandonner les travaux de parachèvement de la Solution finale pour parvenir enfin à une solution politique au conflit des conflits, mondial — « À qui le dis-je ? » — israélo-palestinien — « Israélo-quoi ? » — opposant le monde libre à une forme de totalitarisme que les équilibristes internationalistes hésitent à qualifier d’islamique.
Le jusqu’au-boutisme n’est pas une option pour cette raison même que la guerre d’Israël se confond avec celle du monde libre contre une Nébuleuse civilisationnelle ayant endoctriné un milliard et demi d’âmes en leur maintenant la tête sous les eaux noires d’une technocratie mâtinée de high-tech inodore et donc potentiellement pestilentielle, à proportion de l’utilisateur qui l’aurait empestée, cette chape de plomb fondu conférant une puissance délétère à des élites précaires qui n’aiment rien tant que de se prélasser dans les marais moyenâgeux.
L’exécutif israélien connaît l’Ennemi — le sien et le nôtre —mieux que personne. Son leader saura quitter à temps la voie de la paix armée, puis reprendre celle de la guerre politico-économique d’un géostratège émérite, sitôt que l’Acommunauté aura su démontrer à Tsahal qu’on peut dorénavant avoir confiance en elle pour s’assurer qu’aucun tunnel de contrebande militaro-terroriste ne viendra plus pulvériser le traité de paix israélo-égyptien à la frontière sud de Gaza. Cela étant admis, l’incontestable génie militaire d’Israël ne doit pas effacer de son esprit le génie scientifique de son peuple et une pluie de découvertes ou d’innovations qui hissèrent l’État juif au rang d’acteur incontournable de la scène internationale, en l’espèce un pilier de l’économie mondiale. Pour un pays d’une dimension aussi incompréhensiblement exceptionnelle au regard de sa superficie comme de sa démographie, renouer avec le politique ne devrait pas être mission impossible.
Les Juifs du PAF nous donnèrent une version laïque des Juifs du pape, bénéficiant de la protection des objecteurs de conscience d’une incurable guerre des spoliateurs du fascinant, attirant et non moins irritant statut de peuple élu, j’allais dire d’Israël, envers les tenants du titre. Et puis, un jour, on verrait leurs noms figurer sur des listes distribuées à la volée au forum de Davos.
À en juger par les nouveaux habitus des citoyens juifs du monde libre (de les priver de leurs droits fondamentaux), ou plutôt par la réinstauration de modes comportementaux appartenant à une ère d’effondrement civilisationnel qu’on nous avait vendue comme celle d’une évolution révolue (tels que la dissimulation du nom jusqu’à la boîte aux lettres, ou les sourires, voire éclats de rire d’approbation à un propos relevant de l’antisémitisme extraordinaire et ordinaire), la liste des Juifs à abattre ne se limitera bientôt plus aux seuls Youtres connus et/ou reconnus qui peuvent s’honorer de ne pas avoir cédé au syndrome de Stockholm du Marcheur sur la tête, mais c’est bien à une reprogrammation néovichyste du fichier juif que l’on assistera lorsque les fichés S ayant accès aux coordonnées de leurs e-concitoyens sionistes s’engouffreront dans le prochain cercle dantesque en sorte que l’Intifada mondialisée puisse enfin s’enclencher d’elle-même et générer le chaos global annoncé par les fractaliseurs du 7-Octobre.
La Diaspora nous expose aujourd’hui à des épisodes comme celui, digne d’un film de série Z, où un couple mixte d’infirmiers palestinistes, recrues posthumes de l’ectoplasme du docteur Mengele, se disent prêts à euthanasier plusieurs dizaines de patients qu’ils jugent indirectement coupables du génocide de Gaza.
Fini le temps très relativement béni où les Juifs pris en chasse par un projecteur de poursuite étaient les principales victimes d’un antisémitisme pas aussi résiduel qu’il n’y paraissait : depuis octobre 2023, le paratonnerre ne fonctionne plus ; je dirais même plus que les excès de prudence parfois complices de la Juiverie d’en haut ont pour effet d’abandonner la Juiverie d’en bas à un état de précarité sécuritaire inédit, incitant cette dernière à une forme d’Alya généralisée.
Arrivés à ce stade de délitement avancé, ne boudons pas notre plaisir à voir quelques-uns de nos compatriotes français, qui ont le malheur de partager avec nous l’héritage hors concours que l’on sait, sortir enfin du bois de cendres où ils semblaient avoir fait leur deuil d’un monde réparé par lui-même, paradigme phénigien et sans doute chimérique où aurait triomphé le concept du Juif d’affirmation.
On avait cru pouvoir échapper au réel en enfilant la robe de bure Jean-Paul Gaultier du Juif christique, ou iossephique, ou daniélique, ou ionaïque, omettant trop souvent que l’universalisme selon les grandes figures de la Tora ne va pas sans la prise de conscience de ses propres péchés, ici de la part de Pharaon, ou là à l’échelle de Ninevé, savoir de toute une population soumise au risque de châtiment divin ; on doit dès à présent comprendre que notre christicisme en dessous de Zéro ne tiendrait pas deux secondes sous le joug d’une menace existentielle qui requerrait des acteurs intellectuels, économiques et politiques du Klal Israël un sursaut d’inconscient du type de l’interposition du prince Moshè entre un Empire israélocidaire et chacun des détenteurs et porteurs de vie constitutifs des Douze tribus.
Nous, Juifs libres, ne le resterions pas longtemps si, en fait de messianisme, notre amour pour les Nations se montrait moins chrétien que paulinien, savoir antisémite dans l’Axe et dans la taxe BaDaSs.
Mes chers futurs compatriotes antiques, notre capacité à revêtir la tunique mosaïque prime sur notre désir généreusement morbide de l’échanger pour le Saint-Suaire, j’entends par là pour les opérations de rédemption partielle et résurrectionnelle qu’en recouvre l’hypervaste étoffe car, voyez-vous, sans sortie de la mer des Joncs, pas de survie des Benéi Israël et sans peuple juif, aucun Christ à quelque horizon que ce fût.