Il n’est nul besoin d’adhérer aux opinions de Bernard-Henri Lévy pour saisir la portée de la condamnation qui le frappe aujourd’hui. L’affaire qui le vise en Tunisie, où il a été condamné à trente-trois ans de prison par contumace, dépasse largement le cas d’une figure majeure de la vie intellectuelle française : elle touche à l’essence même de ce qui fonde notre attachement collectif à la liberté d’expression, à la justice et à la responsabilité de l’État à l’égard de ses citoyens à l’étranger.

Cette condamnation décidée par la justice tunisienne dans des conditions manifestement contraires à l’équité s’ajoute à celle de Boualem Sansal en Algérie. Ces décisions, prononcées sans transparence ni respect des droits de la défense, constituent des signaux d’alarme pour tous ceux qui demeurent attachés à l’État de droit.

Un procès délirant, une justice instrumentalisée

Ce jugement, prononcé dans le cadre d’une vague de répression sans précédent, s’inscrit dans une dérive institutionnelle préoccupante. Quarante figures issues de l’opposition, du monde associatif, du barreau et du journalisme ont été frappées en Tunisie par des peines allant jusqu’à soixante-six ans de prison, sur la base d’accusations dont la fantaisie le dispute à l’absurdité : « atteinte à l’équilibre alimentaire et écologique », « sabotage économique au profit du Maroc », « normalisation avec Israël », « collusion avec des groupes armés islamiques ou des services secrets étrangers ».

Dans le cas de Bernard-Henri Lévy, aucun élément tangible n’a été rendu public, aucune preuve n’a été produite, et l’intéressé affirme, dans Le Point, n’avoir jamais été informé, convoqué, ni même entendu par la justice tunisienne. Sa présence dans ce dossier semble davantage répondre à une logique de stigmatisation et de bouc émissaire qu’à un quelconque souci de vérité judiciaire.

Ce procès s’apparente à une pièce de théâtre judiciaire où la justice, loin d’être indépendante, est instrumentalisée à des fins politiques. Les garanties procédurales les plus élémentaires ont été bafouées : absence de convocation, accusations invérifiables, exclusion des observateurs indépendants, recours à la visioconférence pour les détenus, refus de visites aux familles et aux avocats dans d’autres affaires similaires. Human Rights Watch, après examen du dossier, souligne que ces accusations ne reposent sur aucune preuve crédible et s’inscrivent dans une stratégie plus large d’intimidation et de musellement des voix dissidentes.

Symbole de la dérive autoritaire

La condamnation de Bernard-Henri Lévy n’est pas un acte isolé. Elle s’inscrit dans un contexte de répression généralisée où la justice devient l’instrument d’un pouvoir autoritaire, prompt à étouffer toute contestation, à criminaliser la pensée critique et à faire taire les intellectuels qui dérangent.

Ce climat délétère n’épargne pas non plus d’autres figures françaises, à l’image de Boualem Sansal, condamné à cinq ans de prison en Algérie pour des propos tenus dans une revue française. Ces affaires, qui se multiplient, constituent des signaux d’alarme pour tous ceux qui restent attachés à l’État de droit et à la protection de nos concitoyens à l’étranger.

Il faut le rappeler avec force : défendre Bernard-Henri Lévy, ce n’est pas défendre une opinion, ni une notoriété, ni même une personnalité. C’est défendre la possibilité même de la critique, du débat, de la pensée libre. Si la France accepte qu’un de ses intellectuels soit condamné à trente-trois ans de prison sur la base d’accusations délirantes, sans le moindre respect des droits de la défense, alors c’est l’ensemble de notre vie intellectuelle et démocratique qui est menacé. Aujourd’hui, ce sont eux, demain ce pourrait être n’importe quel autre écrivain, journaliste, universitaire ou citoyen engagé.

Mascarade judiciaire

Tolérer que ses intellectuels soient ainsi livrés à l’arbitraire, c’est renoncer à une part essentielle de ce qui fait sa singularité et sa force. Il y va de la crédibilité de notre pays, de son honneur, et de sa fidélité à ses propres valeurs. La diplomatie française doit sortir de la réserve et faire entendre une protestation claire, ferme et sans équivoque. Il ne s’agit pas seulement du sort de deux hommes, mais de la capacité de la France à défendre ses principes et ses citoyens, où qu’ils soient.

Bernard-Henri Lévy, qu’on l’apprécie ou non, incarne aujourd’hui, bien malgré lui, le combat pour la liberté contre l’arbitraire, pour la justice contre la vengeance politique. La défense de ses droits, comme celle de Boualem Sansal, s’impose comme un devoir républicain.

Refuser de s’engager, c’est accepter que l’intimidation et la répression l’emportent sur la raison et l’équité. Il appartient à la France de rappeler, avec force et constance, que la défense de ses intellectuels injustement condamnés n’est pas une option, mais une exigence fondamentale de toute démocratie digne de ce nom.

Monsieur le ministre des Affaires étrangères, la France s’est inquiétée publiquement de la vague de condamnations prononcées en Tunisie, soulignant l’absence de garanties d’un procès équitable et la sévérité des peines infligées à des membres de l’opposition, de la société civile, et à certains de nos compatriotes. Mais à ce jour, aucune parole officielle n’a été portée spécifiquement sur le cas de Bernard-Henri Lévy.

Combien de temps faudra-t-il encore pour que votre ministère prenne publiquement la mesure de cette dérive, et affirme avec la fermeté requise que la France ne saurait accepter qu’un de ses intellectuels soit ainsi livré à l’arbitraire ?

Nous attendons de votre part une parole claire, un engagement sans réserve, pour dénoncer cette injustice flagrante et rappeler que la défense de nos intellectuels, injustement condamnés, demeure un impératif républicain auquel notre pays ne saurait se soustraire.


Marc Knobel est historien, chercheur associé à l’Institut Jonathas de Bruxelles.

2 Commentaires

  1. Très Saint Père par extension, apôtre en chef du Roi-Soleil et chef d’État immensurable,
    Nous nous efforçons de marcher dans les pas de Rabbi Iéshoua‘ et de maintenir à un degré constant l’aversion qu’inspirait à Moshè la propension des fils et filles d’Adâm et de Hava à établir entre eux une hiérarchie post-babélienne ; aussi Rome peut-elle imaginer notre soulagement à l’idée qu’elle ne se mette pas en travers de la route pavée de bonnes intentions des défenseurs de la diversité internationale, telle qu’en témoignent les nations à travers un kaléidoscope d’ADN irréversiblement libre d’évoluer ou de muter, pour peu qu’il consente à observer une loi de la pesanteur historique et culturelle que d’aucuns qualifieront de loi d’essence divine.
    « Jésus ne nous demande pas de hiérarchiser notre amour pour les autres » selon qu’ils adhèrent ou réfutent la hiérarchie céleste que décrivirent le troisième patriarche, Ia’acob ou Israël, Pseudo-Denys l’Aéropagyte, l’ordre des Lucifériens…
    Jésus respecte le fait que les juges du Sanhédrin de son temps ne l’aient pas reconnu tel le Mashia’h, personnage central de leurs Écritures saintes dont grands et petits prophètes annoncent la venue à la fin des temps et, n’en croyant pas leurs yeux, qu’ils se soient refusés à accorder la grâce à un incontestable fauteur de troubles qu’ils percevaient comme un faux Messie, péché impardonnable selon le Qohèlèt, un droit canon dont les ancêtres romains de Sa Sainteté se contre-foutaient, ce qui explique peut-être qu’ils se fussent défaussés de leurs responsabilités envers la condamnation à la peine capitale d’un personnage sulfureux, plus grand que nature, qui soulevait les foules comme Personne, cette sentence de mort qu’ils avaient pourtant dû prononcer eux-mêmes dès lors qu’ils en confisquaient les prérogatives aux juges du royaume de Judée annexé.
    Le passage aux aveux d’Edôm ou l’identification des auteurs de la plus célèbre scène de crime de l’Histoire, est un acte que nous sommes quelques-uns à attendre comme une sorte d’ouragan messianique étant de nature à reconfigurer le littoral conscientiel des pagano-convers de tous les pays : en tant que mea culpa ultime requis pour une irremplaçable rédemption universelle, il constituerait la première pierre d’une Église parvenue à l’âge de raison, que l’on substituerait à cet opprobre en tube que les Nations antisémites unies s’entendent à faire gicler, passant outre aux dissensions doctrinales qui n’eurent de cesse qu’elles n’eussent déchiré pour de bon le péricarde des spoliateurs de la Terre sainte, sur un seul peuple élu du Dieu unique dont les nations polythéistes ou idolâtres, ou encore piteusement converties, moquent la foi insaisissable.
    Plutôt que de tomber des nues face à la décomplexion post-7-Octobre d’un des principaux fruits démocratoriaux du printemps frériste de 2011 à l’encontre d’un philosophe humaniste et sioniste, — à qui la faute si, en Panarabie, le partisan de l’universalisme des Lumières se métamorphose en démocrateur de Daech au moindre coup de vent, et le Petit Soldat d’Allah en autocrate cynique au moindre coup d’État ? à nous ? À moi ! — reprenons déjà le contrôle sur le sol du droit, là où s’opère la multiplication des tribunaux islamiques (environ 300 outre-Manche ; on y lance des fatwas endexogènes, on y profane l’art de vivre à l’européenne) illégaux, bien qu’impossibles à dissoudre de la part d’un Royaume uni autour de ses valeurs de tolérance légendaires, lesquelles s’avèrent être une bénédiction pour ceux-là mêmes qui les maudissent et les grignotent à crocs d’acarien pour d’autant mieux les y déraciner.
    Ainsi va le néant, de déroute personnelle en protubérance collective. Soit dit entre nous, un renversement du rapport de force démographique favorable à des catholiques représentant actuellement un tiers de la population de la première puissance économique mondiale, ne serait pas vu d’un mauvais œil par un Saint-Siège en perte de vitesse qui sait pouvoir exercer une influence quasi médiévale sur les consciences des migrants en provenance d’Amérique latine ; mais ce désir de diriger théocratiquement, fût-ce indirectement sous des faux airs d’humilité, de sainteté et de sagesse, les affaires du monde terrestre, ne cache-t-il pas une forme de volonté d’hyperpuissance mégalomaniaque et outrancière qui, avouons-le, est la plus sure façon d’imposer son diktat à tous et à chacun ? Pyramidalisme, quand tu Nous tiens !
    Jésus ne nous demande pas de hiérarchiser notre haine du mal radical. Un salaud est un salaud. Les guerres d’Israël s’inscrivent, par la force des causes, dans le sillage préhistorique de la Guerre juste. L’ennemi a donc toujours eu le choix entre endurer une riposte proportionnelle aux crimes qu’il perpétrait ou arrêter les frais. Il pourrait parfaitement, si tel était son souhait, libérer les otages, puis déposer les armes ; il préfère persister dans le culte de la mort. Son choix est fait, donc la guerre continue, et la victoire d’Israël sera celle des adversaires d’une forme de fascisme que les dystopies les plus cauchemardesques peinent à représenter.
    Bien sûr, libre à Sa Sainteté de ne pas hiérarchiser entre bien et mal, mais à la fin des fins, avec tout le respect que nous devons au nuancier de valeurs gématriques et de couleurs christologiques de nos pères communs et/ou respectifs, les uns auront opté pour l’un, tandis que d’autres se tournaient vers l’autre.
    L’amour augustinien paraphrase le premier des dix grands commandements. Ayant atteint l’empyrée mosaïque, la diasphère antidualiste peut alors s’épancher sur le sort de la nature humaine telle la natte de IHVH : où un mouvement de rejet pourrait bien n’avoir été qu’apparent, sinon trompeur : toute action s’y programme, s’y projette, s’y produit, et ce, qu’elle se soit ou non réalisée, bénéficiant du bouclier protecteur absolu. Cupidon hait la cupidité. Prêt à se dépouiller de tout ce qu’il possède et, s’il le faut, de sa tunique de peau si cela lui permettait de préserver et prolonger l’éthos qui le suit à la trace, l’être suprêmement vivant que recouvre l’éros est un concept maniériste aussi indestructible que l’est l’impossibilité de se déployer un instant de plus au-delà du corps inanimé de l’Être aimé.

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