La Maison de la République, mieux connue sous le nom de palais Ceausescu, surprend par un détail que le visiteur, et pour cause, met quelque temps à découvrir : elle n’a pas d’entrée. On s’attendrait à en trouver une, quelque porche accordé au gigantisme de l’ouvrage, au débouché de l’avenue triomphale et toujours déserte qui, plus large d’un mètre paraît-il que nos Champs-Élysées, a remplacé l’un des quartiers les plus élégants de Bucarest. Mais non. Et pour peu qu’on commette l’erreur de longer, comme moi, vers la droite le médiocre muret qui, vingt mètres en contrebas, ceinture l’édifice, on passe un bon quart d’heure à errer entre gravats et fondrières avant d’apercevoir la brèche qui, sur la gauche, ouvre l’accès d’une porte latérale – certes pas petite, rien n’est petit ici, mais presque dérobée, clandestine, furtivement gardée par deux très jeunes soldats et une très vieille Tzigane qui, sur un éventaire improvisé, vend des cartes postales représentant le président Iliescu[1] et son Premier ministre, Petre Roman.
I – Le palais, ou comment s’en débarrasser
Cette singularité architecturale, que confirme l’investigation intérieure, persuade d’avoir affaire à une construction utopique, un mausolée arc-bouté contre le temps, la dégradation inhérente à la vie organique, le désordre originel et les pattes sales de l’humanité. L’idéal, que les vicissitudes tant redoutées de l’Histoire n’ont pas permis d’atteindre, serait de ne pouvoir ni y entrer ni en sortir, seulement y circuler selon les règles d’un protocole pointilleux, que reconduit de son mieux le cérémonial de la visite guidée. Car on peut visiter (tout au moins jusqu’au 18 juin, annonce une pancarte sans dire ce qu’on fera après), et les Roumains ne s’en privent pas qui, par groupes compacts, formés spontanément ou sous l’égide de quelque comité, arpentent avec une incrédulité émerveillée un espace dont la vocation même excluait leur présence. Comme pour la justifier, en excuser l’aberration, l’intérieur, d’une monotone démesure, étale son inachèvement : les colonnes attendent leur revêtement de marbre, les sols de bien des pièces leur parquet et, tandis que les guides claironnent avec une certaine révérence que le tapis de telle salle, par là, unique au monde, pèse plus d’une tonne, que marbres, fers forgés, tous les matériaux en somme, proviennent du terroir national, on croise de loin en loin un gâcheur de ciment, truelle en main, l’air dépassé, on le comprend, par l’ampleur de la tâche, et symbolisant assez bien le désœuvrement fébrile d’un pays où chacun, bras croisés ou ballants, va répétant qu’il va falloir se retrousser les manches.
Terminer ces travaux coûtera, de toute évidence et en quelque devise que ce soit, des milliards. Les terminera-t-on ? La question dépasse largement l’urbanisme, renvoie à celle, plus tortueuse, de la liquidation d’un legs particulièrement encombrant. Car après tout, le palais se dresse au cœur de la ville comme le nez au milieu de la figure et comme l’habitude de quarante ans de communisme dans les circuits mentaux de vingt millions de Roumains, dont quatre furent membres du Parti et les autres leurs clients. Alors, le raser ? Du passé espérer faire ainsi table rase ? Ce serait, en architecture, l’équivalent de l’application radicale, en politique, du fameux point 8 de la Déclaration de Timisoara, qui entend bannir du nouveau régime quiconque a eu partie liée avec l’ancien. Je n’ai rencontré qu’un seul partisan de cette solution, un étudiant qui s’empressait d’ailleurs de la reconnaître impraticable. Le palais est donc là, il faut faire avec, mais faire quoi ? « Regardez donc le livre d’or », suggère mon compagnon de visite, Lucian Boia, qui s’offre à m’en traduire des extraits.
Fors quelques exceptions étrangères, comme le rédacteur en chef du journal pour les jeunes « Toujours joyeux », à qui les lieux inspirent une édifiante distinction entre le pouvoir des hommes et celui du Très-Haut, l’écrasante majorité des commentaires émane en effet de plumes roumaines. Avec une malice que j’apprendrai à connaître et retrouverai chez nombre d’intellectuels lorsqu’il s’agit de leurs concitoyens, Boia souligne que la plupart trouvent le palais beau et, tout en s’accordant sur la nécessité de le détourner à des fins démocratiques, détesteraient qu’on fasse bon marché du sang, des larmes et des lei[2] qu’il a coûtés, tribut déjà viré, en quelque sorte, au crédit de la bonne cause. Quelques frivoles proposent d’en faire un casino, réplique européenne du Taj Mahal de Donald Trump, les sérieux penchent pour un musée – le musée de la tyrannie universelle —, les plus réalistes pour qu’on y loge une organisation internationale. « Mais vous verrez, prédit Boia, sardonique, dans quelque temps, quand on n’en parlera plus, c’est le gouvernement qui s’y installera. Comme avant, mieux qu’avant, c’est dans l’ordre des choses… »
Autant prévenir : Lucian Boia joue dans ces pages le rôle, qu’il récuserait, de héros positif. Non qu’il soit un héros, bien au contraire ; mais dans le marécage de mensonges, de rodomontades, de calomnies croisées où je n’ai cessé de perdre pied, cet historien solitaire, indolent, railleur m’est, à tort ou à raison, et peut-être simplement parce que nous nous sommes liés d’amitié, apparu comme un flot de bon sens et d’honnêteté. Comme il est extrêmement disponible (« Vous savez, tout prétexte m’est bon pour ne pas travailler : la révolution, un ami à promener, un visa à chercher… » – et, s’agissant au moins du visa, ce n’est pas une mince affaire), nous avons fait ensemble de longues promenades dans Bucarest, qu’il connaît à merveille et pour ainsi dire de mémoire, bercé qu’il a été par les récits de sa mère, la tradition jalousement perpétuée d’une famille bourgeoise, d’origine italienne, catholique, en tout cela peu typique, dont il s’enorgueillit d’être le rejeton – et c’est son trait le plus roumain que ce souci de l’être aussi peu que possible. Culturellement, socialement, génétiquement déplacé, capable de remarques de classe à l’ancienne – une noce envahit le restaurant où nous déjeunons : « Rien qu’à leurs têtes, soupire Boia, des frontistes… » —, il fraie en familier avec des fantômes dont le « Bucarest » de Paul Morand atteste qu’ils ont un jour été vivants, alors que toute la ville actuelle les nie par sa crasse, son apathie hargneuse, sa population ni citadine ni campagnarde, clochardisée, hébétée.
Pour plus de sécurité, Boia, devenu adulte, s’est réfugié dans l’étude historique de l’imaginaire, rédigeant en français, sans envisager une seconde de les faire paraître en roumain, deux livres qu’ont publié les éditions de la Découverte, et dont l’un porte sur les Fins du monde, l’autre sur l’Exploration imaginaire de l’espace. Lové dans ce cocon de souvenirs de seconde main, d’érudition et de rêveries, il admet sans honte avoir fait ce qu’il fallait pour ne connaître d’autres soucis que la pénurie et le goût cendreux des jours : il a été membre du Parti pour devenir professeur à la Faculté, président d’un Comité d’historiographie pour avoir le droit de voyager en France une fois l’an ; il a admiré une Ana Blandiana[3], une Doina Cornea[4], un Mircea Dinescu[5] sans songer à les imiter et ne se reconnaît d’autre titre à la « résistance intérieure » dont me bassinera tel écrivain couvert depuis dix ans de prix et de fonctions officielles, que de n’avoir de toute sa carrière jamais écrit le nom de Ceausescu. « C’est peu, reconnaît-il, mais que voulez-vous, je ne suis pas courageux. » Le courage de le reconnaître n’est pas si répandu.
Boia, qui a voté pour le libéral Campeanu, déteste comme tout le monde le Front de Salut national[6]. Je dis comme tout le monde, c’est bien expéditif, dans un pays qui a si massivement élu ce parti et son président. Mais enfin, en quinze jours, j’ai dû parler avec une bonne quarantaine de personnes – surtout des intellectuels, il est vrai —, sans en rencontrer aucune qui ne vitupérât le Front, ni ne rejetât la responsabilité de son élection sur une population stupide et aliénée. Chacun parle de son pays avec un dédain effaré, comme nous parlerions du nôtre s’il comportait 85 % de lepénistes, lepénistes honteux de surcroît et qui ne s’exprimeraient que dans le secret de l’isoloir – mais alors avec éclat, et pour la consternation générale. Il m’a fallu attendre l’arrivée des mineurs[7], dix jours plus tard, pour voir enfin, et entendre acclamer, d’indiscutables partisans d’Iliescu.
II – À la recherche de Dracula : à l’Institut Iorga
Au XVe siècle, un prince valaque nommé Vlad Drakul (1430-1477) lutta pour l’indépendance de son peuple, écrasé entre la Hongrie, maîtresse de la Transylvanie du Nord, et l’Empire Ottoman dont il parvint à contenir l’invasion. Sa cruauté, par ailleurs, lui valut le respect épouvanté de Mohamed II (« Que faire contre un tel homme ? », se serait écrié le sultan en découvrant la ville de Tirgoviste couronnée d’une forêt de pals où agonisaient des Turcs, mais aussi des boyards rétifs à seconder Drakul), le surnom de Vlad Tepes (« l’empaleur ») et une durable célébrité littéraire. De son vivant même en effet, des pamphlets d’origine saxonne et magyare (c’est à dire, notons-le, émanant d’adversaires) stigmatisèrent ses atrocités, et leur diffusion se poursuivit avec succès, quatre siècles durant, entre le Rhin et l’Oural.
En 1897, le romancier irlandais Bram Stoker, cherchant au vampire dont il racontait l’histoire un nom et des origines plausibles, fut aiguillé par le globe-trotter et professeur à l’Université de Budapest (la Hongrie, encore) Arminius Vambéry vers ce fonds de récits populaires dont il intégra quelques détails à la trame de son immortel Dracula.
En 1972, deux universitaires américains, Raymond McNally et Radu Florescu, publièrent un ouvrage intitulé A la recherche de Dracula, où était étudié le rapport ténu, presque fortuit, entre le personnage devenu mythologique de Stoker et le cruel voïvode roumain. Si sérieuse qu’elle fût, leur recherche accrédita auprès de lecteurs pressés l’idée qu’il avait existé un vrai Dracula, pourquoi pas vampire lui aussi. Des tour-opérateurs avisés y trouvèrent l’occasion de voyages à thème originaux, mais l’association Roumanie-Dracula ne connut son point culminant qu’au milieu des années 80, quand la cote de Ceausescu en Occident commença à fléchir et qu’il devint rituel de doubler le nom du despote par celui du vampire.
Au printemps 1990 enfin, cherchant un prétexte, un fil conducteur pour voyager dans ce pays soudain propulsé sous les feux de l’actualité, je me proposai d’enquêter sur cette association et sur le déplaisir, mais peut-être aussi le surcroît de légitimité, comme une préfiguration de son destin posthume, que n’avait pu manquer d’en tirer Ceausescu. N’est-il pas après tout réconfortant, quand on se met à vous peindre sous les traits d’un monstre, de pouvoir répliquer que ce monstre, pivot d’une campagne de diffamation étrangère, était en réalité un grand homme, un héros incompris de l’indépendance nationale ?
Toujours bon public pour les recherches saugrenues, l’ami Boia m’a donc adressé à son collègue Stefan Andreescu, spécialise de la question, que je suis allé voir à l’Institut Nicolae Iorga, jolie demeure en lisière d’un parc où se perpétue le souvenir du grand historien roumain qui fut assassiné en 1940 par la Garde de Fer après avoir écrit 1 400 volumes et 20 000 articles sur les sujets les plus divers : histoire universelle, tragédies en vers, méthodes de langues – il passe pour avoir appris le turc dans le train de Bucarest à Istanbul, et l’avoir su passablement à l’arrivée.
A mon arrivée, le conseil de direction de l’Institut, qui reçoit deux professeurs américains et un Roumain exilé en France depuis trente ans, vieux dandy sarcastique et racé, m’invite à prendre part à la réunion. Comme partout, à toute heure, en fumant et buvant du café, on discute de « la situation ». C’est à dire qu’on soupire, qu’on échange des regards navrés, qu’on traite de « byzantin », entendez d’intrigant, le directeur de la télévision, Teodorescu, puis les intellectuels du Groupe pour le dialogue social, d’élitistes hautains, coupés des masses. « Qui ne l’est pas ? » plaide un raisonnable, chaudement approuvé par ma voisine, dix-neuviémiste charmante et, si l’on considère les normes locales, relativement optimiste : car, étant entendu que le peuple est primitif, arriéré, qu’il se contente de peu et sacrifiera volontiers l’ombre de la démocratie à la proie plus tangible de quelques concessions matérielles, un peu de viande et d’essence, « il faut le comprendre, poursuit-elle. Nous comprendre. Nous sommes comme votre cardinal La Ballue, enfermé par Louis XI dans une cage où il ne pouvait se tenir ni debout ni couché. Il est normal, une fois sortis, que nous ne sachions plus marcher la tête droite. Mais cela viendra, vous verrez. » Cette parole de confiance, si rare, est tombée dans un brouhaha dont je n’ai pu saisir le motif. Tout le monde en tout cas s’est mis à exhiber sa carte d’identité, les unes portant, les autres non, le tampon « Votat », a voté. Chacun a voté pourtant, mais nul n’en tire de conclusion quant à d’éventuelles irrégularités du scrutin, d’autant plus accablant qu’on le reconnaît honnête, et propre à justifier la sinistre plaisanterie selon laquelle la Roumanie est le seul pays dans l’histoire à avoir librement élu des communistes.
La séance levée, le vieux dandy, le revenant, plus élégant dans sa saharienne que le pauvre Ion Ratiu, candidat du Parti national-paysan, dont l’accent étranger et surtout le nœud papillon ont tant choqué, à ce qu’il paraît, l’électorat, le vieux dandy me confie sotto voce qu’il est catastrophé, épouvanté : la pauvreté, la saleté, passe encore, mais la méfiance butée, la bassesse répandues sur les visages, dans la rue : « Vous avez vu ces gueules ? Ces gueules !, répète-t-il. Mon peuple n’a jamais été comme ça, ce n’est pas mon peuple. Je ne comprends pas. Qui sont ces gens ? » Et ce qui tremble alors dans sa voix, c’est très exactement l’horreur du héros d’Invasion of the body snatchers, le vieux film de science-fiction, lorsqu’il découvre que les hommes ont été peu à peu remplacés par des extra-terrestres, que chacun de ses familiers, apparemment inchangé, est désormais un mutant malfaisant.
Comparée à cette horreur-là, celle qu’inspire Dracula rassérène, et c’est un soulagement de s’en entretenir avec le professeur Andreescu. Un soulagement pour moi, du moins, car en dépit de sa courtoisie, le professeur ne me cache pas qu’il en a un peu assez de répondre depuis vingt ans aux mêmes questions-bateau des journalistes dans mon genre, naïvement convaincus de tenir un bon sujet. Un jour, c’est la télévision française qui vient avec Alain Decaux y consacrer une émission, un autre une équipe américaine qui, conduite par le fils de Ronald Reagan, boucle un tour de la « Haunted Europa[8] » : cinq minutes sur le monstre du Loch Ness, puis cinq sur Dracula, etc. A tous, il faut gentiment répéter que Vlad Drakul, le vrai, n’a jamais mis les pieds dans la région de Bistrita, où Bram Stoker situe son château, que le vrai château se trouve près de Bran, la sépulture au monastère de Snagov et la maison natale à Sighisoara. Il s’avoue légèrement agacé, sans plus, par la fortune du roman, qui n’a jamais été traduit en roumain, réfute le parallèle hâtif et tendancieux avec Ceausescu. Pour une raison curieuse : Vlad Tepes, selon lui, avec son grain de folie, sa cruauté d’ailleurs accordée aux mœurs du temps, a fait de l’histoire. Ceausescu a fait de l’anti-histoire. On l’oubliera très vite, on l’oublie déjà ; il n’en restera rien.
C’est une idée qui court dans l’historiographie roumaine, que Lucian Blaga théorisait dans les années 30 : la Roumanie redoute l’histoire, n’a cessé de se dérober à son appel. Chaque fois qu’elle a failli y entrer, développer par suite une culture majeure, pendant la Réforme par exemple, elle s’est arrangée pour se replier frileusement dans un monde autarcique, déserteur, privilégiant la vie organique, le folklore, le terroir, un monde sans perspective dont le village, le fameux, tant chanté village roumain, représente l’assomption. En ce sens, même si le projet insensé de systématisation reflète un tiraillement entre la tentation du mouvement et le rêve de l’immobilité – mais ce mouvement n’aspirait qu’au moment de se figer —, toute l’œuvre de Ceausescu, son souci d’indépendance longtemps loué, visaient à soustraire son pays au tourbillon de l’histoire. Depuis six mois, la Roumanie y semble irrésistiblement entraînée. Mais elle s’y résout mal. Et il ne me semble pas abusif, tout à coup, de voir dans les ahurissants cafouillages que prodigue le nouveau pouvoir une tentative désespérée, inconsciente à coup sûr, pour résister à ce courant, persévérer dans l’être, rester sur le Radeau de la Méduse, couler, mais entre soi. Au besoin, dans l’espoir d’être rejetés par les bateaux de sauvetage qui se pressent de toutes parts, d’écœurer définitivement le monde extérieur, on ne reculera pas devant le cannibalisme. On lâchera les mineurs ; mais ici, j’anticipe.
III – Deux dîners
Madame Colleu-Dumont qui, bien que manifestement épuisée, s’acquitte avec la meilleure grâce de ses fonctions de conseiller culturel, doit avoir bien du souci pour organiser ses dîners : la plupart des intellectuels qui s’y côtoyaient autrefois dans la crainte commune de sanctions sécuritistes sont aujourd’hui brouillés à mort, ce qui tend à prouver que le mépris de la masse est moins fédérateur que l’exécration d’un tyran. De là à regretter celui-ci, il n’y a qu’un pas, que les membres du Groupe pour le dialogue social ne sont pas loin de franchir. Qu’Iliescu – rallié, pour comble d’amertume, par certains des leurs – soit pire que Ceausescu, le philosophe Gabriel Liiceanu et ses amis l’affirment sans ambages. Car la révolution, officiellement, a eu lieu, et il ne reste plus qu’à renverser le mot si beau de Tristan Bernard arrivant au camp de Drancy : « Nous vivions dans la crainte ; nous vivrons désormais dans l’espoir. »
« Dialogue social ? Très bien, mais avec qui ? », soupirent ces humanistes dont les noms, quelques jours plus tard, seront obligeamment proposés à la vindicte des mineurs et des typographes. Déjà, cumulant les emplois de Cassandre et d’Antigone, ils s’attendent au pire : la masse, décervelée depuis quarante ans et entretenue dans cet état par la télévision, continuera d’accepter sans rechigner le régime du parti unique ; le Front, soucieux dans le meilleur des cas de faire bonne figure au-dehors, tolérera une opposition, à condition qu’elle soit issue de ses rangs, et contrôlée. Et lorsque le désastre économique sera patent, réduira les maigres avantages concédés depuis quelques mois en échange de la démocratie, une brutale réaction nationaliste, populiste, orthodoxe, xénophobe, pourrait bien se produire. Que faire, alors ? Fumer à la chaîne, rageusement, comme Liiceanu. Dans l’espoir d’éclairer quelques esprits, traduire et publier, si on leur accorde le papier, le livre où Michel Castex, le correspondant de l’AFP qui couvrit la révolution roumaine, exhale son dépit d’avoir été joué en poussant jusqu’à l’absurde la thèse pourtant solide de la manipulation. Rêver que l’on supprime pour dix ans l’enseignement à l’école du roumain, au profit de langues étrangères (de quoi se rendre populaire, comme on voit). Se répéter jusqu’à l’écœurement que l’illusion du réveil faisait partie du cauchemar.
Je confesse qu’arrivé depuis deux jours, j’ai écouté ces discours avec un rien d’agacement, trouvé ces perdants bien grognons, défaitistes, pensé (comme le gouvernement français quand on le questionne à ce sujet) que la démocratie, que diable, ne se faisait pas en un mois et qu’il était un peu tôt pour désespérer. Il semble malheureusement que tout leur donne raison et je n’avais, quant à moi, rencontré à ce moment aucun représentant du nouveau pouvoir.
Vedette incontestée, trois jours plus tard, d’un dîner autour de la même table, le directeur de la télévision ayant rang de ministre, Razvan Teodorescu, n’a qu’un mot pour flétrir les gens du Dialogue social et leurs pareils : « Des frustrés ». Des aigris, des envieux, des rabougris rancuniers qui ne se consolent pas de n’être pas à sa place, et voilà tout. Fort de cette philosophie qui englobe visiblement toute forme d’opposition et qu’il ressortira telle quelle au lendemain de la bastonnade des mineurs, le ministre, pour sa part, rayonne d’aise et de cordialité. Soignant jusqu’à la caricature un physique de méchant raffiné (boule à zéro, lunettes noires, manières péniblement exquises), ce professeur d’art byzantin propulsé aux commandes de l’unique chaîne roumaine a été, disent ses adversaires, un artisan machiavélique de la victoire du Front ; les Français le connaissent aussi pour sa malencontreuse association avec Paul-Loup Sulitzer dans l’affaire de la vente de la cassette du procès Ceausescu. Parmi les bruits qui courent et se font de plus en plus fiévreux au sujet du futur gouvernement, on le donne souvent pour le remplaçant du monarchiste Paleologue comme ambassadeur à Paris (« Ca lui ira à merveille, de faire des ronds de jambe », grinçait Liiceanu) ; lui-même, non sans coquetterie, affirme avoir remis sa démission au président et attendre seulement, en serviteur dévoué, que celui-ci consente à l’accepter. D’ici là, il s’enchante de sa verve, de parler en égal à Murdoch, de ses scintillants paradoxes (« Ce qui a manqué à la Roumanie, c’est un vrai Parti communiste. Si, si, je suis sérieux… »). Il se vante plus qu’il ne se plaint des calomnies qui pleuvent sur son compte, et pour n’être pas en reste, soutient que Marian Monteanu, le leader de la place de l’Université, avait deux ans plus tôt entamé, comme activiste du Parti, une carrière exemplairement servile – ce qui est fort possible, mais guère vérifiable, puisque nous ne disposons pas de la liste des membres du Parti, non plus que des informateurs de la Securitate, et que l’argument « tout le monde vous le dira », monnaie courante ici, y est également dépourvu de toute valeur, tout le monde disant n’importe quoi, que Doina Cornea est un agent de la CIA, Iliescu un colonel du KGB, et que les mineurs ont héroïquement étouffé un complot attribué par le même Petre Roman, à deux heures d’intervalle, à l’Internationale fasciste et aux proxénètes bucarestois.
Vers la fin du dîner, ma voisine de table, Madame Teodorescu, s’est plaint d’une voix dolente que les carrières, les différends politiques, brisent les plus belles amitiés, au point que d’anciens intimes sortent d’une pièce où son mari fait son entrée. Je le regrette pour elle, et pour moi de ne pas savoir quel homme charmant était l’historien d’art Teodorescu, avant. Je ne saurai pas davantage quelle figure auraient fait ses adversaires à la place qu’il se grise d’occuper.
IV – Le signe du scaphandrier autonome
Mircea Nedelciu, au contraire, est éminemment sympathique. Bras droit de Mircea Dinescu à l’Union des Ecrivains où il me reçoit, ce romancier de 40 ans, tenu par beaucoup pour le meilleur de la nouvelle génération, séduit par une désinvolture d’étudiant prolongé, un argot français gentiment désuet (« Je te taxe une cibiche »), une intelligence souple et blagueuse, qui met immédiatement à l’aise.
Le livre qu’il écrirait en ce moment, s’il avait le loisir d’écrire, et qu’à défaut il me raconte, adopte le point de vue évidemment métaphorique d’un scaphandrier immergé et soumis à une forte pression. C’était l’état de Nedelciu lorsqu’il l’a commencé, le 26 janvier 1989 – jour anniversaire de Ceausescu, précise-t-il en clignant de l’œil. Pris de fièvres violentes et inexpliquées dès le début de ce travail, il s’est avisé qu’il retombait malade chaque fois qu’il s’y remettait. Cette circonstance, puis la Révolution lui ont dicté le plan suivant : d’abord, comme il était initialement prévu, description de la pression de plus en plus forte – l’ivresse des profondeurs, la tentation d’en finir guettent le scaphandrier ; ensuite, chronique de la bizarre maladie de l’auteur, du 26 janvier au 21 décembre 89 – « mais, souligne-t-il avec un nouveau clin d’œil, elle dure encore » ; enfin devrait venir – « Mais alors quand ? », troisième clin d’œil – le récit de la décompression, la remontée du scaphandrier à l’air libre.
Sur cette trame se greffe une idée ingénieuse, qui pourrait être de Calvino ou de Marcel Aymé : un dictateur décide de regrouper tous les 29 février du siècle pour faire un mois de plus, par suite un nouveau signe du zodiaque, réservé aux seuls Roumains. Le Signe du scaphandrier autonome (c’est le titre du livre) s’intercale logiquement entre le Verseau – sous l’influence duquel est né Ceausescu – et les Poissons – qui président, tiens donc, au destin d’Iliescu.
Là, au lieu de cligner de l’œil, Nedelciu rigole franchement. Et moi qui, à l’instar de Bloch questionnant M. de Norpois dans le vain espoir de savoir s’il est dreyfusard ou anti, m’évertuais à peser d’une part ces allusions polémiques, de l’autre l’appartenance de mon nouvel ami à la très officielle Union des Ecrivains, présidée par l’ex-dissident, aujourd’hui très frontiste Mircea Dinescu, je respire, de nouveau en pays de connaissance : ce Mircea-là est un brave opposant, comme tout le monde, et comme tout écrivain pour peu qu’on l’écoute, se met à me raconter un autre de ses romans, écrit à six mains avec un couple de critiques littéraires de Timisoara.
C’est une enquête, solidement documentée, sur une certaine Ana Quelquechose qui, à la veille de la Première Guerre mondiale, quitta sa ville – alors intégrée à l’Empire austro-hongrois – pour les Etats-Unis où elle devint maquerelle, maîtresse de John Dillinger qu’elle finit par trahir en 1934, contre la promesse d’un permis de séjour définitif. Trahie à son tour, elle fut expulsée en 1936, revint au pays auréolée d’une douteuse célébrité et y mourut dix ans plus tard. Enquêtant en 1986 sur les circonstances de ce décès, exhumant un compte-rendu d’autopsie manifestement tronqué, Nedelciu et ses complices ont reconstitué de bizarres rumeurs : on aurait fait mourir Ana de peur, en dressant devant elle un faux spectre ; on l’aurait, selon d’autres sources, chatouillée à mort… La documentation réunie, en tout cas, les trois amis, en un mois de cadavre exquis fébrile, ont bouclé un roman de 500 pages, qui sur un mode délibérément feuilletonnesque, en mélangeant personnages fictifs et historiques, traite des modifications de frontières, de la confrontation entre la vieille Europe et l’Amérique, de l’exil, du gangstérisme, et surtout de la falsification, thème qui visiblement obsède Nedelciu – et l’on voit mal, au reste, quel autre thème pourrait aujourd’hui obséder un écrivain roumain un peu lucide.
L’écoutant, j’imagine volontiers quelque chose qui tiendrait des enquêtes de Sciascia, de l’Hôtel blanc, des trompe-l’œil baroques de Danilo Kis, je crois sans me forcer à son talent et comprends que deux éditeurs français se disputent, sans l’avoir lu plus que moi, pour le publier. D’autant que l’auteur a l’élégance de tempérer l’intérêt qu’il éveille en parlant de son travail comme d’un divertissement, presque une bonne farce – au rebours de son décourageant confrère, le « résistant de l’intérieur » déjà mentionné, qui m’a longuement exposé les principes de sa « littérature de constat », en déplorant que je veuille sans cesse revenir aux modalités exactes de son héroïque résistance ; et quand je lui ai demandé si tout de même, étant entendu que je ne lui jetais nullement la pierre, que je comprenais fort bien la quasi-impossibilité d’une telle attitude, d’autres n’avaient pas résisté un peu moins intérieurement, s’il ne pouvait pas me citer des noms (j’attendais au moins Dinescu, sinon Dan Desliu ou Ana Blandiana), il m’a regardé avec gravité avant de répondre qu’il préférait les taire, par discrétion et miséricorde, nul n’ignorant que la Securitate recrutait précisément ses informateurs parmi ces prétendus opposants. (Et le pire, me dit un ami à qui je rapporte cette réponse, c’est qu’il n’a pas entièrement tort).
V – La société de demain
Après m’avoir raconté ses romans, conseillé de ne pas aller à Bistrita où je risquais selon lui d’être détroussé, ou pis, pour pas grand-chose, puis, voyant que je m’obstinais, obligeamment aidé à organiser mon voyage, Mircea Nedelciu m’a demandé s’il m’intéresserait de voir la société de demain. J’ai d’abord cru à une blague, mais non : la « Société de demain » est un club, un cercle de réflexion (« comme le Dialogue social, si tu veux ») qui publie une revue, Avantpost dont Nedelciu est le rédacteur en chef et son patron Dinescu une des vedettes. Le tout gite dans un élégant immeuble de l’élégante avenue des Aviateurs, au nord résidentiel de la ville.
Nedelciu m’abandonne d’abord à un trio de jeunes gens désœuvrés, qui collaborent à la revue. L’un arbore des rouflaquettes, le second une fine cravate en cuir, le troisième une gourmette ; à eux trois ils auraient la panoplie complète du jeune souteneur à demi-dessalé, encore intimidé par ses aînés. Un coup d’œil à la revue ; l’éditorial s’intitule : « Contestataires et incompétents ». Comme, intrigué, je les interroge sur les orientations politiques de leur cercle, les trois dadais échangent des gloussements de cancres à l’ancienne et, une fois établi que chacun, pour sa part, est hostile à Iliescu, entreprennent de m’expliquer que si plusieurs personnes haut placées dans l’Etat s’expriment dans Avantpost, c’est à titre personnel et non politique. Professionnel, surtout. J’ai beau objecter qu’une distinction si marquée entre professionnalisme et politique n’est pas sans implications, politiques justement, on me regarde, pas tout à fait comme un idiot, plutôt comme un compère chargé de faire repasser un examen en posant des questions-piège, dont on n’est pas peu fier de se tirer au mieux, c’est-à-dire en réitérant la profession sacrée de professionnalisme.
« Eh bien, ils ne sont peut-être pas très malins, mais ils ont au moins compris ça », rigole Nedelciu que j’interromps au milieu d’une conversation avec un ingénieur barbu. « Regarde, lui, c’est un spécialiste du sucre. Le sucre, chez nous, est artificiellement soutenu pour être vendu à un prix à peu près raisonnable. C’est un vrai problème, ça : nous faisons donc une page sur le sucre, avec un type qui connaît la question. Pareil pour tout, pas de généralités humanistes et pleurnichardes, non, de l’opposition professionnelle, critique mais constructive, c’est comme ça que les choses avanceront ».
Ce point de vue me paraît tout à fait défendable ; j’ai quand même l’impression de voir quelque chose qui ressemble beaucoup à l’opposition agréée par le Front, prétexte à museler toutes les autres, selon la sombre prédiction de Liiceanu. Nedelciu, quand je le suggère, rigole derechef : « Evidemment ! Comme ils ont raté leur coup, de toute opposition qui se dégagera, les types du Dialogue social diront qu’elle est bidon. »
Evidemment. En outre, même en laissant de côté l’argument quelque peu mesquin des raisins verts, collaborer avec un gouvernement si fortement majoritaire, démocratiquement élu et qui se déclare prêt, du moins officiellement, à accueillir toutes les bonnes volontés devrait pouvoir être considéré sans déshonneur comme plus constructif, en effet, que de se croiser les bras et se lamenter sans fin sur l’essence cafouilleuse de la roumanité. Pourquoi alors nier l’évidence et, jusque dans une officine si manifestement subventionnée par le pouvoir, déclarer avant toute chose son hostilité de principe à ce pouvoir ? Quelle singulière mauvaise conscience ! Quelle fascination du simulacre aussi, chez un homme comme Nedelciu, qui en fait la matière d’une œuvre probablement brillante et critique, mais aussi l’emblème de sa carrière, depuis longtemps peut-être, qu’en sais-je ? Et de quel droit un voyageur pressé, ignorant, plongé dans une telle confusion, reprocherait-il aux acteurs de ce drame leur propre confusion, leurs propos constamment venimeux lorsqu’il est vraisemblable qu’eux-mêmes n’en savent guère plus, savent ce qu’ils ont fait dans le secret de leur conscience et pas, ou si mal, ce qu’a fait leur voisin ?
« Quand deux types dînaient ensemble, me dira Marin Soinescu, l’un d’eux était un sécuritiste. Celui qui ne l’était pas soupçonnait forcément son vis-à-vis, et savait que l’intérêt de celui-ci était forcément de faire croire qu’il l’était, lui. Ça laisse des traces. » – dont, ajouterais-je, il faudra bien tenir compte, même dans la société de demain.
VI – Un cauchemar
Je me suis réveillé à quatre heures du matin, dans ma chambre de l’hôtel Continental, après avoir fait ce cauchemar : je participais tout d’abord à l’ébahissement général et réprobateur (mais j’ignore qui étaient mes compagnons) devant une couverture de magazine montrant le mariage du chanteur Guy Béart avec une naine tzigane dont la toilette tapageuse suscitait un titre cruellement railleur. Puis, j’assistais à une séance de cinéma. Sur l’écran se déroulaient des scènes de vaudeville d’une goujaterie de plus en plus pénible, d’autant plus pénible que chaque trait odieux était salué par des rires de plus en plus stridents, rires d’intellectuels de gauche, disait quelqu’un avec commisération, et il se révélait que ces rires émanaient d’une salle de corpulents inspecteurs de police, conviés à la première du film parce qu’ils y avaient à titre professionnel fait de la figuration. L’un d’eux interrompait la projection (et c’est alors, la lumière revenue, que la composition de la salle apparaissait) pour brandir comme un pantin un malheureux qu’il accusait avec véhémence d’être un fasciste et de l’avoir prouvé par ses rires et ses réflexions.
Dans le noir, encore sous l’emprise du rêve et n’osant la secouer, j’ai été peu à peu envahi par l’idée que mon voyage dans les Carpates, sur les traces du Dracula fictif, serait plus dangereux que je ne l’avais imaginé, et qu’à ce danger Nedelciu m’avait délibérément préparé, d’abord en me disant que la région n’était pas sûre et qu’il ne souhaitait pas qu’un hôte de l’Union des Ecrivains y ait des ennuis, ensuite en me racontant l’histoire de son héroïne, morte de peur pour avoir vu un simulacre de spectre. Je suis trop certain que les vampires n’existent pas – et, si l’on peut dire, existent encore moins dans la région où les enracine une tradition romanesque erronée – pour ne pas redouter soudain qu’un écrivain séduisant et ficelle s’emploie patiemment – et, pour moi, fatalement – à me détromper en m’attirant là-bas par sa réticence à m’y laisser aller et en me racontant sous forme symbolique, transparente, avec l’impudence du démon de la perversité, comment il prépare ma livraison aux puissances des ténèbres.
Si proverbialement fastidieux que soit le récit de rêve, j’ai raconté celui-ci et les angoisses qui l’ont suivi parce qu’il me semble, sinon spécifiquement roumain, du moins favorisé par l’Unheimliche l’inquiétante étrangeté analysée par Freud) de quelques jours passés pourtant à rencontrer des intellectuels brillants, diserts, souvent chaleureux – quant au peuple, dont l’existence même est si amèrement déplorée, on le croise dans les rues, il ne parle pas français et se montre du coup moins cordial ; il est vrai que ce peuple, tous ceux qui ont connu l’authentique vous le diront, ne ressemble plus à rien ; il a été remplacé. On ne sait pas qui sont ces gens.
J’ai fini par me rendormir en pensant que dans ce rêve qui semble laborieusement composé, mais je jure que non, le seul détail vraiment inquiétant, pour paraphraser Nabokov commentant un cauchemar de Gogol, était la présence horriblement fortuite, injustifiée, du chanteur Guy Béart. Le lendemain, j’ai quitté Bucarest.
VII – Bill et Emil
Sur la route du Nord et l’invitation de l’obligeant Nedelciu, j’ai fait étape à Sinaia, station de basse altitude au pied des monts Bucegi. L’Union des Ecrivains y possède un hôtel, dépendance du joli château de Peles, sorte de thébaïde pour auteurs bien notés et qui, sous réserve d’un service approximatif mais aimable, soutiendrait aisément la comparaison avec les plus cossus de nos Relais et Châteaux. C’est dans ce paradis pour nomenklaturistes littéraires que j’ai rencontré Bill et Emil.
Bill, William McPherson, est un écrivain américain d’une cinquantaine d’années, sec et moustachu, prix Pulitzer en 1977 pour des essais critiques et auteur de deux romans dont l’un doit être traduit aux éditions Climats. En panne au milieu du troisième, il a voulu se changer les idées en faisant un petit tour, au mois de janvier, en Europe de l’Est. Après deux jours à Timisoara, effaré, ne comprenant rien, curieux en même temps de savoir jusqu’où irait son incompréhension, son impression d’être tombé dans un trou noir, un concentré de toutes les perversions mentales et pathologies politiques, un Brigadoon de l’Unheimlich, il est rentré une semaine à Washington, le temps d’arracher à son éditeur une avance sur un livre de voyage en Roumanie post (ou pré, ou para) – révolutionnaire, et depuis traîne ses guêtres dans le pays, au hasard des rencontres et de l’humeur. Hasard et humeur, cependant, ont été singulièrement infléchis par la rencontre d’Emil, un étudiant en chimie de Timisoara qui lui a servi de cornac un après-midi et ne l’a plus lâché, en sorte qu’ils voyagent ensemble depuis trois mois.
Bill et Emil forment un attelage étrange : un Don Quichotte curieux, ironique, nonchalant, un Sancho malin, rapide et susceptible jusqu’à la paranoïa. Emil conduit, traduit, veille a l’intendance ; jaloux comme un tigre de son Américain, il materne Bill, l’arnaque, l’asticote sans répit, tout en prenant ombrage de ses moindres initiatives. A ce harcèlement, Bill oppose une équanimité quasi bouddhique, partant du principe que tout ce qui peut lui arriver en Roumanie, mésaventures comprises, concourt à sa connaissance du pays et à l’étoffement de ses notes – le seul drame qui puisse l’atteindre étant leur disparition. En vertu de quoi il dit oui à tout, se laisse porter par le courant et, puisque le destin a voulu qu’Emil s’attache à ses pas, le mette en coupe réglée, va pour Emil que d’ailleurs il aime bien. Le problème, me confie-t-il tandis qu’Emil s’est éclipsé pour une des quotidiennes réparations que requiert leur Dacia, c’est que le livre risque de tourner à la chronique de ses relations avec Emil, ce qui n’est peut-être pas la plus mauvaise façon de s’y prendre (connaître bien un Roumain, au jour le jour, même s’il fait obstacle à ses relations avec les autres), mais, lorsqu’il le lira, peinera forcément Emil. Ce prévisible conflit entre le devoir de vérité et la loyauté amicale tracasse Bill – comme il me tracasse au moment où j’écris cet article.
Emil, pour sa part, a d’autres soucis en tête, d’innombrables projets qu’il nous expose complaisamment à la faveur d’un déjeuner dans le restaurant dace où il nous a entraînés après la visite du centre de Brasov – joliment niché au creux d’une vallée, avec de vieilles maisons ocre et tilleul, des toits de tuile pentus, moussus, biscornus, une profusion d’églises hélas fermées le dimanche et de cimetières où les pierres tombales s’ornent, assez macabrement, de poignées semblables à celles de valises. Le restaurant dace, censé reconstituer l’habitat et les coutumes des glorieux ancêtres des Roumains (« les plus justes et courageux parmi les Thraces », disait Hérodote et répète Emil), se présente quant à lui comme une vaste cabane d’Astérix, décorée de trophées et de fourrures synthétiques, où sur des tables de rondins des serveurs en tablier et ceintures de cuir cloutées apportent des plats qu’Emil, en connaisseur, déclare authentiquement daces, bien qu’ils se distinguent peu de l’ordinaire proposé indifféremment par les gargotes et les palaces roumains, sous une forme et à un prix invariables, quel que soit par ailleurs le prestige supposé de l’établissement.
Le commerce quotidien de Bill et l’émulation aidant, Emil s’est mis en tête d’écrire un livre. Ou, sinon de l’écrire, car cette formalité le rebute visiblement, de le publier et d’en tirer une gloire universelle. Sur la façon dont il s’y prendra, il est intarissable. L’idée lui est venue, par exemple, de persuader E.M. Cioran d’assurer la traduction française. Cioran, c’est certain, ne résistera pas aux arguments d’Emil, qui est roumain comme lui, porte le même prénom, au besoin menacera de ne pas écrire le livre, d’en priver la culture dace si son illustre compatriote hésitait tant soit peu à lui promettre son concours. (Ayant eu l’imprudence de dire que, sans le connaître, il m’arrivait parfois de croiser Cioran aux alentours du Luxembourg, je suis devenu une pièce maîtresse du plan d’Emil). Pour la version américaine, il va de soi qu’elle incombera à Bill, à charge de revanche concède généreusement Emil. S’il estime, toutefois, que son œuvre à venir requiert les services des meilleurs stylistes de chaque langue, il semble juger suffisant, s’agissant des menus travaux de Bill, d’en improviser la traduction au magnétophone, à la faveur de leurs équipées en voiture, et d’en confier le décryptage à quelque dactylo, tant il répugne à prendre lui-même la plume.
Je ne voudrais pas être injuste : l’ambition, après tout légitime, d’Emil, se nuance de mythomanie, mais il est cultivé, séduisant, incisif. Déroutant aussi, car enclin à soutenir dans le même élan que l’histoire du monde a connu quatre événements majeurs : le Christ, 1789, 1917 et Timisoara ; puis que Timisoara, la révolution roumaine n’ont été que bluff, mise en scène et manipulation du KGB. Et il développe, faisant valoir combien tout ce qui se passe la confirme, la théorie selon laquelle Andropov, soucieux au début des années 80 d’amorcer la réforme sans laquelle les pays communistes iraient à leur perte, a sélectionné, recruté, formé un peu partout les hommes de la relève, un Gorbatchev comme un Iliescu. Depuis quelques années, selon lui, les élus clandestins ont été invités en Roumanie à manifester leur opposition à Ceausescu, de façon suffisamment bénigne pour que leur vie ne soit pas menacée, suffisamment ouverte pour leur assurer, après la chute du despote, une légitimité incontestable. Ainsi établit-il le départ entre les purs, étrangers à cette manœuvre et qui, comme Doina Cornea ou Ana Blandiana, ont très vite démissionné, et les nouveaux hommes d’appareil, la clique du Front, dont Mircea Dinescu est un bon exemple. Comment expliquer autrement que le 22 décembre Dinescu sortant de chez lui ait été aussitôt reconnu, acclamé, porté en triomphe alors que son visage n’apparaissait jamais dans les journaux ni à la télévision et que personne n’aurait dû l’identifier, hormis les gardes chargés de sa surveillance durant les années de disgrâce consentie où, assigné à résidence, il attendait son heure ?
Je conviens, sincèrement, que tout cela paraît se tenir – et j’avoue, pour cet exemple précis, prêter à l’explication une oreille d’autant plus complaisante que le poète, aujourd’hui président de l’Union des Ecrivains, m’a frappé lors d’une entrevue de quelques minutes, entre deux portes, par son arrogance et sa brutalité. Emil triomphe sans modestie. Bill, sans désemparer, note tout – et son contraire.
VIII – A la recherche de Dracula : Voyage de Jonathan Harker
Passé Bistritz, où il est descendu à l’auberge de la Golden Crown, Jonathan Harker, le héros du roman de Bram Stoker, franchit le pont, et les fantômes viennent à sa rencontre. La diligence qui, coursée par des hordes de loups, a mené un train d’enfer à travers des forêts ténébreuses, l’abandonne au col du Borgo où l’attend le cocher du comte Dracula – en fait, le comte lui-même, déguisé en cocher – pour le conduire au château tout proche.
Il n’y a rien à dire de Bistrita aujourd’hui, si ce n’est que son principal hôtel, pour complaire sans doute aux touristes littéraires, s’appelle « la corona de aura ». L’endroit est assez dissuasif pour qu’on saute une étape du pèlerinage, aussi ai-je résolu de pousser ma Dacia, dans un paysage alpin continûment admirable, jusqu’au col fatidique, Pasul Tihuta, au détour duquel se dresse un ahurissant édifice de béton, un hôtel dont l’intention architecturale et décorative a porté un rude coup à la thèse que j’espérais étayer, savoir que Ceausescu ressentait comme un affront pour la Roumanie, par suite pour sa personne, toute allusion à une mythologie littéraire et cinématographique jetant le discrédit sur une grande figure nationale. Car s’il est indéniable qu’en 1986 l’écrivain officiel Adrian Panescu dénonçait le passage à la télévision anglaise d’un cycle Dracula comme « une page du grand livre de pornographie politique élaboré par les ennemis de la Roumanie », il n’est pas moins vrai qu’en 1983 un architecte et un décorateur qui ne devaient pas être spécialement dissidents ont conçu le plan de cette gothiquerie escarpée, fait peindre toutes les chambres en noir et sang-de-bœuf, commandé ces vitraux dont les motifs vaguement médiévaux, pour ne pas dire daces, sont traités dans le style des panneaux du cinéma le Brady, boulevard de Strasbourg, où se donnent rituellement, en double programme, le Cauchemar de Dracula et la Vampire nue. J’étais tout absorbé dans leur contemplation quand on m’a cordialement invité à rejoindre la tablée nombreuse et bruyante que présidait, avec une munificence de moderne voïvode, Marin Soinescu.
Marin Soinescu ressemble à Charles Bronson, en moins fluet. Ayant tenté de fuir la Roumanie à 19 ans, il s’est fait prendre, a passé cinq ans dans un camp de travail d’où il s’est évadé à nouveau pour, après de nombreuses pérégrinations, se fixer au Canada. Il a de son mieux appris l’anglais et, à force d’obstination, fait une enviable carrière dans une grande société de vente par correspondance dont il est à présent le conseiller commercial pour l’Europe de l’Est. Il revient pour la première fois depuis quinze ans dans son pays et, alors que tout les oppose, a exactement la même réaction, d’épouvante pure, que le vieux dandy de l’Institut Iorga. Présidant l’assemblée de gens du cru qu’il a rencontrés dans la journée et royalement invités à dîner, il rit, embrasse tout le monde, verse et reverse à boire, mais de temps à autre s’arrête, secoue la tête comme pour se réveiller et me dit – à moi, parce que je parle anglais, que je viens comme lui de l’autre monde – qu’il ne peut pas y croire, qu’il ne se rendait pas compte quand il était là, grandissait, tâchait de survivre, mais que c’est abominable ce qu’on a fait de l’humanité dans ce pays. Cela n’a rien à voir avec les autres pays de l’Est, où il voyage à longueur d’année : c’est… c’est abominable, voilà. Comparés à Marin, les gens du Dialogue social sont des docteurs Pangloss, Alexandre Zinoviev un poète des lendemains qui chantent. C’est précisément, selon lui, parce qu’Iliescu et son gang sont des communistes mal déguisés que tout le monde, ses invités de ce soir les premiers, a voté et continuera de voter pour eux. Mais quand, pour faire le malin, je répète l’épigramme sur la Roumanie, seul pays au monde à avoir librement élu des communistes, Marin me mouche : « Ne dites pas ça, c’est une mauvaise blague – a fucking joke. Même s’il n’y a pas eu de fraude, il est répugnant de parler d’élections libres quand le moindre paysan a toujours dépendu et dépend encore des communistes pour nourrir son bétail. »
Pour détourner la conversation, j’aiguille Marin sur Dracula, plaisantant le décor qui nous entoure. Pour les touristes, concède-t-il, mais le vrai château de Dracula, ses ruines du moins, sont à quelques kilomètres de là ; s’il avait le temps, il me les ferait voir. Je m’étonne, étale ma fraîche science : ici, c’est le roman, le vrai Dracula a vécu en Valachie, j’ai même déjeuné, pas plus tard que la veille, dans le restaurant qu’abrite sa maison natale, à Sighisoara. Marin n’en démord pourtant pas : il sait ce qu’il dit, je n’ai qu’à demander aux gens de l’hôtel. (Consulté le lendemain, le personnel nie le fait avec une véhémence accordée, certes, à l’opinion autorisée du professeur Andreescu, mais aussi à la tradition romanesque voulant qu’au voyageur trop curieux, les villageois abrutis de terreur répondent toujours qu’il n’y a pas, qu’il n’y a jamais eu de château dans le voisinage, et que toutes ces gousses d’ail sont là pour faire joli, assainir l’air.)
Je dois à Marin un autre moment intensément unheimlich. Vers la fin du dîner, tout le monde s’est mis à chanter. J’ai entonné la Marseillaise, ce qui a fait rire aux larmes, et je riais aussi, et Marin de même, le vin blanc coulait, nous étions tous heureux ensemble à cet instant. A son tour, Marin a fredonné quelque chose, une de ces mélodies que tout le monde a un jour entendues sans pouvoir forcément les identifier et qui évoquent vaguement les feux de camp, le scoutisme. Comme il se tournait vers moi, j’ai compris que la chanson, française sans doute, m’était personnellement destinée, et pris un air à la fois entendu et ravi, jusqu’à ce qu’ayant fini, avec un bon sourire, Marin annonce – et me glace le sang : « L’eau vive… You know ?… Guy Béarte. »
IX – La vérité avant-dernière
Tandis que je vagabondais en Bukovine, mû par le sûr instinct qui m’a toujours fait manquer les événements de quelque importance collective auxquels j’aurais pu me trouver mêlé, Bucarest affrontait des spectres nettement moins évasifs. Voyant à la télévision, dans un hall d’hôtel, des images inlassablement reprises de camions calcinés, de vitrines brisées, de « vandalisme » donc, pour user de la seule expression que j’identifiais sans peine dans le commentaire et qu’on allait répétant autour de moi avec une réprobation unanime (il s’agissait bien sûr des émeutes du mercredi 13, non de la répression du 14 et du 15, qui ne fut, on s’en doute, pas montrée), j’ai décidé de rentrer en hâte. Un accident de voiture, bénin pour tout le monde mais non pour la voiture, a contrarié mon plan. Et je redoutais suffisamment ce genre de mésaventure, de devoir remplir un constat dans un pays où la réalité la plus récente fait l’objet de telles controverses, pour me juger tenu aujourd’hui de signaler que, contre toute attente, l’affaire s’est déroulée lentement, certes, au poste de police de Vama, région de Suceava, mais dans la sérénité, l’équité, presque la bonne humeur.
Je suis donc arrivé à Bucarest dans la matinée de vendredi, quand les mineurs, félicités par le président Iliescu, commençaient à partir et les journalistes à affluer, envahissant l’hôtel Intercontinental où j’ai passé encore trois jours à attendre qu’il se passe quelque chose, une réaction, à guetter sur la place de l’Université les débuts d’attroupement qui bientôt se délitaient, à écouter les innombrables rumeurs que cet hôtel centralise, à me demander comme tout le monde – je parle des observateurs étrangers – s’il valait mieux partir, au risque de manquer à nouveau l’événement, ou s’attarder, au risque de ne bientôt plus trouver aucune raison valable pour partir.
Il me semble inutile d’évoquer à nouveau ces épisodes, les pantalonnades gouvernementales qui les ont accompagnés et suivis. Je n’ai pas vu les mineurs en action (tout juste un tabassage hâtif, pour la route), contrairement par exemple à l’ami McPherson, qui en portait encore les traces physiques et, enfermé ces jours-là dans sa chambre de l’Intercontinental, écrivait pour la revue Granta un article auquel je renvoie de confiance le lecteur curieux d’une description plus détaillée. J’aimerais évoquer autre chose.
Je ne crois pas être seul à tenir l’écrivain de science-fiction américain Philip K. Dick (1928-1982) pour le Dostoïevski de ce siècle, c’est-à-dire, pour aller très vite, l’homme qui a tout compris. Chacun de ses romans, qui peignent avec une terrifiante acuité la désagrégation de la réalité et surtout des consciences qui la perçoivent, pourrait être le vademecum idéal d’un voyage en Roumanie. L’un d’entre eux, intitulé la Vérité avant-dernière, conte l’histoire d’une humanité qui, à la suite d’une guerre chimique et bactériologique, s’est réfugiée dans des abris souterrains où elle mène, des années durant, une vie atroce. Par la télévision, elle sait qu’à la surface la guerre fait rage, que chaque semaine des villes sont détruites et l’atmosphère encore plus empoisonnée. Mais un jour une rumeur se met à circuler : la guerre est finie depuis longtemps ; une poignée de puissants, maîtres du réseau télévisuel, en organise le simulacre, à seule fin de maintenir sous terre une population trop nombreuse et de couler sans elle des jours paisibles, sous la voûte étoilée. La rumeur s’enfle – le pire, dans le livre, c’est que bien sûr elle est vraie – et l’on imagine quelle haine, abjecte et justifiée, anime les hommes du souterrain lorsqu’ils se lancent à l’assaut de la surface. C’est cette sorte de haine que je crois avoir vue dans les yeux des mineurs débarqués à Bucarest pour « sauver la démocratie », et j’avoue avoir espéré, sur le moment, qu’elle se retourne un jour contre ceux qui l’avaient attisée.
Voilà. L’article qu’on vient de lire n’était pas mensonger, en ce sens que j’ai entendu les propos, vu les choses, éprouvé les impressions que je rapporte. En revanche, il est probablement erroné ; j’ai pu me tromper sur tout : sur les personnes, leur passé, leurs convictions actuelles, leurs responsabilités dans ce qui arrive. Il est certain, enfin, que dans le monde où cet article paraîtra, ces personnes auront changé, que le passé dans lequel je les ai rencontrées sera révolu, révoqué, incompréhensible y compris par elles-mêmes. Il se peut que le talentueux arriviste Nedelciu se retrouve un héros emprisonné, le dilettante Boia un ministre corrompu, et Teodorescu le puissant leader d’un puissant Parti communiste-nationaliste-paysan. L’idée que tout soit possible passe pour attrayante ; deux semaines en Roumanie m’ont persuadé qu’elle est horrible.
Juin 1990
Un texte paru dans La Règle du jeu no2, en septembre 1990, pp. 152-173.
[1] Ion Iliescu, ancien apparatchik du Parti communiste roumain, est élu président de la République roumaine en mai 1990, lors d’élections libres. Il succède au despote Nicolae Ceausescu. NDLR.
[2] Monnaie roumaine. NDLR.
[3] Ana Blandiana, de son vrai nom Otilia Valeria Coman, est une poétesse roumaine. NDLR.
[4] Doina Cornea est une écrivaine dissidente roumaine. NDLR.
[5] Mircea Dinescu est un poète dissident roumain. NDLR.
[6] Le Front de Salut national (FSN) est un organisme politique, créé notamment par Ion Iliescu. Il prend part à la chute de Ceausescu, avant d’arriver au pouvoir par le biais du Conseil du Front de salut national (CFSN). NDLR.
[7] On parle de « Minériade » pour désigner les violences exercées par les mineurs dans la capitale roumaine, à l’encontre des membres de l’opposition à Iliescu, qui reprochaient au nouveau président d’avoir constitué un gouvernement post-Ceausescu avec des membres de la nomenklatura communiste. En effet des révolutionnaires de 1989 qui s’étaient opposés à la dictature de Ceausescu, avaient proclama à Timisoara que tous les anciens membres officiels du Parti communiste roumain (tel que Iliescu), et qui avaient donc collaborés avec le dictateur, devaient être bannis des fonctions publiques et de l’exercice du pouvoir. NDLR.
[8] En français : « L’Europe hantée ». NDLR.