Un an de villes et de villages rasés, de civils ciblés et bombardés, d’enfants déportés.

Un an de stratégie de la terre brûlée (tout détruire avant de décamper) et de stratégie du charnier (tuer, tuer encore, tuer comme on déboise, car les Ukrainiens sont des « Petits-Russes », des « sous-hommes », des « insectes nuisibles »).

Un an qu’une grande puissance, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, brave le droit international, bafoue les lois de la guerre et donne l’exemple de la force brute, déchaînée, sans limites, prête à toutes les monstruosités pour remodeler à son profit l’ordre mondial.

Un an que les Iraniens observent, que les Turcs sont aux aguets, que les islamistes radicaux comptent les points et se demandent jusqu’où l’Occident est prêt à aller pour défendre ses valeurs et intérêts, et un an que la Chine revoit ses plans d’invasion de Taïwan – ira ? ira pas ? que seront, à la fin des fins, les leçons de cette guerre ukrainienne ? la jurisprudence dira-t-elle : « c’est bon ; les États-Unis sont un empire empêché, récalcitrant, irrémédiablement déclinant » ou au contraire : « on les a trop vite enterrés ; on a tablé à tort sur la mort cérébrale de l’Otan et de l’Europe ; la fermeté de leur réaction, en Ukraine, est la preuve qu’il faut d’urgence annuler ou, en tout cas, différer l’opération prévue à Taipei » ?

Et un an que, face au rouleau compresseur russe, face aux vagues humaines dont on menace les fronts est et sud, et face, surtout, aux piètres soldats de la milice Wagner, drogués à la vodka, grands criminels sortis de prison pour être envoyés à l’abattoir, soudards, l’armée ukrainienne tient, s’enterre dans la terre et la vase et, quand elle le décide, quand elle est sûre de ses hommes et de ses moyens, contre-attaque, reprend les territoires perdus et vole au secours des principes de démocratie et de liberté – j’ai filmé cela.

Il faut, maintenant, que cette guerre s’arrête.

Il ne faut, à aucun prix, entrer dans une deuxième année de dévastation.

Et il faut tout faire pour que l’internationale des dictateurs ne profite pas de la situation pour ouvrir donc, qui à Taïwan, qui en Irak, qui dans les Balkans ou dans telle île grecque, de nouveaux fronts, de nouvelles brèches – il faut tout faire pour, à l’inverse, que la résistance des Ukrainiens sonne comme un avertissement pour les « cinq rois », apprentis sorciers, tentés de prendre modèle sur Poutine et de le suivre sur son chemin néo-impérial.

Il faut, autrement dit, que Poutine perde cette guerre.

Il faut, dans l’intérêt des Ukrainiens mais aussi du reste du monde, qu’il la perde vite et sans contestation.

Et il faut que les alliés de l’Ukraine décrètent, au seuil de cette deuxième année, la mobilisation générale, sans atermoiement ni réserve, de leurs arsenaux et ressources.

C’est ce qu’a dit le président Macron dans son discours de Munich.

C’est ce qu’a fait le président Biden en venant, en plein Presidents’ Day, jour anniversaire de George Washington, rencontrer son homologue Zelensky à Kyiv. 

Et c’est comme un grand mouvement de bascule qui relègue Poutine, d’un coup, dans le camp de ces bannis de la terre que sont ses derniers et peu reluisants alliés : Iran, talibans, islamistes de Tchétchénie, Coréens du Nord, nostalgiques du colonialisme ottoman.

Alors j’entends bien les cassandres qui, çà et là, crient à l’escalade.

Et je sais que par escalade ils entendent la réaction de la bête blessée, acculée, mais dotée d’armes de destruction inédites.

Mais, sur ce dernier point, une année passée à écouter les uns et les autres, sur tous les fronts d’Ukraine ou à peu près, m’a convaincu de deux choses.

1. L’Ukraine qui, jusqu’au funeste mémorandum de Budapest, signé en 1994, et aux termes duquel elle s’engageait à déplacer ses arsenaux en territoire russe, fut une puissance nucléaire, regorge encore d’experts qui savent de quoi il retourne et qui, interrogés, m’ont tous dit : Poutine ne décide pas seul ; naïve est l’image du doigt du dictateur posé sur le bouton et capable, à lui seul, de déclencher l’apocalypse ; la chaîne de commandement, à Moscou, est ainsi faite qu’un tir implique 100, peut-être 200, personnes, parmi lesquelles une bonne vingtaine ont, à tout moment, le pouvoir de tout bloquer.

2. Plus risqué encore que l’hypothétique coup de folie de la bête aux abois, il y aurait, si le chantage poutinien payait et si la peur qu’il nous inspire nous faisait lui concéder ne serait-ce qu’une part infime de ses revendications, la certitude de voir tous ses émules, tyrans et tyranneaux de la planète, s’exclamer : « il suffisait donc de cela ? l’arme atomique donne tous les droits ? que ne l’a-t-on su plus tôt ! rattrapons vite le temps perdu ! » – c’est le cauchemar de Jaspers et de Camus qui deviendrait réalité ; c’est le monde qui, d’un bout à l’autre, et pour peu qu’on en ait les moyens, franchirait le seuil nucléaire ; et c’est l’humanité qui, pour de bon, courrait au suicide. On peut prendre le problème par tous les bouts.

Au point où nous en sommes, il faut que la Russie soit défaite.