Des milliers d’Américains en état d’alerte non loin de la ligne de front ukrainienne…

Le Premier ministre britannique sur le point de leur apporter un soutien terrestre, aérien, naval…La France, en même temps qu’elle travaille à la désescalade, annonçant l’envoi d’un bataillon en Roumanie…

La Suède mobilisée contre les provocations de la Russie et ses navires de guerre en train de faire mouvement…Même si rien, loin s’en faut, n’est gagné, c’est la première bonne nouvelle de l’année : le monde libre (eh oui ! il ne faut pas hésiter à dire « le monde libre » !) réagit à la possibilité d’une invasion de l’Ukraine – et Poutine, comme prévu, commence de reculer.

Une exception, pourtant, à ce sursaut : l’Allemagne, et, donc, la première puissance européenne.

C’est d’abord la toute nouvelle ministre des Affaires étrangères, l’écologiste Annalena Baerbock, écartant, le 17 janvier, à Kiev, le recours à l’option militaire mais envoyant 5 000 casques de protection.Puis une série de dirigeants sociaux-démocrates qui, tel le président du groupe au Bundestag, déclarent « comprendre le sentiment de menace » éprouvé par le Kremlin.

Puis l’ahurissante histoire de l’Estonie décidant de livrer à Kiev 42 canons D-30 avant que l’Allemagne lui rappelle que ces armes furent, naguère, la propriété de la RDA et que Berlin est fondé à en interdire l’exportation.

Jusqu’au chef de la marine, Kay-Achim Schönbach, contraint de démissionner après avoir repris l’élément de langage le plus grossier de la propagande russe : le gentil Poutine qui ne demande qu’à être « respecté » par ses méchants voisins ukrainiens…Pire, voici que refait surface le débat sur le fameux gazoduc Nord Stream 2, creusé sous la Baltique et censé approvisionner en gaz russe l’Allemagne et l’Europe.

Faut-il rappeler que ce gazoduc qui épouse le trajet de son jumeau, Nord Stream 1, en service depuis dix ans, ne fournira une énergie ni moins chère ni meilleure ?

Que le seul effet tangible de ce projet pharaonique sera de contourner la Pologne et l’Ukraine, privées, si l’on va au bout de la logique, de précieuses taxes de transit ?

Et que, pour nous, Européens, l’aventure se soldera par une dépendance accrue vis-à-vis d’une Russie en capacité théorique, à tout moment, de couper les robinets ?

Le débat, donc, revient. Ce gazoduc inutile, absurde et dont les Ukrainiens n’ont pas de mal à plaider que la principale fonction sera de les affaiblir, l’Otan propose au chancelier Scholtz d’y surseoir. Mais, si ce dernier finit par s’y résoudre, c’est après avoir noyé le poisson, tergiversé, plaidé que c’est un « projet privé » ou laissé dire sa répugnance à « entraîner dans le conflit » ce fleuron de la technicité industrielle et financière allemande…

Les alliés de l’Allemagne se confondent en hypothèses.

Les uns évoquent (mais c’est si loin !) l’héritage de l’Ostpolitik de Willy Brandt.

Les autres invoquent la culpabilité allemande et le temps où, comme disait Paul Celan, « la mort était un maître d’Allemagne » (mais pourquoi cette culpabilité ne bénéficierait-elle pas, aussi, aux Ukrainiens ?).

Les troisièmes voient dans ce néopacifisme la trace d’une idéologie, le « changement grâce au commerce », dont le théoricien fut, il y a cinquante ans, dans Les Armes de la paix, le Franco-Américain Samuel Pisar qui ne fut autre que le beau-père et mentor du secrétaire d’État Tony Blinken.

Jusqu’aux germanophobes qui y vont de leur soupçon : l’ ancien chancelier Gerhard Schröder, initiateur du projet gazier maudit, qui, mission accomplie, se fait acheter par Gazprom ; le patron actuel du projet, Matthias Warnig, ancien officier de la Stasi ; sans parler de trois sociétés mises sur liste noire par l’administration américaine car soupçonnées de participer, depuis le sol allemand, à la mise au point d’armes chimiques russes du type de celles qui ont empoisonné Navalny.

Face à cette confusion, amis allemands, une solution.

Renouer avec l’esprit de Konrad Adenauer, Walter Hallstein, Wilhelm Röpke, pères fondateurs, à la fois antinazis et antistaliniens, de l’Union européenne.

Vous remémorer le mur de la honte, franchi sous les mitrailles, puis tombé sous les coups d’archet de Rostropovitch comme les murailles de Jéricho sous les trompettes de Josué – et, ensuite, le moment de grandeur qui vous fit consacrer aux naufragés de la Shoah le kaddish de pierres, couleur de cendres, qui se dresse au cœur de Berlin.

Ne pas oublier que vous êtes le pays de l’impératif catégorique kantien, du patriotisme constitutionnel de Habermas et aussi, avant cela, d’un gai savoir nietzschéen conspuant la lourdeur d’un certain esprit allemand malade de sa puissance, de sa prospérité sans espérance, de sa bonne conscience.

Et écouter ceux qui, comme ici, vous adjurent : les amis de la science et de la philologie, les fervents de Hölderlin et de Novalis, les héritiers de Thomas Mann et Adorno, les habitants de cette Lorelei de pensée et de beauté qui, pour parler comme Apollinaire, a fait mourir d’amour tous les Européens à la ronde, valent mieux que de servir de marchepied à Poutine.