Ce mardi 10 janvier 2022, Sur « Touche Pas à mon Poste » (TPMP), l’émission phare de la chaîne C8, qui se nourrit principalement de sujets scabreux et les traite d’une manière déplorable, l’inénarrable Cyril Hanouna a invité sur son plateau, l’avocat rémois de Dieudonné M’Bala M’Bala, Maître Emmanuel Ludot et le directeur de publication d’Israël Magazine, un journal franco-israélien qui ne se caractérise pas par son professionnalisme et son intelligence. Lors de cette émission, André Darmon vient expliquer pourquoi il aurait hésité mais a finalement décidé de publier un texte de Dieudonné dans son magazine. Sur son site Internet, sous le titre de « Dieudonné demande pardon à la communauté juive », Dieudonné se fend d’une lettre ubuesque où il écrit qu’il tient « à demander pardon à toutes celles et ceux que j’ai pu heurter, choquer, blesser au travers de certaines de mes gesticulations artistiques. Je pense notamment à mes compatriotes de la communauté juive, avec lesquels je reconnais humblement m’être laissé aller au jeu de la surenchère ». Surenchérissant, son avocat vient appuyer cette demande, en parlant d’une initiative dont il vante l’honnêteté et qui s’appuierait sur le modèle de la fête religieuse juive de Yom Kippour (le Grand Pardon), le jour le plus saint et le plus solennel de la religion juive consacrée à regretter les mauvaises actions et les mauvaises pensées qui ont été commises durant l’année écoulée et à demander pardon, à Dieu ainsi qu’à ses semblables, avec sincérité. Et, sur le plateau, le débat biaisé porte sur cette démarche. Faut-il permettre à Dieudonné d’adresser à la communauté juive des excuses et sont-elles sincères ?
Sauf que voilà, Dieudonné M’Bala M’Bala n’a pas à répondre de ses actes devant une quelconque religion ou au nom de quelconques préceptes religieux, mais devant la Justice de notre pays, seule habilitée à déterminer de sa culpabilité. Or, la justice française a condamné à plusieurs reprises ce multirécidiviste de la haine. Et ce n’est que devant la justice de notre pays, prononcée au nom du peuple français, que Dieudonné devra continuer de répondre des mots orduriers et qui ont été les siens. D’ailleurs et tout au long de ces années, de nombreux procès ont été intentés contre Dieudonné, dont plusieurs se soldent par des condamnations pour incitation à la haine raciale. Nous n’allons pas ici rendre compte de ces procédures judiciaires, tant elles sont nombreuses. Comme l’a rappelé un magistrat, lors d’une audience, son casier judiciaire est très fourni. Enfin et dans un autre domaine, en juin 2021, Dieudonné est condamné à deux ans ferme en appel pour abus de biens sociaux et fraude fiscale. Dernièrement, Noémie Montagne, son ancienne compagne, a porté plainte contre lui (mardi 25 octobre 2022). Elle l’accuse de « harcèlement » et d’ « escroquerie ».
Il était une fois, Dieudonné…
Il était une fois un jeune humoriste parmi les plus doués de sa génération. Pendant plusieurs années, de 1991 à 1997, le Franco-Camerounais Dieudonné M’bala M’bala est en tournée avec l’humoriste Elie Semoun. Un duo qui fonctionne bien. En même temps, Dieudonné bataille contre le Front national. C’est ainsi que, lors des législatives de 1997, Dieudonné se porte candidat à Dreux pour s’opposer à Marie-France Stirbois, représentante locale du Front national. Il est alors encensé par une partie de la gauche pour ses positions en faveur de la régularisation des sans-papiers ou du droit de vote des immigrés. Il est invité dans les émissions de radio et de télévision. Dieudonné plaît. Mais peu à peu il s’enferme, il catégorise, dénonce, puis stigmatise. Et un autre Dieudonné apparaît.
En 2000, Dieudonné se lance dans la réalisation d’un film sur le Code noir[1]. Il demande une aide à l’écriture au Centre national du cinéma (CNC), refusée en 2002. Selon Louis Sala-Molins, autre coauteur, le scénario était d’une « férocité totale », car « il fallait cogner », que le Français sache vraiment ce que fut sa politique négrière[2]. Mais voilà, très vite, Dieudonné impute ce refus aux prétendus « sionistes du CNC » qui pratiquent, selon lui, un « deux poids, deux mesures ». Un refus qui aurait été le déclencheur de ses prises de position ultérieures.
Il s’en expliquera d’ailleurs lors d’une interview qu’il accorde à Thierry Ardisson, dans son émission « Tout le monde en parle », sur France 2, le 11 décembre 2004. À L’animateur Thierry Ardisson qui lui demande « est-ce que vous n’auriez pas intérêt finalement à faire avancer la cause des Noirs plutôt que d’être l’ennemi de la cause sioniste ? », Dieudonné répond : « C’est sûr. Mais bon, tout a commencé avec ce projet de film sur le Code Noir, sur la traite négrière. Tout a commencé comme ça. Je vais voir les autorités de mon pays, le CNC, pour dire “Bon voilà je voudrais faire ce film”. Et là on m’envoie un courrier. On me dit : “Non. Ne faites pas un film”… Pourquoi ? Parce que c’est un sujet extrêmement délicat. 95 % des richesses aux Antilles appartiennent encore aux descendants d’esclavagistes. C’est un sujet difficile à ouvrir. Alors je leur dis : “Vous ne pouvez pas me dire ça. Vous avez financé tout un tas de films sur d’autres crimes contre l’humanité.”… Et là, j’ai compris que j’étais face à une sorte d’unicité dans la souffrance, face à la République, qui m’a extrêmement dérangée ». Mais dans son esprit, ce refus ne pourrait en aucun cas lui être imputable, quel que soit le scénario et sa « férocité totale ». Non, il lui faut un bouc-émissaire fantasmé, il est donc tout trouvé.
Dès lors, Dieudonné utilise un qualifiant (les sionistes) qui sert de repoussoir notamment dans les quartiers sensibles, mais aussi chez des arabo-musulmans, dans une partie de la gauche et à l’extrême-gauche. Mais, qui, dans sa langue, est utilisé à la seule fin de dénoncer les Juifs, dans leur globalité. Par ailleurs, ce choix – pour des raisons à la fois tactiques et politiques – est aussi la conséquence des procès perdus par Dieudonné. Celui-ci déclarait le 14 juillet 2005 sur le site des Ogres (aujourd’hui fermé) « Ben ! Je vous le dis (…) je ne prononce pas le mot Juif. Après mes différents procès, j’ai compris qu’il pouvait y avoir interprétation sur ce mot alors que sioniste, il n’y a pas d’interprétation possible[3] ».
En réalité, Dieudonné poursuit une stratégie que décrit Éric Marty, professeur à l’université Paris-VII[4]. En premier lieu, dénier la qualité de victimes aux Juifs en leur attribuant les signes de leurs propres bourreaux ; faire des Juifs les artisans du martyr noir et de l’esclavage ; se donner soi-même comme victime, en dénonçant le « lynchage » dont il se dit victime. Cet antisémitisme traverse également des mouvements radicaux noirs américains, les Black Panthers ou Nation of Islam, dont le chef est Louis Farrakhan[5]. Dieudonné tente de fédérer une communauté noire très dispersée, mais dont le ressentiment monte face à une République qui ne tiendrait pas ses promesses. Pour lui, les premières victimes du racisme sont les Noirs et les Maghrébins. Succès garanti dans certaines banlieues difficiles. C’est ainsi que la thématique du « tous pourris » imprègne ses spectacles.
Mais, c’est en décembre 2003, sur le plateau de « On ne peut pas plaire à tout le monde », le talk-show de Marc-Olivier Fogiel sur France 3, que son image médiatique commence sérieusement à se brouiller. Il interprète, en direct, un sketch polémique. Le visage masqué, il campe un colon israélien s’en prenant à Jamel Debbouze, présent autour de la table, qu’il qualifie d’« humoriste musulman », de « moudjahidine du rire ». Son personnage fait un salut fasciste, invitant les jeunes des cités à rejoindre « l’axe du bien américano-sioniste ». La provocation de trop. Lors du procès en première instance pour ce sketch, Dieudonné est encore soutenu par quelques personnalités, comme Robert Ménard, alors président de Reporters sans frontières ou l’ex-auteur des Guignols Benoît Delépine (de Canal+). Ce sont là d’éventuels témoignages de moralité. Mais, d’autres personnes assistent au procès, comme Ginette Skandrani, sexagénaire, environnementaliste alsacienne, foncièrement anti-israélienne, proche du négationniste Serge Thion[6]. Dans la salle, venu également le soutenir, Nouari Khiari, un militant connu pour ses violentes diatribes anti-israéliennes, animateur de manifestations des pro-voiles[7]. Nouari est également un proche de Farid Smahi, ex-conseiller régional FN d’Ile-de-France.
Et, les déclarations antisémites se multiplient alors. Dès lors, il n’est plus le bienvenu dans les studios. On ne veut plus l’inviter, on craint le scandale. La presse écrite hésite. Ses outrances provoquent des protestations. Des plaintes sont déposées. Or, en février 2005, à Alger, devant un public conquis, il se compare à Dreyfus et à Jésus, dessine le portrait d’une France où la parole serait interdite et où violer un bébé serait moins grave que de critiquer Israël[8]. Il jette en pâture certains noms (Patrick Bruel, Elie Wiesel, Bernard-Henri Lévy…) À l’issue de la conférence de presse donnée avant le spectacle, Dieudonné parle de la France, qu’il décrit en ces termes : c’est un « territoire occupé par le sionisme ». Il ajoute que « la Shoah est une pornographie mémorielle ».
Dieudonné et l’accusation de peuple déicide
A Alger, le 19 février 2005, dans le quotidien algérien L’Expression, Dieudonné affirme que « le sionisme, c’est le sida du judaïsme » : « Dire qu’on vit en France. Nous sommes des sous-citoyens. Nous n’avons pas les mêmes droits que les sionistes. Eux, dans une école, il suffit qu’un petit soit traité de sale Juif pour que tout le monde se lève. Pour moi, le sionisme, c’est le sida du judaïsme ». De jours en jours, Dieudonné radicalise un peu plus son propos et renforce définitivement son image d’antisémite. C’est ainsi également que le fiel du complotisme ne va plus le quitter, lorsqu’il est à l’étranger, en tournée dans un pays arabe et en Iran. Il en usera et il en abusera pour plaire à ses hôtes. Dieudonné cherche-t-il une consécration à l’étranger ? Oui, et c’est en Iran qu’il va la trouver. Il se rend en Iran et y rencontre le président Mahmoud Ahmadinejad. Là, Dieudonné participe à des interviews télévisées.
Lorsqu’il le peut et où qu’il soit, d’Iran en Syrie et de Syrie en Corée du Nord, il mène un combat contre le sionisme et les démocraties occidentales. Pour Dieudonné, le sionisme est une sorte de pieuvre tentaculaire qui dominerait le monde. Ce faisant, consciemment ou inconsciemment, il répercute les vieux mythes fondateurs de l’antisémitisme. Mais lorsqu’il parle du sionisme, Dieudonné ne veut pas seulement dénoncer une doctrine, et un nationalisme. Dieudonné y ajoute d’autres qualifications et considérations. Quoiqu’il se défende tactiquement d’être antisémite alors qu’il l’est, il voit dans cette dénonciation du sionisme, une expression commode, sorte de ramasse tout de substitution. Comme d’autres, avec cette dénonciation du sionisme, il prend tout ce qui l’arrange et qu’il veut délibérément et constamment dénoncer. Derrière le sionisme et l’État d’Israël, dans son esprit, se trouve forcément toujours le Juif, et toutes les représentations fantasmées et apocalyptiques autour du Juif. C’est ainsi que, par exemple, ce glissement sémantique a pu s’opérer le plus tranquillement du monde, lorsque Dieudonné est interviewé par la chaîne iranienne Sahar 1 en septembre 2011. Lors de l’entretien, Dieudonné lâche subitement que « le sionisme a tué le Christ » :
Sahar 1 : « Pourquoi le sionisme essaie tant de faire des crimes de par le monde ? »
Dieudonné : « C’est profondément une science du mensonge et une haine profonde de l’humanité. Il me semble que c’est une épreuve envoyée à l’Humanité, mais que nous allons dépasser. Le sionisme joue sur nos instincts les plus bas. Le sionisme partout où il arrive tente d’enlever les valeurs morales du pays (…) Il nous tente. C’est la tentation dont a parlé le Christ (…) Les valeurs islamiques arrivent partout dans le monde et c’est pour cela que le sionisme développe une communication islamophobe. Le sionisme a tué le Christ. C’est le sionisme qui prétendait que Jésus était le fils d’une putain (…) or, Jésus a annoncé la venue du prophète, euh… du messager ».
Cette qualification est ici appliquée sans la moindre hésitation et retenue, sciemment, pour rappeler dans l’imaginaire collectif ce vieux mythe. Car pendant des siècles, les chrétiens ont accusé le peuple juif d’être collectivement responsable de la mort de Jésus. C’est ce que l’on a appelé « l’accusation de peuple déicide ». Or, ce terme fait explicitement référence à la crucifixion de Jésus-Christ et porte une signification particulière, celle de « meurtrier de Dieu ». Dans cette interview, lorsque Dieudonné invoque le « sionisme » pour imputer aux Juifs la mort de Jésus et les malheurs de l’humanité, il parle abusivement et mensongèrement d’une idéologie, le sionisme, pourtant postérieure de quelque dix-neuf siècles à la mort de Jésus.
Dieudonné, le négationnisme et Robert Faurisson
Mais, surtout, Dieudonné a un grand ami, le négationniste Robert Faurisson. Le 28 décembre 2008, au Zénith de Paris, Dieudonné remet à Faurisson « un prix de l’infréquentabilité et de l’insolence » devant 5.000 spectateurs et le gratin de l’extrême droite. Jean-Marie Le Pen est accompagné de son épouse Jany et de sa fille Marie-Caroline, ainsi que Patrick Bourson, l’associé du leader frontiste dans une affaire de champagne. Dans la salle, l’essayiste Alain de Benoist, Dominique Joly, un conseiller régional FN élu sur la liste de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, un ancien dirigeant du GUD, et Marc Georges, alias Marc Robert, coordinateur de la campagne de Dieudonné pour la présidentielle de 2007. « Il y avait aussi des gens d’extrême gauche », tente de rééquilibrer le polémiste, qui toutefois refuse de donner des noms : « Je ne veux gêner personne. » La militante propalestienne Ginette Skandrani confirme sa présence, non loin du leader radical noir Kémi Seba, dont le mouvement Tribu Ka a été dissous en 2006 par le ministère de l’Intérieur. Il est sur scène, il s’amuse comme un petit fou. Juste avant d’accueillir Faurisson, il fait monter Jacky, son acolyte[9]. Jacky est en chemise de nuit avec une énorme étoile jaune sur la poitrine. La salle adore. Jacky ne comprend pas pourquoi il doit se déguiser en Juif. « C’est pour que les gens n’oublient pas ! » hurle Dieudonné[10]. Et Jacky, ovationné par le public, quitte la salle en bêlant : « N’oubliez pas ! » Sur scène, Faurisson se voit remettre un trophée en forme de chandelier sur lequel sont plantées des pommes par un technicien (Jacky) habillé en pyjama à carreaux, avec une étoile jaune sur la poitrine et le mot juif inscrit dessus, évoquant un déporté juif. En mars 2009, Dieudonné hilare filme un sketch avec le même Faurisson qui à cette occasion est coiffé d’une kipa. Puis il réalise un long-métrage « L’Antisémite », coproduit avec une société iranienne. Le film n’est pas diffusé en salles mais commercialisé sur Internet pour ses seuls abonnés. Il est présenté le 15 janvier 2012 en avant-première au théâtre de la Main d’or. Dieudonné y interprète le rôle principal : un homme alcoolique et violent, déguisé en officier nazi pour un bal costumé. Robert Faurisson y joue également pendant quelques minutes son propre rôle, tandis que la Shoah y est personnifiée en sainte.
Le premier extrait (de 3 minutes) de « L’Antisémite » est accessible sur Internet. La date de sortie officielle est le 21 mars 2012. Dans ce court extrait, sur fond de piano tourné avec une couleur très années 1920, on peut voir un Américain, William Murdock (qui joue son propre rôle) inspecter une chambre à gaz. On reconnaît Jacky, son technicien, qui porte l’habit rayé des déportés. Le film n’est pas diffusé en salles mais commercialisé sur Internet pour ses seuls abonnés. Il est présenté le 15 janvier 2012 en avant-première au Théâtre de la Main d’or. Pour comprendre ce dont il s’agit, nous reproduisons l’extrait suivant :
« Le narrateur : Alors, arrivés à Auschwitz, les Alliés découvrent un spectacle d’horreur et de désolation.
Un prisonnier (à un autre gros prisonnier fumant la pipe) : Dégage !… On filme l’histoire !
Le prisonnier : S’il vous plaît ! À manger !
Le narrateur : L’officier américain William Murdock dira…
William Murdock : Tiens ! Bouffe !
Le narrateur : L’humanité tout entière s’est vue à jamais marquée du fer rouge de la barbarie ! Grâce à un système de tuyauterie particulièrement ingénieux et complexe, le gaz était acheminé jusqu’à l’intérieur de la pièce.
William Murdock : Oh my God ! Oh mon Dieu !
Le narrateur : Sur la porte de cette chambre à gaz est inscrit SALICH DOUCHE : salle de douches.
William Murdock : Les preuves irréfutables…
Le narrateur : C’est dans une chambre à homicide comme celle-ci que le régime nazi a gazé deux millions de Juifs et quelques autres manants, sans conséquence.
Un personnage (au sujet du gaz): Mais comment ça marche ?
Un personnage (sous la douche qui coule) : C’est incroyable !
Le narrateur : Plus de 80 déportés étaient entassés dans cet endroit réduit pour y être asphyxiés.
Un personnage : Les fameuses douches…
Un autre : Mais d’où venait le gaz ?
Le narrateur : Le gaz utilisé pour tuer était le Zyklon B. Les corps étaient transportés au crématorium central jusqu’à des crématoriums de fortune comme celui-ci [mini-barbecue], qui servaient à incinérer des nourrissons.
Un personnage (au sujet du Zyklon B) : Je peux l’emporter ? Ça peut toujours servir !
Un personnage (tirant une fourchette du barbecue) : Une fourchette ? – Euh… On coupera au montage.
Un personnage (tirant des os de poulet du barbecue) : Des os de poulet ? – Euh… Non ! Des os d’enfants.
Le narrateur : D’autres corps étaient dépecés, et les peaux utilisées pour faire des fauteuils en cuir…
Un prisonnier (désignant un fauteuil) : Attention ! Vous vous asseyez sur ma grand-mère !
Le narrateur : … ou bien encore de luxueux abat-jours particulièrement prisés par la bourgeoisie nazie.
Un personnage : Ça aussi, c’est en peau de Juif ? – Bien sûr !
Le narrateur : Malgré cet amoncellement de preuves irréfutables, il s’en trouvera encore pour nier la Shoah ! »
On voit bien dans cet extrait, défiler toute la stratégie mise en œuvre par Dieudonné. Le crime est totalement ridiculisé, il est décontextualisé et devient un objet de moquerie, de drôlerie, de bouffonnerie. Et là, s’opère également sa négation. C’est ainsi que le négationnisme fonctionne chez Dieudonné. Il est couplé avec toutes les ficelles de l’antisémitisme. Mais, cette stratégie et cette convergence avec Robert Faurisson correspondent aussi à une vision du monde que Dieudonné résume dans une interview publiée par l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol, le 11 mars 2011. Cette citation condense probablement tout ce que Dieudonné entend, comprend et veut débiter. Elle explique aussi pourquoi et comment Dieudonné s’est entiché de Faurisson, tout au long de ces années : « Les grands vainqueurs de la dernière guerre mondiale ce sont les sionistes. On a eu pendant la guerre l’occupation allemande ; aujourd’hui, c’est l’occupation sioniste. Non seulement la guerre n’est pas terminée, mais elle se durcit car l’occupant est pire que les précédents. »
Comment s’étonner dans ces conditions qu’en octobre 2018, Dieudonné pleure la mort du négationniste ? Véritablement triste, il s’exclame : « Robert Faurisson nous a quittés, je perds un ami, un homme exceptionnel qui m’a beaucoup inspiré. Je sais que la soif de vérité à laquelle il était enchaîné est à présent apaisée, elle aura fait de sa vie une œuvre incomparable. Dans un monde normal, ta place sera au Panthéon […] Tu es le seul homme pour qui je vais m’imposer un devoir de mémoire ».
Dieudonné joue la victime
Dieudonné se nourrit des polémiques qu’il alimente. Comme Jean-Marie Le Pen en son temps – qui calculait sciemment ce qu’il voulait dire et comment il fallait le dire – Dieudonné se nourrit des polémiques qu’il engendre, des mots lâchés, sciemment. Cela participe à la fois de la promotion de ses shows et du business qui va avec. Plus on parle – fût-ce en mal – de lui, plus il en tire des bénéfices. Car la promotion du « spectacle » ne se fera que si elle est accompagnée de phrases assassines. Bien évidemment, il va être très critiqué. Mais, après tout, n’est-ce pas ce que son public attend et réclame ? Dieudonné ne fait pas dans la vertu, il se nourrit du grossier, il affectionne le scandale. Il transgresse, c’est le job. Il ne doit pas le faire à moitié, mais totalement. Et plus c’est gros, plus cela porte et fidélise ses fans. Il doit y voir un autre avantage. Dieudonné cherche à faire passer des messages. Son combat est politique, nous le pensons. C’est ainsi qu’il ne s’agit pas seulement de gagner de l’argent, même s’il aime l’argent. Si tel est bien le cas, il aurait pu le faire autrement, sans aller aussi loin, probablement. Les phrases délivrées constituent également un argumentaire, fût-il sordide, fût-il scabreux, pour « éduquer » son public. Enfin, et pour terminer, Dieudonné aime jouer la victime. C’est un répertoire et un rôle qu’il affectionne particulièrement. Dieudonné se veut en « martyr » du système et des lobbies, comme un saint, comme Jésus. C’est en tout cas l’image qu’il aime donner de lui. C’est aussi cela la promotion du « spectacle », pas seulement lancer une phrase, mais jouer pleinement le registre de la victimisation. Il n’est pas le seul bien sûr à le faire. Ils sont nombreux à affectionner ce rôle. Mais Dieudonné en connaît tous les registres. Comme pour rappeler à son public qu’il paye cher le fait de pointer du doigt. C’est un registre qu’il affectionne particulièrement, comme Jean-Marie Le Pen, en son temps. C’est un registre qu’il connaît par cœur et dont il use et abuse régulièrement.
Pardonner ?
Dans ces conditions quel crédit accorder à un activiste antisémite et négationniste lorsqu’il vient demander pardon à la communauté juive ?
Les fourberies de Dieudonné, je connais. J’ai eu l’occasion avec mes camarades de SOS Racisme, de l’UEJF, de la LICRA et du MRAP et d’autres associations, de le voir, de l’entendre, de le regarder, et de l’affronter, lors de différentes audiences.
J’ai vu son petit rire moqueur lorsqu’au tribunal, l’on projetait quelques-unes de ces vidéos « assassines ». J’ai vu sa satisfaction, son orgueil démesuré et sa brutalité. L’homme (en bermuda) devant les juges, sans attendre de nous entendre, je l’ai vu se régaler de ses saillies misérables et racistes. Je l’ai vu également sur Internet, se régaler de ses mots/maux et exciter son public, notamment les jeunes de banlieue, jetant comme on jetterait aux chiens, des os. Lui, Dieudonné M’Bala M’Bala jetait en pâture les Juifs, avec une expression particulière du visage et un sourire carnassier…
Alors, pardonner ? Jamais. Par contre, nous continuerons de le traîner devant les tribunaux, afin que justice soit rendue.
Marc Knobel est historien, il a publié en 2012, l’Internet de la haine (Berg International, 184 pages). Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet.
[1] Rédigé sous l’autorité de Colbert, et promulgué par Louis XIV, le Code noir réglemente l’esclavage aux Antilles. En un préambule et soixante articles, il règle dans les possessions françaises d’outre-Atlantique « l’état et la qualité des esclaves » en les qualifiant de bêtes de somme ou de purs objets.
[2] Anne-Sophie Mercier, Dieudonné démasqué, Paris, Le Seuil, 2009, p. 63.
[3] Cité par Cindy Leoni, « Dieudonné, multirécidiviste », Libération, 3 janvier 2014, p. 21.
[4] Éric Marty, « Que Dieudonné se rassure ! », Le Monde, 7 mars 2004.
[5] Sur ce sujet voir l’article de Philippe Boulet-Gercourt, « États-Unis : les noirs antijuifs », Le Nouvel observateur, 24 février – 2 mars 2005.
[6] Ancien professeur de littérature à l’université Lyon-II, cette figure de l’ultra-gauche négationniste consacre sa vie à expliquer que les chambres à gaz n’ont jamais existé. Son engagement lui a valu des procès qu’il a toujours perdus.
[7] Claude Askolovitch, « Dieudonné. Enquête sur un antisémite », Le Nouvel observateur, 24 février – 2 mars 2005.
[8] Selon Jean-Marcel Bouguereau dans « Terrifiante comptabilité », Le Nouvel Obs, 21 février 2005.
[9] Marianne, « Jacky Sigaux, le régisseur », 11 au 17 janvier 1014, page 19.
[10] Dans un éditorial intitulé « Hitler et Voltaire » dans L’Express en date du 15 janvier 2014, Christophe Barbier écrit : « Dieudonné n’est pas un humoriste, il est un propagandiste ; il n’est pas politiquement incorrect, il est idéologiquement infect. Ceux qui vont l’applaudir sont des coupables s’ils partagent ses thèses ou des complices s’ils cautionnent sa pensée par leur présence et leur rire tout en plaidant la naïveté ».
L’Union des mosquées de France (UMF) porte plainte contre l’écrivain Michel Houellebecq pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence ».
L’Union européenne porte-t-elle plainte contre l’Union des mosquées de France pour appel à l’exécution d’une peine de mort — pour djihadophobie… on ne manque pas d’air ! — que le Protocole n° 13 de sa Convention des droits de l’homme abolit en toutes circonstances ?
La diffamation, c’est comme le terrorisme : un concept neutre, dont la valeur prend les couleurs de ceux-là mêmes qu’il marque au fer. Partant, diffamer une dictature ou une démocratie projetterait les auteurs de l’infraction pénale aux antipodes l’un de l’autre.
Et donc non, être condamné pour actes de terrorisme par le régime de Vichy, cela ne peut équivaloir aux sentences prononcées par la justice démocratique d’un État de droit à l’encontre d’une Bête immonde à x têtes s’étant chacune rendue coupable de crimes imprescriptibles.
Les filleuls d’Erdoğan cherchent à légitimer une riposte létale de la part des musulmans de France et de Navarre que menacerait un Occident islamophobe en tant qu’il planifierait contre eux un génocide culturel. Qu’on se le dise, l’observation des droits fondamentaux n’est pas négociable.
Si un risque de génocide plane factuellement sur la conscience des sujets ou citoyens du monde, il résulte du broyeur des libertés : en l’espèce, le limitateur équitable de ces dernières est le seul et unique garant concevable des intérêts fondamentaux de la Nation. Tout ce qui pourrait l’aider à accroître en ce sens le niveau de conscience des masses, comme par exemple un grand écrivain, ne sera pas superflu.
Les restes du droit international témoigneront bientôt contre les Hashshâshîn de France qui ne se s’étaient pas interposés entre les djihadistes de l’UMF (CQFD) et la démocratie mondiale dont le processus d’extinction est incontestablement enclenché.
Les militants de la gauche la plus conne subissent-ils un sort équivalent à celui qui s’abat actuellement sur des opposants héroïques auxquels une République aryenne, dont nous nous échinons à nous convaincre qu’elle n’est pas un régime politique inébranlable ni un modèle de civilisation immortel, va de nouveau montrer comment elle s’y prend pour marginaliser nos sautes d’humeur petites bourgeoises aux prétentions révolutionnaires ?
On ne devrait pas s’étonner que la même gauche qui s’amuse à placarder Bibi sous les traits d’Adolf en arrive à réhabiliter le SS-Komischführer M’Bala M’Bala. Certes, le fondamentalisme ethnoreligieux d’Itamar Ben-Gvir n’est pas moins infréquentable que ne l’est la haine pathologique de Mansour Abbas, mais voyez-vous, lorsque l’on a chanté les louanges d’une coalition gouvernementale optant pour la technique de neutralisation du Parti communiste qu’élaborerait François Mitterrand dès le congrès d’Épinay, on évite de trop se la ramener.
Pourquoi Israël devrait-il se soucier de l’image déplorable que son exécutif pourrait donner temporairement de lui au versant antisioniste du globe ? L’État juif n’a de comptes à rendre qu’à son peuple et aux générations passées, présentes et à venir qu’il induit en conscience et en acte. Pour cette seule raison, il serait stupide d’imaginer que le recours aux méthodes du jihâd et donc à la culture et à l’esprit qui est à l’œuvre dans chacune de ses manifestations, puisse être envisagé impunément par les cibles récurrentes du terrorisme panarabislamique.
L’ultranationalisme ne vaincra pas l’ennemi.
Le racisme n’a jamais sauvé aucun peuple élu.
Mais de manière tout aussi péremptoire, l’obstination à transformer l’impérialisme djihadique en guerre d’indépendance trahit un surmoi collectif et proactif antisémite, et lorsqu’elle frappe l’un de ces individus que le Troisième Reich recensait en vue de leur extermination, cette tournure d’esprit, — pardon, mais la notion de retournement me paraîtrait plus indiquée, — ce retournement d’esprit devrait être, en effet, requalifié en crime de haute trahison.