Cher Bruno de Stabenrath,
Ça m’ennuie de vous écrire pour vous faire un reproche, parce que j’avais été fasciné par votre livre sur l’affaire Dupont de Ligonnès, et que j’ai bien aimé votre article. Cependant, il y un passage qui m’a fait de la peine ; je le cite : « Plus tard, la fin de vie d’Elvis fut terrifiante : en tenue de scène combinaison lamée rutilante, il se transforma en Big Mac baroque, en pachyderme boursouflé, larmoyant de sueur, suintant les larmes, l’eau de toilette Fabergé et le beurre de cacahuètes. »
Je sais que c’est l’opinion courante, la vidéo que je propose aux lecteurs de La Règle du jeu confirme d’ailleurs les faits :
Tout ce que vous dites est vrai, mais il y a quelque chose qui fait qu’on s’en fout de la graisse, du lamé doré, du beurre de cacahuètes, de l’ambiance Las Vegas du truc — d’ailleurs c’est enregistré à Rapid City. Il y a deux choses même, une petite et une grande.
La petite, c’est qu’Elvis est sympa. Il a besoin d’aide c’est certain, il faut lui tenir son micro, il du mal à marcher. Mais avec les gens qui l’aident il est reconnaissant, un peu gêné d’être l’objet d’une telle attention, son sourire est sincère. Ce n’est pas obligatoire, pour la plus grande star du monde, d’être sympa ; mais il l’était.
La plus grande (mais est-ce la plus grande ? il m’arrive d’en douter), c’est la question de la beauté. Jamais Elvis n’a aussi bien chanté, jamais sa voix n’a été aussi profonde, aussi bouleversante que dans les quelques mois, les quelques semaines qui ont précédé sa fin. Il respire avec difficulté, il a de la peine à parler ; mais dès que sa voix s’élève il se passe quelque chose, qui n’est plus tout à fait de ce monde ; il s’envole sur les ailes du chant, et nous nous envolons avec lui. Chaque fois que je me suis senti au fond du trou, et que j’ai eu l’idée de mettre cette vidéo, quelque chose est revenu en moi, de l’ordre de la croyance (en la beauté, en l’espérance, en un peu tout), et j’ai pu commencer à me hisser hors du trou.
Je me rends compte que ce Schwanengesang à l’américaine a quelque chose de malsain, j’imagine que Glenn Gould n’aurait pas beaucoup aimé ; mais j’ai choisi Elvis.
J’aime particulièrement la délicatesse de votre analyse Mr Houellebecque.
Car il paraît évident qu’il se joue ici, précisément dans cette séquence, exactement l’inverse de la description de Mr de stabenrath.
Le génie sacrifié et dont le sacrifice en est à la fois l’instrument et la cause.
Merci M.Houellebecq: la voix d’Elvis m’a déchiré les tripes. et, son sourire… Son humanité est en fait magnifiée par sa déchéance physique.
Jamais je n’irai marcher sur ses souliers en daim bleu!
Merci pour cette divine vidéo d’Elvis! Quel hommage, vraiment …
Je lis les mots touchants de Michel Houellebecq sur Elvis Presley alors que je viens d’apprendre la mort de Linda Lê, qui m’atteint pour plusieurs raisons. Et les deux choses soudain se télescopent pour m’aider peut-être à sortir du trou. J’en sais gré à l’auteur.
je suis d’accord avec Michel Houellebecq, depuis toujours j’adore cette chanson et tout spécialement cette vidéo magnifique d’Elvis.