Nous commémorons le génocide des Tutsis du Rwanda.
Perdus à jamais. Perdus les enfants. Perdus les parents. Perdus les grands-parents. Perdus les voisins. Perdus les amis. Perdues l’innocence et l’insouciance.
Mais la force de l’esprit a survécu. La vie a été renouvelée. Le Rwanda s’est relevé et élevé ; le Rwanda, la force vitale plus puissante que jamais, rayonne dans le concert des Nations ; le Rwanda nous habite de son souffle engendrant dans nos esprits mille et une raisons d’espérer.
Nous commémorons le génocide des Tutsis du Rwanda.
La douleur indicible qui remonte. Cette douleur qui ne s’efface pas avec les saisons ; qui ne disparait pas avec la fin de la nuit ; qui passe et revient. Nul endroit où déposer une fois pour toutes cette souffrance.
Nous commémorons. Témoigner. Continuer à témoigner pour ceux qui ont vécu l’enfer. Témoigner pour demander à l’humanité de se souvenir.
C’était avril. Il y a 28 ans. L’humanité a entendu les cris et l’humanité n’est pas venue. La main secourable n’est pas venue. Des vies à sauver n’ont pas été sauvées. Qu’avons-nous refusé de voir ? Qu’avons-nous évacué de notre champ de vision ? Qu’avons-nous refusé de comprendre ? Qu’avons-nous refusé de manifester ?
Nous commémorons.
On avait dit, dit et répété encore une fois : l’horreur plus jamais !
Mais l’expérience humaine ne sert à rien. L’homme oublie et recommence. Sous un autre ciel, d’autres cris, d’autres malheurs. Sous nos yeux aujourd’hui Marioupol et Boutcha.
De quoi cette autre chose est-elle l’ombre ? Comment penser en temps réel, sans esquive, cette chose ?
L’Europe et la paix. Nos cœurs se sont illusionnés : la paix en Europe était certes à durée indéterminée mais non sans terminaison.
L’Ukraine. La terre remuée et la plaie ré-ouverte. Des crimes contre l’essence humaine ; la mort infligée interdisant jusqu’au deuil ; le langage qui embrouille et nie les faits.
Nous levons les yeux vers la montagne : mais pourquoi ? Pourquoi ? Il ne sert à rien de louer le ciel. Nos seules prières ne suffiront pas. Tous ceux qui sont revenus des cendres vous le diront ; eux, ils savent.
Il fait froid à Kyiv. Les jours sombres de retour sur l’Ukraine et sur l’Europe. Sur le monde. Qui sera debout aux côtés des victimes ? Debout pour les victimes ? L’endormissement des années passées ne nous est plus permis. Notre devoir est de vivre et de faire vivre. Notre devoir est de nous hisser à la hauteur de ce que nous avons sous les yeux : vivre pour l’Ukraine pour vivre pour nous.
Nous commémorons.
La tête haute, l’Ukraine nous regarde les yeux dans les yeux au moment où nous commémorons le génocide des Tutsis du Rwanda.
D’où nous venons importe peu. Lointains ou proches nous sommes l’humanité responsable de la grâce d’exister de chaque personne.
« Non à l ‘oubli » pour ne pas répéter les horreurs du passé devient conscience, présence et parfois vraie possession comme ce fut pour Primo Levi, contre le refoulement, la volonté de tourner page, contre ce « plus jamais çà» trompeur qui présume le faux espoir de pouvoir balayer d’un revers de main le mal et ses atrocités une fois pour toutes.
L’oubli du passé, à contrario d’une certaine philosophie, n’est pas synonyme d’une libération au présent mais seulement soumission voir persécution et culpabilité.
C’est la mémoire qui oblige, qui nous fait agir, qui demande justice, condition indispensable d’une liberté retrouvée.
La commémoration du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 demande encore des réponses et une justice loin d’être passée. Des criminels sont toujours à pied libre et circulent impunément parmi nous.
Un exemple de cet « aveuglement » c’est le cas du colonel Aloys Ntiwiragabo, ressortissant rwandais réfugé en France, réclamé par la justice du Rwanda pour répondre de crime contre l’humanité.
Ntiwiragabo par ailleurs n’a aucun titre pour rester en France et sa présence est tout à fait illégale.
Paradoxalement la France refuse de lui accorder l’asile mais également de l’extrader.
Une tolérance qui s’apparente à une protection et à l’oubli …. et voila revenus au point de départ.