Ce 5 décembre 2021 se tenait à Villepinte le premier meeting d’Eric Zemmour suite à l’officialisation de sa candidature à la présidentielle.
Une dizaine de militants de SOS Racisme s’est rendue au rassemblement du polémiste d’extrême droite afin de composer, depuis les derniers rangs de la salle, le message « Non au racisme » grâce à des lettres dans des t-shirts.
C’est en tentant d’effectuer cette action qu’ils ont été violemment frappés. Des sièges ont volé. Cinq militants de l’association antiraciste ont été blessés dont deux ont dû être pris en charge par les pompiers :
« En quelques secondes des chaises ont été lancées, des militants jetés à terre et frappés. Ils ont fini avec des plaies ouvertes – au moins deux – d’autres ont pris des coups. Voilà en 2021, en France, quand on vient dans un meeting pour dire non au racisme, on finit avec la tête en sang », a réagi auprès de l’AFP Dominique Sopo, président de SOS Racisme. « Cela fera l’objet de plaintes de la part de militants agressés pour déterminer qui sont les agresseurs et qu’ils répondent de leurs actes », a précisé Sopo.
Outre les violences commises à l’égard des militants de SOS Racisme, des journalistes ont également été ciblés lors de ce meeting. L’équipe de l’émission Quotidien a été prise à partie et deux journalistes de Mediapart ont été frappés derrière la tête.
Dans cet entretien, Aline Le Bail-Kremer fait le récit d’une ambiance « crépusculaire ».
La Règle du jeu : Outre votre activité de journaliste, vous êtes également membre de SOS Racisme. Pouvez-vous nous en parler ?
Aline Le Bail-Kremer : J’y ai travaillé plusieurs années, et je suis en effet restée très proche de cette association, des gens qui la composent et des idées qu’elle défend, à savoir : la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Je suis toujours membre du bureau national de SOS Racisme.
Nous avons tous à l’esprit les concerts mythiques de l’association. Les combats que mène aujourd’hui SOS Racisme sont-ils aussi mobilisateurs qu’ils l’étaient à l’époque de la création de l’association ?
Il est vrai qu’à ses débuts, SOS Racisme attirait peut-être davantage de personnalités artistiques connues – mais ce n’était pas toujours pour de bonnes raisons. La gauche était au pouvoir et SOS Racisme, qui prône l’égalité, en était proche. Alors s’afficher comme antiraciste à l’époque permettait peut-être à certains de s’approcher du pouvoir. Quand la gauche a perdu le pouvoir, soudain il y a eu moins d’antiracistes convaincus… Mais ceux qui sont restés sont animés par des convictions authentiques. Et puis, il faut rappeler que dans les années 80, les ratonnades étaient courantes. Cela a été heureusement moins le cas ces dernières années, notamment grâce à SOS Racisme. Une situation qui connaît une régression terrible aujourd’hui. Ce qui explique notre action menée ce dimanche à Villepinte.
Justement : Comment l’idée de cet acte de résistance pacifique est-elle née ? Et comment vous êtes-vous organisés ?
L’idée est née du vécu des militants et de l’extrême violence qui anime la présidentielle. Nous n’en pouvons plus du racisme et de l’antisémitisme qui circulent en ce moment, et sommes venus le dire, quitte à prendre des risques face à des nervis d’extrême droite.
. Il ne faut pas oublier qu’au-delà des tweets, au-delà des plateaux des chaînes d’information, au-delà des couvertures de Valeurs actuelles, il s’ensuit des conséquences dans la vie des gens, au quotidien. Les mots peuvent tuer, les mots blessent, physiquement ou symboliquement. Les messages disséminés en permanence par certains politiques ont des effets très concrets… Cela se manifeste de différentes façons : par de la violence verbale, des discriminations autour des questions de l’accès au logement et de la recherche d’un emploi, si l’on n’a pas le bon prénom ou le bon patronyme de souche, par exemple… Cela produit des ruptures d’égalité qui, pour beaucoup, engendrent une réelle souffrance.
. On a le sentiment que des digues sautent les unes après les autres et qu’on assiste à une banalisation de l’intolérable sous couvert de débat et au nom de la liberté d’expression. Doit-on absolument débattre de Pétain sur un plateau de télévision, entre des personnes qui n’y connaissent absolument rien et n’ont aucune légitimité académique, professionnelle, intellectuelle ou existentielle pour le faire ? La jeunesse, en particulier, en a assez des provocation de Zemmour sur les femmes, sur les Musulmans en général, sur les victimes de Mohammed Merah, sur le « lobby » homosexuel. C’est une jeunesse qui a été confinée pendant des mois, qui doit porter un masque pour apprendre, une jeunesse qui grandit avec la menace terroriste et l’angoisse climatique, une jeunesse sur laquelle on projette en permanence des clichés et de l’agressivité : ils sont trop noirs, ils ne sont pas assez blancs, ils sont trop juifs, trop homosexuels, trop femmes, trop féministes, trop musulmans, trop bêtes…
Des jeunes qui ont, justement, été critiqués par le camp Zemmour suite à l’intervention à Villepinte, dans une classique tentative d’inversion des faits. Il a été dit « qu’ils s’avaient à quoi s’attendre ».
Nous avons senti qu’il fallaitque nous posions un acte fort mais il ne s’agissait évidemment pas pour nous d’être agressifs, insultants, injurieux, de viser une confrontation avec les troupes de Zemmour – non. Nos militants avaient envie de relever la tête et de venir à cet endroit-là, où nous savions qu’il y aurait une attention politique et médiatique. L’idée était aussi d’être entendus par les supporters de Zemmour sans le filtre du marasme des réseaux sociaux. Nous avons décidé d’une action qui relève de l’activisme assez basique : venir sur place, dans ce meeting, en portant le message : « Non au racisme ». Il s’agissait seulement de se tenir debout, porteurs, ensemble, de ce message, à cet endroit-là – chaque militant portait une lettre du message sur son t-shirt.
Quelle était l’atmosphère dans la salle lorsque vous êtes arrivés ? Comment vous êtes-vous organisés pour que ce message soit lu et vu ?
Nous nous étions inscrits comme il se doit, nous sommes donc entrés dans ce meeting munis d’une invitation. Nous avons trouvé un rang vide et les militants de SOS Racisme se sont mis les uns à côté des autres, dans l’ordre des lettres, pour composer le message « Non au racisme ». Nous avons écouté ce qui s’est dit avant la prise de parole d’Éric Zemmour. L’atmosphère qui régnait dans cette salle et les propos énoncés – depuis les réflexions sur la jeunesse musulmane de ce pays jusqu’aux poncifs caricaturaux sur le syndicalisme, sur la gauche, les journalistes, les femmes, les étrangers, la famille et la patrie, et sur l’envie de certains de revenir à une monarchie – relevaient tout de même d’un voyage au cœur du réacteur de ce que peut être le fascisme et l’extrême droite. Mais ce qui était frappant (c’est le cas de le dire), au-delà du contenu même des propos, c’était la façon très violente, très grasse, très haineuse et sans beaucoup de nuances, de les exprimer. J’ai ressenti quelque chose d’assez crépusculaire.
Nous étions plongés dans cette atmosphère-là lorsqu’Éric Zemmour est arrivé dans la salle. Le public l’a acclamé, saluant son champion, surtout dans les images soignées de la production – car les journalistes reçoivent des séquences conçues et travaillées par les organisateurs. (Au passage : malgré les chiffres annoncés, j’ai vu que cette salle était loin d’être pleine.) Au moment convenu – nous avions au préalable prévenu quelques journalistes de ce que nous allions faire –, les militants ont enlevé leurs pulls, ils sont montés sur leurs chaises et ils se sont tournés vers les caméras. Avec leurs t-shirts, ils composaient donc « Non au racisme », et ils le clamaient également à haute voix.
En une fraction de seconde, il s’est produit une espèce de fusion entre les gens autour de nous, qui jusque-là avaient l’air à peu près calme, et des « statutaires » de l’extrême droite munis d’une sorte de panoplie de nervis fachos. En un éclair, ces gens se sont jetés sur les militants, avec une rage folle. Dans les médias, ensuite, il a été fait état d’une « bagarre », ou d’une « altercation », quelque chose qui aurait dégénéré – c’est faux, archi-faux. Ces jeunes sont montés sur leurs chaises, ils ont dit « Non au racisme », et la salle s’est jetée sur eux avec une sauvagerie incroyable. Certes, nous savions que nous n’allions pas être accueillis avec des croissants et les vivats de la foule. On s’attendait à être chahutés, peut-être un peu vivement, voire exfiltrés manu militari avec quelques bleus. Nous savions qu’il allait y avoir des gens affiliés de près ou de loin, et sûrement de très près, à l’extrême droite. Et ce n’est pas la première fois, dans son histoire, que SOS Racisme est agressé par l’extrême droite. Mais ce qui s’est passé ce soir-là à Villepinte, c’était autre chose. Même les anciens de SOS Racisme disaient : « On n’a jamais vu ça ! » – de surcroît, devant autant de caméras.
Quatre jeunes femmes de SOS Racisme, Sylia, Dora, Kyra et Shana, ont été frappées – cette scène a été filmée pendant quelques secondes : c’est une insoutenable démonstration de haine. Dora, en particulier, a reçu des coups de poing d’une rare brutalité ; et Sylia avait le visage en sang (j’ai moi-même pris deux coups sur la tête). C’était fou, un véritable lynchage. Et cela, en France, c’est tout de même assez peu fréquent, en tout cas en public.
Comment vous en êtes-vous sortis, finalement ?
La suite a été assez rocambolesque, cela a duré plusieurs heures. On a vu voler des chaises, mes amis ont été brinquebalés, insultés. Certains ont encore reçu des coups. D’autres ont été attrapés par la sécurité et retenus complètement arbitrairement par les organisateurs. Après, une partie de l’équipe a été évacuée. Leur idée, c’était de nous séparer et de prétendre que nous étions les agresseurs. Une fois à l’extérieur, il y a eu quelques minutes de terreur absolue, durant lesquelles j’ai craint que cela ne bascule vraiment. Finalement, la garde républicaine nous a protégés ; sinon – c’est en tout cas ainsi que je l’ai ressenti –, cela aurait pu se terminer par des morts.
Je ne parle même pas des insultes dont nous avons été abreuvés. Il faut vous figurer que les militants en question ont entre 18 et 25 ans au maximum ; ce ne sont pas des jeunes qui font peur quand on les croise dans la rue. Ce sont des jeunes gens assez sympathiques et tout à fait courtois, même s’ils sont décidés à relever la tête face à des gens violemment racistes et antisémites. Pendant que ces jeunes personnes se faisaient démolir, il y avait cette masse, cette foule dans la salle, et l’on entendait : « On est chez nous ! On a gagné ! » Après, on nous a lancé : « Vous saviez où vous mettiez les pieds ! » C’est vrai : nous savions que nous mettions les pieds dans un meeting où se trouveraient des forces d’extrême droite. Mais nous ne sommes pas non plus allés sonner à la porte d’une réunion secrète ; nous sommes allés à un meeting d’un candidat à une campagne présidentielle, dans un cadre ouvert, dans une réunion publique. Dans ce contexte-là, les jeunes militants – nous avions là douze jeunes gens, garçons et filles, un groupe dans lequel il y avait des Noirs, des Arabes, des filles et des Juifs – étaient conscients que ce serait peut-être un peu difficile, qu’ils prenaient un certain risque, mais jamais nous n’aurions imaginé que cela puisse basculer dans une telle violence.
Je trouve cela extrêmement injuste à l’endroit de ces jeunes gens engagés, absolument pacifistes, qui ont pris le risque d’aller dire cela, de porter ce message, de pouvoir l’exprimer. On parle à tort et à travers de liberté d’expression, mais eux n’ont jamais la parole. Prendre la parole dans ce cadre-là leur a coûté très cher, mais si c’était à refaire ils le referaient. Quand cette foule dit « on est chez nous », ils ont le courage de répondre : « Nous aussi, on est chez nous », qu’on soit noir, arabe, homo, femme ou juif.
Qui étaient ces agresseurs qui ont frappé, insulté ? Des hommes ? Des femmes ? Des jeunes ou des personnes plus âgées ?
Il y avait beaucoup d’hommes. Plusieurs rédactions (et bien sûr la police) sont en train de travailler sur leur profil. On va finir par les retrouver, car beaucoup de caméras ont filmé la scène. Toutefois, on sait d’ores et déjà que de vrais néonazis se trouvaient là : notamment les Zouaves de Paris, qui ont même « revendiqué » leur violence et en ont été félicités par le service d’ordre d’Éric Zemmour – en tout cas par l’organisation qui était là, selon les images d’une vidéo qui circule. Plutôt que de se demander pourquoi SOS Racisme est venu dire « Non au racisme » dans un meeting d’Éric Zemmour, la vraie question – le vrai scandale – n’est-elle pas plutôt de savoir pourquoi il y avait des néonazis dans le meeting d’une personnalité présidentiable ? Finalement, la véritable action de ces jeunes militants de SOS Racisme a été de révéler la présence de néonazis dans cette salle, manifestement à l’aise, se sentant en droit d’agir comme ils l’entendaient, et qui en ont été remerciés. C’est tout de même cela qui est choquant !
D’ailleurs, par la suite, nous avons heureusement été submergés d’appels, de messages de soutien, qui nous félicitaient de notre courage et nous remerciaient.
Vous dites que ce moment terrible a cependant servi d’événement révélateur, et que pour cela, si c’était à refaire, vous le referiez. Prévoyez-vous, pendant cette campagne qui s’annonce nauséabonde – qui l’est déjà –, de faire d’autres manifestations ?
Il est sûr que nous ne referons pas exactement la même chose. En revanche, oui : les jeunes qui étaient à Villepinte dimanche sont bien décidés à poursuivre des actions pour ne plus laisser les choses se passer sans qu’on les prenne en compte eux aussi. Il faut évidemment combattre les idées d’extrême droite via la bataille des idées, par le débat. Que des jeunes profondément non violents et pacifiques se révoltent de la sorte et puissent penser une telle action est un signal alerte qu’il faut entendre. Cela évoque la figure de Martin Luther King, qui a prôné l’action non violente toute sa vie, et la force du combat pour les droits civiques aux États-Unis – un archétype qui structure l’imaginaire de ces jeunes. C’est vraiment cette idée d’actions pacifiques et non violentes qui inspire SOS Racisme, et qui a inspiré cette intervention dans le débat ce soir-là, à Villepinte – il n’était bien sûr pas question de sauter sur Zemmour, ni d’agresser ou d’insulter qui que ce soit. Mais finalement, tout s’est renversé en une réaction de rage et de haine à l’endroit de ces militants pacifiques.
SOS Racisme s’est constitué contre le Front national et l’a toujours combattu. Aujourd’hui, il doit également faire face à Zemmour. Ces différents fronts, tous racistes mais avec une communication distincte, mobilisent un électorat de plus en plus élargi. Comment SOS Racisme se positionne-t-il par rapport à ce nouveau front, à présent qu’il y a non plus un seul, mais deux partis, deux candidats à combattre ?
Il y a en effet maintenant deux fronts qui, a priori, ne sont pas structurellement liés. Mais ce qui vient, involontairement, d’être démontré, c’est que, au bout du compte, par-delà les différents positionnements de communication qui pourraient parfois donner l’impression de deux camps, ce sont les mêmes néonazis qu’on retrouve sur le terrain… Là encore, cet événement, bien que nous ne l’ayons pas pensé stratégiquement, a été un révélateur clair pour tout le monde. Il y a des différences entre le Rassemblement national et l’extrême droite d’Éric Zemmour. Néanmoins, Zemmour ne fait que renforcer le RN ; et finalement, dans cette salle, ils étaient tous là – il y avait des indices, des signes, des badges que nous connaissons par cœur. On peut mettre d’autres postiches, revêtir d’autres costumes, avoir une panoplie plus moderne, on peut changer les logos, on peut inventer autre chose – certains éléments se retrouvent exactement à l’identique à l’endroit de la haine de l’autre : c’est le dénominateur commun, quoi qu’ils puissent en dire, de façon plus ou moins policée. Encore une fois, la violence que nous avons vécue vient témoigner de cela. Absolument rien d’autre que la haine de l’autre ne justifie qu’une brute frappe avec autant de rage et d’acharnement une jeune fille de 22 ans qui disait seulement « Non au racisme ».
Cette haine de l’autre est à l’extrême opposé des valeurs de SOS Racisme. Dans le cadre d’un projet que nous avons créé avec Charlie Hebdo, nous intervenons au quotidien en milieu scolaire, dans les fameux « territoires perdus de la République » et ailleurs, sur les questions du racisme, de l’antisémitisme, de la liberté d’expression, de la presse, du blasphème, de la liberté de croyance, des caricatures de Mahomet, du terrorisme, de l’islamisme… Des choses difficiles surgissent parfois, bien sûr, mais également de très belles. Sur le terrain, il y a quand même aussi énormément de lumière, il y a des gens qui se parlent, qui ont envie de dialoguer et de comprendre ce qui s’est passé ces dernières années, de se remettre en question, d’aller vers l’autre, d’avancer ensemble. Cela existe aussi, et de façon beaucoup plus importante qu’on ne le croit – notamment à Sarcelles, « la petite Jérusalem », une ville de la banlieue nord sur laquelle on projette toujours beaucoup de fantasmes mais où l’on peut aussi et surtout vivre de magnifiques moments sur le terrain des valeurs républicaines. Ce sont en tout cas celles que ces jeunes militants de SOS Racisme qui se sont fait lyncher portent en eux. Ces jeunes gens étouffent, mais ils ont envie d’avancer et de faire jaillir la lumière. C’est également pour cela qu’ils sont allés porter leur message au meeting de Villepinte : pour que tous ceux qui nous suivent, tous nos potes de près ou de loin, puissent aux aussi relever la tête, au milieu de toute cette confusion. Ils l’ont fait aussi pour eux.
Quelle est la différence entre, d’une part, la prise en otage des diplomates Marcel Carton et Marcel Fontaine par le groupe armé chî’ite Jihad islamique ou celle, deux mois plus tard, du journaliste Jean-Paul Kauffmann et du sociologue Michel Seurat par le Hezbollah, opérations derrière lesquelles la jeune République islamique d’Iran fit pression sur la France, alors alliée du Raïs et soucieuse de défendre son pré carré énergétique alors même que l’URSS entamait une liaison durable avec Khomenei dans le dos de Saddam — il arrive que les mêmes causes produisent les mêmes effets — et, d’autre part, la détention dans une geôle à la turque de Fabien Azoulay suite à une condamnation volontairement démesurée, intolérable du point de vue d’un État de droit dont les ressortissants ont été confortés dans l’idée que les droits de l’homme sont des propriétés innées du genre humain ? Comment vous dire… Dans la première catégorie, le kidnapping n’entraîne pas un message de remerciement aux ravisseurs de la part du chef de l’État rançonné.
De quelle manière parvient-on à distinguer, d’un côté, le pseudo-historien qui, après avoir vendu comme des petits pains son best-seller négationniste, se prescrit à lui-même une cure de désintoxication mentale en s’astreignant à publier un livre dépourvu de toute allusion scabreuse à Auschwitz et, du même côté, un antisémitisme d’État dont l’obsession s’évanouit subitement au profit d’une coopération géostratégique avec l’État juif en vue de se coaliser contre un ennemi existentiel commun ? Écoutez, c’est très simple. De ces deux entités criminelles, seule celle qui ne représente qu’elle-même peut être appréhendée et jugée sur ses actes. À propos d’un État qatarien qui, outre son implication dans le financement de la nébuleuse terroriste, n’aura eu de cesse que de véhiculer des préjugés antisémites via la chaîne de télévision bénéficiant du plus haut taux d’audience dans une Oumma que l’on a toujours vue s’asseoir sur la souveraineté internationale, il est à craindre que tout chef d’État, ministre ou parlementaire qui se serait rendu coupable de tuer une seconde fois les martyrs de la Shoah, profite de l’immunité pénale que lui accorderait le droit international aussi longtemps que ce dernier endosserait un rôle représentatif que ses propres électeurs ou simples sujets ne lui auraient pas contesté, soit qu’ils l’assurent de leur soutien indéfectible, soit qu’ils hésitent à s’embarquer dans une aventure révolutionnaire à haut risque.
Quelle qu’en soit l’issue provisoire, l’histoire jugera. En attendant, je ne sais pas vous, mais nous on aimerait bien mesurer le degré de discordance entre un « choix de Sophie » caractéristique des lois antijuives de Vichy, et cette remigration dont il y a fort à parier qu’elle n’a pas disparu du programme d’un disciple de Renaud Camus ? Essayez-vous de me faire valider, à travers la contestation du parallélisme entre deux postures historiques que vous me présentez comme établies, le postulat insupportable de l’Égaré qui s’était pris pour Guide, selon lequel Pétain aurait choisi de livrer les Juifs étrangers à Hitler dans la perspective de sauver ses compatriotes israélites ? Attention ! je pourrais me prêter au jeu… car si vous préconisez l’expulsion des musulmans étrangers d’Europe afin de sauver le processus de sécularisation des Européens issus de l’immigration islamique, je me demande bien qui joue le rôle du Troisième Reich dans votre scénario catastrophe. Eh oui ! vous prétendez que l’État français a subi, sans jamais en participer, sinon par son atténuation active, la déportation des Juifs par l’Allemagne nazie. Alors — si l’on met de côté une Solution finale au problème musulman qui n’a jamais fait partie du corpus idéologique dudit camp national — quelle est donc cette puissance occupante qui vous force aujourd’hui à déclencher une procédure d’expulsion de masse là où nous sommes sommés de rebattre les cartes de la coopération Nord-Sud ?
La question de l’assimilation des principes humanistes est en effet une question de vie ou de mort pour une supracivilisation mortelle. Pour ce faire, évitons de percevoir comme un humanoïde plus éloigné de notre génome que ne l’est une amibe, celui de nos congénères auquel nous avons confié, de façon certes temporaire, mais chaque instant de nos vies n’est-il pas éternel, l’immense responsabilité de présider en notre nom à un grand pan des destinées individuelles et collectives qui sont les nôtres. Réinsufflons de l’humain dans toute une composante du peuple que l’on aurait tendance à en carencer, plutôt qu’à conforter celle-ci dans le déshumanisme qui la corrode. Les discours ne sont pas faits pour assourdir les sourds.
Nombre de mes prises de position prêtent sciemment à confusion. Cette fois-ci, pourtant, je ne pensais pas avoir laissé la moindre place au doute quant au destinataire de ma condamnation sans équivoque de toute agitprop visant à la négation de l’humanité d’Emmanuel Macron. J’oubliais, je le confesse, un simulacre de procès au terme duquel des cheminots en colère avaient procédé à la pendaison et au brûlement d’un pantin à son effigie. Et puis, c’est vrai, une manifestation massive, où l’autre bout de l’omelette suprémaciste s’était vautrée dans la fascisation (du huitième président) de la Cinquième République. Bien qu’à cette occasion, SOS Racisme, reprenez-moi si je me trompe, avait eu la sagesse de se désolidariser des nervis antijuifs de madame Traoré.
Ôtons-nous d’un doute, quand nous nous disons « vous » après nous être nous-même mis à la question afin de nous tirer les vers du nez, nous sommes bien conscient, lecteur, — notre semblable, — notre frère, que ce n’est ni vous ni nous que nous renvoyons dans les cordes !