Qu’il est délicat de parler de Pierre.
D’abord parce que je ne fus pas un ami, ni un proche. Mais de loin en loin et de proche en proches, j’étais dans le sillage de quelques unes de ses vies. SOS Racisme bien sûr dont il continuait de présider l’association des Parrains. SOS doit tant à Pierre que je peine à le dire ici. Il n’a jamais manqué. Mais je crois que SOS, c’est aussi et surtout l’un des grands tournants de sa vie, son inflexion à gauche, l’invention de cette «gauche morale» – et merci aux imbéciles et aux ramenards de se taire – dont il fut l’un des architectes. Et SOS avec Globe et avant Globe, c’était son lien avec François Mitterrand dont il fut le dernier ami. Les deux hommes partageaient cela : la souveraineté et l’éternité de l’amitié. Dans la vie et au-delà…
J’ai croisé Pierre bien des fois, dans les errements et le labyrinthe de la gauche de l’après le 21 avril.. Jamais dedans mais jamais loin. Je crois que mon agitation et mon côté un pied dedans, un pied dehors le faisait sourire. Au Flore, avec Louis Gauthier ou Eric Ghebali, il m’avait lancé : «je ne sais pas comment tu fais pour aller dans une réunion du PS, moi j’ai jamais réussi…» Mais il était là pour la campagne pour le Oui en 2005 ; pour Ségolène ; pour François. Impitoyable et ne cédant à aucune illusion. Mais il était là. Je suis certain que de toutes ces campagnes, auxquelles il était indispensable mais dont il aurait pu se passer, c’est à François Mitterrand qu’il continuait à parler.
L’honnêteté me pousse à écrire que Emmanuel Macron fut sa dernière passion politique. Il l’a repéré très vite. Dès les premiers jours du quinquennat précédent. Et s’est enthousiasmé sans réserve. Cet oeil, qui avait vu Buffet avant qu’il ne devienne Buffet et fait Saint-Laurent, a «vu» le Président dans le jeune homme qui n’était pas encore en Marche.
Impossible d’évoquer Pierre Bergé sans parler de la lutte contre le VIH. Le virus lui a été si cruel… La bataille n’est pas gagnée mais est en passe de l’être. Elle lui doit tant. A son entregent, son acharnement, son énergie, et bien sûr à sa fidélité.
Lors des déjeuners annuels que nous faisions à l’Hôtel de ville, chaque 1er décembre, j’ai vu qu’il livrait son dernier combat et perçu les étapes de son calvaire. Je me souviens d’une marche difficile, longue dans l’Hôtel de ville (si peu pratique…) où il m’agrippe le bras et me dit juste: «c’est difficile». Et encore, l’impression, la certitude que ce n’était pas à moi, à nous qu’il parlait mais qu’il tenait son ultime dialogue et même son dialogue ultime avec François Mitterrand.
Il est impossible d’approcher Pierre, je pense, en étant d’un seul bloc. Mais lui était si multiple et si mutique, que celui qui voudrait tenir le conte exact de ses vies est condamné à s’égarer. Bernard-Henri Lévy a eu sans doute la phrase qui le définit le mieux sans le résumer pour autant : Pierre a été l’artiste de lui même.
Il a, sans le savoir, sans doute infléchi beaucoup de nos vies et modelé bien des paysages français, intellectuels, artistiques et politiques.
Combien sommes nous, ce matin à nous dire qu’il est impossible de le remplacer mais que nous allons nous efforcer de le continuer…?
A bientôt cher Pierre.