Vendredi dernier, Halloween n’était que dans deux jours, et pourtant, c’était déjà le défilé des horreurs. Interrogé sur BFM à propos de la déclaration de Haïm Korsia qui avait qualifié Eric Zemmour d’ « antisémite », Jean-Luc Mélenchon s’est alors égaré dans un long propos sinueux, et pour tout dire, abject : « Monsieur Zemmour ne doit pas être antisémite parce qu’il reproduit beaucoup de scénarios culturels, ‘on ne change rien, on ne bouge pas, la créolisation mon dieu quelle horreur’ ! Tout ça ce sont des traditions qui sont beaucoup liées au judaïsme. Cela a ses mérites, cela lui a permis de survivre dans l’histoire. Donc je ne crois pas qu’il soit antisémite. »
Puis, devant le tollé, Mélenchon a fini par s’excuser – ce qui ne lui arrive pas souvent, après Halloween, ce week-end était aussi visiblement un peu Noël – « Je suis prêt à admettre que je me suis mal exprimé ». Mais le reste de la tribune publiée sur Facebook aggrave plutôt son cas. Le député des Bouches du Rhône se défend avec tellement de mauvaise foi : « On m’attribue que j’aurais situé l’origine des idées de Zemmour dans le judaïsme. C’est une stupidité ! ». Qu’est ce qui est stupide, cher Monsieur Mélenchon : qu’on vous attribue cette idée ? Ou que vous fassiez semblant d’avoir oublié que, deux jours plus tôt, vous l’aviez explicitement et exactement, termes à termes, formulée, en parlant de « traditions » qui seraient « beaucoup liées au judaïsme » ? Comment, si ce n’est du qualificatif de « stupide » nommer une réfutation d’une parole que tout spectateur de BFM a entendu, mot pour mot, quarante-huit heures auparavant ?
Si l’on s’y arrête un instant, la séquence de Mélenchon est hallucinante, grotesque, consternante.
Hallucinante ? Mélenchon tente de disculper Zemmour d’antisémitisme (ce qui, en soi, est plutôt curieux : n’y a t-il pas d’autres priorités ?). Ce débat est extraordinairement complexe – il agite le monde politique et intellectuel. Il n’empêche que, qu’il le veuille ou non, Zemmour, comme le rappelait Bernard-Henri Lévy dans Le Point de cette semaine, remet au goût du jour le trépied fondamental de l’antisémitisme français (culpabilité de Dreyfus, innocence de Pétain, caractère suspect de la double allégeance des Juifs Français). Mélenchon, qui distribue donc des brevets ou non d’antisémitisme, en vient, pour étayer sa clémence envers Zemmour, à un exposé porteur de tous les préjugés sur les Juifs – qui seraient archaïques, sectaires, repliés sur eux-mêmes. Avec cette estocade finale, le faux respect, presqu’admiratif, sur les tares dont il vient lui-même d’affubler les Juifs (« Cela a ses mérites… »). C’est comme (mais, bien sûr, pas tout à fait) s’il avait dit « Non, M. Zemmour n’est pas misogyne, d’ailleurs il est féminin, lunatique, hyper-sensible comme une femme ». Autrement dit : Mélenchon invente l’arroseur arrosé par lui-même, arrosé par son lapsus, on dirait presque : aveu, de sa propre haine.
Grotesque : ce serait risible de répondre à Mélenchon sur le fond ; les Juifs ne suivent pas un « scénario culturel » qui les rendrait imperméables au changement, à la « créolisation ». Cette essentialisation stupide ne résiste pas à une seconde d’analyse, à une minute de lecture de l’Histoire du monde, de l’histoire de l’art, de la peinture, de la littérature… Et, comment un homme, prétendu héraut de la créolisation, c’est à dire, rétif à un contenu fixe des identités, peut-il en venir à prononcer des jugements aussi bêtes, lapidaires, définitifs sur un groupe d’individus ?
Consternante, et c’est le plus grave, car Mélenchon ressuscite, ou invente, un antisémitisme de gauche, plus sournois que la critique ancestrale sur les Juifs-citoyens-du-monde-et-sans-attaches. Zemmour vitupère contre ces Juifs « cosmopolites » qui se soucieraient plus du sort de Zambèze plutôt que du destin de la Corrèze ; Mélenchon attaque les Juifs pour être des irréductibles conservateurs obscurantistes. L’antisémitisme a ceci de particulier que chaque époque ou chaque faction trouve toujours quelque chose à reprocher aux Juifs, même si la somme des récriminations est absurdement contradictoire. Mélenchon et Zemmour, voilà les Dupont et Dupond des préjugés sur les Juifs. Quel sera le prochain thème de leur débat sur BFM TV : « Les Juifs, pour ou contre » ?
Le plus abject, enfin, a été la réaction des pro-Mélenchon sur les réseaux sociaux, à ceux qui s’indignaient légitimement d’un discours aussi répugnant. Déchaînés, hargneux et harceleurs, les pro-Mélenchon, plus alignés que des sectateurs de l’ordre du Temple Solaire, croient en la Parole Invincible de leur leader : l’accusation d’antisémitisme est une invention des forces du mal capitalistes (« le système ») pour disqualifier leur champion. C’est une réaction doublement perverse : elle trahit une cécité, délibérée ou non, sur la haine des Juifs ; elle est, elle-même, intrinsèquement complotiste, et plus ou moins antisémite. Mais les pro-Mélenchon sont moins à blâmer que Mélenchon lui-même. Dans sa tribune de contrition, publiée sur Facebook, le député ourdit ce discours : on l’accuserait d’antisémitisme « à chaque occasion » et « sans fondement » (quelle drôle d’idée ? Par exemple, lorsqu’il défend Corbyn, le travailliste anglais, dont il fait une victime « des réseaux d’influence du Likoud »?). Et Mélenchon, comme ultime preuve de sa bienveillance, auguste et magnanime, envers les Juifs, comme signe décisif de son intransigeance sur l’antisémitisme, convient que le discours de Zemmour (sur Dreyfus, sur les victimes de Merah, sur le rôle de Pétain dans la Shoah) ressort bien de « la tradition antisémite de l’extrême droite française » mais c’est pour aussitôt l’assimiler aux propos d’Emmanuel Macron sur Pétain et Maurras (certes douteux, mais, pour ainsi dire, évidemment, à des années lumières de ceux de Zemmour). Du Mélenchon tout craché : relativiste, aveuglé par sa haine du libéralisme, paranoïaque, d’une mauvaise foi torve. Dévoré par son ressentiment et sa folie obsidionale, Mélenchon patauge dans les sables mouvants de son impensé antisémite : plus il s’agite, plus il se justifie, plus il s’enfonce. Voilà où en est notre pays, à six mois de l’élection présidentielle : à devoir ingurgiter des propos exécrables. Mélenchon, lui, est prisonnier de son propre « scénario culturel » – celui, volontaire, d’une course vers l’abîme.
Ce qui ne laisse pas d’étonner chez les antisémites de tout poil, et singulièrement chez ceux d’entre eux qui devraient se montrer les plus habiles – Jean-Luc Mélenchon n’est pas dépourvu d’habileté -, c’est que leur haine est incoercible, qu’elle finit tôt ou tard par déborder, comme si elle provoquait dans certaines circonstances un débordement comparable à un vomissement. On doit vous savoir gré d’avoir montré que les misérables échappatoires de notre tribun pervers ne faisaient qu’aggraver son cas. Cependant, on ne peut pas ne pas constater que la scandaleuse bêtise de cette passion triste qu’est l’antisémitisme ne l’empêche pas de prospérer, que la haine qui, jusqu’à une date encore récente, était plus ou moins aisément refoulée fait retour sans que la conscience universelle s’en émeuve de manière telle que la raison triomphe. Qu’il faille combattre pied à pied l’hydre antisémite, nous en sommes convaincus. Il n’en reste pas moins que non contentes de repousser, les têtes tranchées se multiplient et que le combat intellectuel a ses limites. Jusqu’à quand pourrons-nous laisser dans leurs fourreaux nos épées?
Ces propos emberlificotés, brouillons, et quelque peu empêtrés de la tête de liste des insoumis pourraient n’être que ridicules s’ ils ne véhiculaient que la sottise de leur auteur. Mais ils sont aussi porteurs des mille insanités charriées par l’histoire. Devons-nous, pour autant, en faire quelque publicité ? Pour ma part je choisirai de me taire. Bien sûr je suis incapable d’affirmer que ce silence réaliserait la bonne conduite. A chacun de se prononcer. Mais je crois que le mépris et le dédain de tels propos pourraient n’être pas une mauvaise stratégie. Quant à l’ex-éditorialiste de C news replaçons ses sentences et ses verdicts dans cette mentalité infantile dont ils semblent être issus. Entendement immature qui suppose que la solution aux réalités complexes, composées et souvent confuses, appellent des solutions simplettes et rudimentaires. C’est le cas des enfants de 5 ou 6ans qui, perdus devant la complexité du monde, jugent sommairement. Il est du devoir des adultes qui les accompagnent de rectifier ces jugements élémentaires et simplistes.
Bonjour. Pas d’accord, avec votre attaque contre les enfants de 5 ou 6 ans. On imagine aisément l’hilarité d’une classe d’entre eux auxquels on présenterait un spectacle où un fascistoïde-crapaud quelque peu ridicule annoncerait qu’il va… se présenter aux élections présidentielles, et avec le racisme pour tout programme. Mais il suffit qu’on raconte ça à des adultes pour que l’annonce soit prise au sérieux (la vérité si j’mens) et pas seulement notez-le bien du côté de l’extrême-droite, qui en cette affaire s’offre jusqu’au luxe de ne pas trop forcer son talent, mais du côté de… « la démocratie » ! On vit vraiment une époque formidable