Je me souviens du jour où je fis la connaissance d’Arnaud Lagardère.
C’était un matin, milieu des années 1980, au premier étage du Café de Flore.
Je le rencontrais à la demande de Jean-Luc, son père, qui était mon ami malgré tout ce qui nous distinguait : son goût pour le sport, son génie d’inventer les plus beaux avions du monde, mes études d’humanités.
Et je trouve un beau jeune homme, au front massif et décidé, aux yeux rêveurs et intenses, qui rentrait d’une brillante saison aux États-Unis et que j’étais censé initier aux arcanes du Paris des Lettres où son père avait bâti un empire dont il s’apprêtait à partager les rênes avec lui et dont les trois proconsulats étaient les médias (pour la doxa), l’édition (pour le savoir) et la défense (pour la France).
Que s’est-il passé pour que le jeune prince se transforme en héros de La Splendeur des Amberson ou des Buddenbrook de Thomas Mann voyant chuter, vingt ans plus tard, la puissance et la gloire d’une famille qui, pour reprendre la maxime d’Aristote, se vivait en immortelle ?
L’inconvénient d’être né héritier ?
La volonté de ne pas être roi ?
Était-il comme ces cadets de La Confession d’un enfant du siècle, empêchés par des pères colossaux qui traînaient après eux un air d’orage, de tornade, de chevauchées éclair et de défaites épiques ?
Était-il de ces hommes qui ont fait le beau choix de mettre l’amour au-dessus de tout ?
Ou est-ce l’infortune d’une longue crise sanitaire qui, en clouant au sol les amoureux du voyage, a ruiné ses centaines de Relay ?
Chacun, dans la presse, y va de son hypothèse.
J’ai la mienne, nourrie d’une certaine observation des heureux et damnés fitzgéraldiens, de leurs mœurs redoutables et, parfois, de leurs poignantes erreurs.
On me permettra de la garder pour moi : à ceux, pères et fils, que l’excès de destin voue à trop de lumière, leurs amis ne doivent-ils pas un peu d’ombre ?
En revanche, parce qu’Hachette est un morceau de France et que, depuis mon entrée, il y a cinquante ans, dans le giron de Grasset, rue des Saints-Pères, je la tiens pour ma seconde maison, je me dois, ici, de taire mon émotion et de considérer l’état des lieux tel qu’il est.
Le capitalisme ayant ses lois et les capitaines d’industrie y jouant, pour le pire et le meilleur, le rôle jadis dévolu aux rois et à leurs dauphins, l’héritier de la splendeur des Lagardère avait, à cet instant de sa romanesque vie, quatre issues.
Un groupe de luxe présidé par Bernard Arnault qui se serait volontiers offert cette danseuse, ce supplément d’âme, ce surcroît d’influence et de pouvoir.
Un fonds souverain, le Qatar, qui était l’un de ses actionnaires et à qui il n’aurait pas fallu longtemps pour transformer son groupe en un PSG de l’édition.
Un fonds vautour, chinois ou américain, qui se serait empressé, selon l’usage, de dépecer, pour le revendre à la découpe, ce qui demeurait de son empire.
Ou une entreprise de communication, le Vivendi de Vincent Bolloré, cet autre dynaste dont je ne partage pas les choix idéologiques mais que je connais suffisamment, et depuis suffisamment longtemps, pour savoir qu’il ne ressemble pas à la caricature que l’on en fait.
Un conservateur chrétien, certes oui, avec ce que l’alliage de ces deux termes induit de réprobation chez les spécialistes du procès d’intention.
Mais un extrémiste, non : d’abord parce que ce n’est ni le tempérament ni l’histoire de ce Citizen Kane breton, cloîtré et mystérieux, dont le Rosebud s’appelle Gwenn-Aël Bolloré et Marc Thubé, oncles vénérés, anciens du commando Kieffer, cette poignée de Français libres qui débarquèrent en Normandie le 6 juin 1944 ; et puis parce que les mots ont un sens auquel on ne peut pas faire dire n’importe quoi et qu’un conservateur n’est pas un extrémiste.
Peut-être suis-je naïf.
Mais je n’imagine pas ce corsaire se muer en Gaulois revanchard transformant les champs cataleptiques de l’édition en champs Catalauniques.
Je conçois mal pourquoi son Editis en train de se rapprocher d’Hachette, et qui publie jusqu’aujourd’hui quelques-uns des spécimens de ce que l’extrême gauche produit de plus radical, se transformerait en une méga officine d’extrême droite.
Et même si je ne prise guère la formule « champion mondial » qui fleure trop, à mon goût, son Paul Morand, je ne vois pas ce que la littérature française aurait à perdre à la naissance d’un géant français capable de faire jeu égal avec les Bertelsmann, News Corp et autres Amazon.
Cet effet de concentration s’avérerait-il excessif qu’il y a, de toute façon, des lois (ainsi que des autorités de concurrence pour les faire respecter) dont il serait sage d’attendre le verdict.
Pour le reste, la seule question qui vaille est celle, encore une fois, des mots. Les vrais. Ceux qui comptent et méritent qu’on les écrive. Ceux qui donnent leur sens à nos vies, à nos imaginaires, au monde. Se portent-ils si bien que cela, les mots de notre langue ? Ne sont-ils pas minés par l’esprit de chapelle, l’entre-soi, l’enfermement national, l’illettrisme grandissant ? Et sont-ils si bien armés qu’il le faudrait, ceux qui se vouent à leur service et ont la noble tâche, non seulement de les tenir en vie, mais de les faire entendre urbi et orbi ? La loi est simple et, ici aussi, je pèse mes mots : est bon ce qui les sert ; doit être encouragé ce qui fait rayonner les livres ; le reste ne compte guère.
Sommes-nous capables, tous autant que nous sommes, de concilier un attachement raisonnable au pays de nos ancêtres et un coup de foudre pour ce Paris pascalien qui prône les gestes de la foi dans l’Homme et son Esprit ?
Afin que la pelote de nerfs de l’Amicale zédiste ne se sédimente pas avant qu’elle n’ait achevé sa transformation en bulle médiatique, il nous faut rompre avec l’exaspérant déni de réalité que son envol au vitriol vient combler. Le séparatisme et la ghettoïsation sont deux choses diamétralement opposées. À l’époque où les Espagnols s’entassaient à Bab-el-Oued et les Italiens à Saint-Eugène, l’École publique n’avait aucun mal à fabriquer des personnalités capables d’apprendre à leurs compatriotes à distinguer entre Les Justes et les tueurs psychopathes que leur psyché barbare condamne au terrorisme aveugle, ou de laisser infuser en elles l’intelligence virevoltante d’une demoiselle de la bourgeoisie clermontoise lors d’une nuit rohmérienne.
La désintégration de la citoyenneté dans une partie des quartiers populaires procède d’un phénomène de soumission collective au contrordre républicain, où le modèle de l’immigré
atavique, donc inassimilable, recoupe le paradigme de l’immigré assimilé au transempire panislamique par une politique d’arabisation planétaire que les valeureux partisans de la décolonisation s’obstinent à ne pas voir venir.
On ne peut pas nier cette dynamique et espérer être pris au sérieux dans le combat que l’on promet de mener contre les Nouveaux Hashshâshîn.
La formation des cerveaux du XXIIe siècle français est un commandement existentiel qui implique la volonté d’assimilation non pas des jeunes pousses bénéficiant du droit du sol, mais de leurs géniteurs étrangers qui doivent les encourager à ne pas leur ressembler, ne pas se sentir rejetés par l’éblouissement qui les envahit tandis que les foudroie une tirade du Cid, mais au contraire, s’enorgueillir de leur maîtrise de la langue officielle d’une nation pour laquelle ils pourraient être amenés à verser le sang.
Romain Gary est un héros français et c’est en tant que tel qu’il n’est pas un esprit rabougri dont l’instinct de conservation face aux menaces fascistes, pour peu qu’il se fût cantonné à ruminer sa colère dans l’enclos de l’égocentricité ou d’un xénonationalisme débilement exotique, eût été voué à l’impuissance.
La communication présidentielle autour de l’héritage de la France doit veiller à ce que le rayonnement diffus de l’universel français ne se transforme pas en bâillonnement confus. Si nous voulons achever sans trop de dommage notre mue progressiste, nous nous empêcherons de réprimer l’instinct conservateur qui nous pousse à persévérer dans notre être évolutionnaire. On ne peut s’ouvrir à l’Autre qu’en tant qu’on est soi-même un esprit pénétrant-pénétré. On ne peut s’offrir qu’à travers ce que l’on a, or ceci est en grande partie ce que l’on a réussi à sauver de ce que l’on fut et par là même demeure. Nos racines sont multiples, ce qui ne signifie pas qu’elles soient infinies. Elles sont ce qu’elles sont. Le combat pour ou contre la contestation des racines judaïques de la chrétienté fut tranché à Nicée, avant que le Tanakh ne fût traduit par Jérôme de Stridon d’après la relique d’une Septante que des massorètes judéens avaient explicitée à Ptolémée II Philadelphe en sorte que le fils du diadoque d’Alexandre le Grand pût compléter sa légendaire bibliothèque protomondialiste. Ce rapport partiellement honnête à l’histoire des religions créerait une relation particulière entre les citoyens juifs et les diverses cultures des terres de chrétienté, cultures que leur Temple fantôme avait abondamment irriguées. On peut alors imaginer qu’un citoyen français ou sujet britannique d’origine juive n’éprouve pas le sentiment de renier ses ancêtres, ni de christianiser sa religion, lorsqu’on lui demande de franciser ou angliciser le prénom de ses aïeux Iosseph, Miriâm, Èlishèba‘, Iohanân, Matyah et Shaoul en Joseph ou Joseph, Marie ou Mary, Élisabeth ou Elizabeth, Jean ou John, Matthieu ou Matthew, ou encore Paul ou Paul. Un travail de reconnaissance des racines judéo-chrétiennes du Coran reste donc à accomplir. Et ceci est un processus qu’il ne saurait appartenir à un État laïque d’accomplir à la place des seuls et uniques responsables du fait — ou bienfait ou méfait — religieux.
La question du caractère antinational des prénoms étrangers cesse de se poser dès lors que prévalent l’humilité et l’honnêteté sur les relations qu’un individu entretient avec cette forteresse testimoniale que représente le kaléidoscope de paroles et d’images qui structurent sa pensée.
À l’inverse, un esprit égaré dresserait lui-même le bûcher des vanités auquel le condamneraient ses certitudes précaires des fois que son ego se serait vu diagnostiquer un syndrome de renutrition inapproprié.
La culture peut aussi bien constituer une planche de salut qu’un supplice de la planche selon qu’on l’utilise pour participer avec ses semblables d’une élévation commune, qui ne saurait se réjouir du rabaissement d’autrui, ou d’une entreprise de démolition systématique des vestiges qu’exhume pour nous, jour après jour, ce qui pourrait devenir, avec un peu de bonne volonté de notre part, une archéologie du vrai.
Il y a moult manières de contourner la règle du jeu démocratique, et l’on a vu des Rastignac financièrement irréprochables manifester une certaine aisance dans l’art d’embastiller toute concurrence loyale qui eût pu faire obstacle à leur valdéiste ascension.
L’arrivée d’une génération métèque aux affaires du pays allait offrir aux gardiens de la Nuit du 4 août une occasion en or pour déminer ce système néoféodal dont le rétablissement des privilèges avait couronné, d’après Taine ou Daumier, l’OPA sur l’Ancien Régime.
Nicolas Sarkozy fut le premier président de la République française à avoir gravi tous les échelons du pouvoir malgré l’impureté de son sang. Là est son exploit. Celui d’avoir débarrassé la République francofrançaise de ses relents de suprémacisme. Il est heureux que ses anciens compagnons de route ne profitent pas de son étourdissement temporaire pour lui donner le coup de grâce de l’indifférence, voire d’un clouage au pilori qu’aurait mérité autrement plus que lui celui pour qui Alain Juppé n’hésiterait pas à prendre une balle, j’entends par là le président de la Ve République préféré des Français.
Un être humain doit être jugé à l’aune de la totalité de ses actions. Or, pour l’heure, si l’on compare, d’un côté, le préjudice moral que fit subir à son propre pays le cinquième Président de la Cinquième et, d’un autre côté, la dette que les Vingt-Sept (+ 1) contractèrent à l’égard d’un homme dont la puissance de volonté réussirait à infléchir la politique d’austérité fatale telle que préconisée par les deux leaders économiques anglo-saxon et germanique au moment de la crise financière mondiale de 2007-2008, on se dit que le délit de dépassement de plafond de dépenses électorales, aussi répréhensible qu’il soit, mériterait toutefois que l’on s’arrête quelques secondes pour soupeser les deux plateaux de la balance du Préjugement dernier, avec si possible un soupçon d’indulgence de la part d’un peuple et d’un continent que n’aura fait qu’effleurer la pluie de météores d’un Jeudi noir bis, avec les conséquences que l’on peut imaginer.
PS : Pardon pour l’erreur de numérotation, c’est bien évidemment entre le sixième président de la Cinquième République et lui-même qu’une analyse comparative mériterait d’être approfondie. On pourrait, par ailleurs, en faire autant à propos de Facho Chirac dont les bienfaits de l’action politique ne devraient pas être davantage minimisés qu’ils n’ont été surestimés post mortem par ses détracteurs repentants, mais ceci est un autre sujet.
Monsieur le Ministre de l’Intériorité collective fait montre de détermination et d’efficacité. Qu’il ne s’arrête pas en si bon chemin. On n’évite pas de jouer sur les peurs en craignant de nommer les êtres et les causes.
Lutter contre l’islamofascisme radical c’est bien. Parachever le combat en arrachant son masque à l’islamofascisme modéré nous rapprocherait du juste.
Nous n’élèverons pas notre communauté transcendantale en tirant sur la corde sensible d’un instinct maternel qui, aussi fondamental qu’il soit, ne devrait jamais être utilisé en tant que réducteur ontologique. Distinguer entre des jeunes mères militantes et des quinquagénaires infantilisées auxquelles il serait indécent de demander de dénuder leurs têtes lors de sorties scolaires, fait hélas l’impasse sur un facteur de décadence qui a son importance. Il y a trente ans, bon nombre de ces filles d’immigrés pouvaient encore s’assimiler au mode de vie occidental sans qu’on vienne leur chercher des poux dans la tête, par le biais de menaces incendiaires habilement déportées, pudeur oblige, vers un plafond de représailles s’abattant sur un père, un frère ou un époux.
Monsieur de Ministre de l’Extériorité individuelle tape du poing sur l’étable messianique de la Mésalliance. Parfait, sous réserve que la place de la patrie des droits de l’homme n’ait pas oublié son propre nom, faute de quoi elle aurait bien du mal à intercepter l’ordre de mission du siècle alors même que ses propres valeurs cardinales reviendraient la percuter depuis les quatre points cardinaux.
On ne contre pas une America First unilatéraliste au profit d’une America First multilatéraliste sous peine de démultiplier l’impact du non-droit en zone parasismique. Rien ne doit entraver l’union des éclaireurs de notre Âme en déroute, ultimes garants des libertés sacrées.
Les premières victimes de la Guerre sainte mondiale que mènent, chacun à leur poste, les partisans d’un islam fondamentaliste, possèdent la clé de la sortie de crise. Une crise des universaux qui ne fait que s’annoncer aux pollueurs des civilisations. Cette guerre d’indépendance postcoloniale et non moins pan-nationaliste vise à reconquérir une planète indomptable que l’on voue à ployer sous le trône du seul Dieu dont les insectateurs ne sont jamais parvenus qu’à enfiler le costume de carnaval. C’est donc un carnaval totalitaire, permissiviste en diable, que nous devons repousser de toutes nos forces en nous hissant à sa propre échelle : internationale.
Le virage est devant nous. Autant apprendre dès maintenant à contrôler les dérapages inévitables que ce dernier ne manquera pas de causer à l’ajustice de nos pays.