En cette aube du 19 avril 1943, le peuple juif est debout. Les Juifs combattants, tous les Juifs du ghetto de Varsovie encore vivants se battent seuls, armes à la main. A la stupeur du monde qui les a oubliés, qui les a ignorés, ils vont tenir tête, avec seulement quelques armes de poing, à la plus puissante armée du monde, pendant trois longues semaines.

Comme Arié Wilner, un des dirigeants de la révolte, le déclara « Nous ne voulons pas sauver nos vies. Personne n’en sortira vivant. Nous désirons sauver notre dignité d’hommes. »

Le grand poète et résistant lituanien, Aba Kowner constate « Pour le peuple, pour les millions de Juifs sous la botte allemande, il n’y a pas de salut. » On ne peut que « sauver l’honneur de notre peuple ».

Cette insurrection désespérée devint le symbole de la Résistance juive pendant la seconde guerre mondiale. Mais cette insurrection unique par son ampleur et son retentissement ne doit pas faire oublier tous les actes de résistance des Juifs combattant individuellement ou collectivement contre le fascisme et le nazisme de 1933 à 1945.

Les Juifs s’engagèrent en masse dans les Brigades Internationales pour sauver du fascisme la jeune République espagnole.

A la déclaration de guerre, les Juifs étrangers en France se portent volontaires en masse au sein des armées françaises. 26.000 volontaires Juifs étrangers sur 45.000 volontaires s’enrôlent dans l’armée française à l’automne 1939. Ils combattent avec une exceptionnelle vaillance dans la Somme et en Norvège. Les Français juifs rejoignirent tous leurs régiments et s’illustrèrent, ainsi mon grand-oncle le lieutenant Pierre Heilbronn, héros cinq fois décoré de la première guerre mondiale, tomba comme volontaire à 45 ans à la tête de sa compagnie, au champ d’honneur en défendant la Seine au pont des Andelys, le 9 juin 1940.

Les Juifs de Palestine s’engagent eux aussi en masse dans l’armée britannique. Ils seront près de 40.000 à combattre sous l’uniforme britannique et pour certains au sein de la Brigade juive de Palestine. Ils se battront avec un extrême courage au Liban, en Syrie, à Chypre, en Libye, en Érythrée, en Éthiopie, en Somalie et partout en Europe, mais surtout, leur héroïsme sera déterminant pour arrêter les troupes de Rommel à El Alamein.

1,5 million de Juifs français, anglais, américains, russes, polonais, belges, hollandais, canadiens, australiens et de tant d’autres nationalités se sont battus sous les uniformes de leurs armées respectives.

Près de 500.000 Juifs russes se battront ainsi de 41 à 45, 300 d’entre eux seront généraux. Le plus illustre, le général Yakov Kreiser, a été le premier général russe à avoir été fait « Héros de l’Union Soviétique » et joua un rôle décisif dans les batailles de Smolensk et Stalingrad.

En Pologne occupée, les Juifs multiplièrent les révoltes, les actions armées. Il y eut des insurrections à Czestochowa, à Bialystok, à Bedzin, à Wilno, à Cracovie.

« Des jeunes juifs de Czestochowa se dressèrent contre les Allemands, mais leurs pistolets ne tirant pas, se jetèrent sur leurs ennemis à mains nues et furent massacrés » rapporta Isaac Zuckerman, dit « Antek » un des chefs des combattants du ghetto de Varsovie.

Les Juifs se soulevèrent aussi dans les camps de la mort en août 1943 à Treblinka en octobre 1944, à Birkenau, mais surtout en octobre 1943 à Sobibor, seule révolte réussie d’un camp.

En France, individuellement ou collectivement, les Juifs ont été aux premiers rangs de la Résistance.

Dans les Forces Françaises Libres, avec quelques marins bretons, quelques aristocrates, ils furent souvent les premiers à rejoindre de Gaulle. J’en citerai quelques-uns, illustres : René Cassin, Pierre Mendès-France, Romain Gary, Joseph Kessel, Jacques Bingen, Jean-Pierre-Bloch, Max Guedj, Jean-Louis Crémieux, Lazare Rachline, Raymond Aron, Pierre Dac et tant d’autres.

Plus de 7% des Compagnons de la Libération étaient d’origine juive et le premier français à avoir été décoré dans cet ordre fut le sous-lieutenant Robert Weil. Après leur guerre héroïque, certains s’illustrèrent : François Jacob (Prix Nobel), José Aboulker, Pierre Louis-Dreyfus, Jean Rosenthal ou René Cassin (Prix Nobel).

Dans la Résistance Nationale Intérieure, il y eut de nombreux chefs de réseaux juifs, comme Jean-Pierre Lévy, fondateur et dirigeant de Franc-Tireur, le grand historien Marc Bloch, chef pour la région Lyonnaise des MUR ou les fondateurs du réseau du Musée de l’Homme (un des premiers réseaux de résistance), Boris Vildé et Anatole Lewistky. Raymond Aubrac, de son vrai nom Samuel, était un des dirigeants clé de Libération Sud.

Grâce à Serge Klarsfeld nous savons que 17% des résistants et opposants fusillés au Mont Valérien étaient Juifs.

D’autres exemples encore du rôle crucial des Juifs dans l’action armée : Sur les 300 Français d’Algérie dirigés par José Aboulker, qui permirent le débarquement anglo-américain en novembre 42, parmi eux, 90% d’entre eux, oui 90% étaient juifs.

Au sein des FTP-MOI, les communistes d’origine étrangère, dirigés par Joseph Epstein et Adam Rayski la grande majorité de ces résistants héroïques étaient juifs. Sur les 23 condamnés à mort de l’Affiche Rouge, 12 d’entre eux étaient juifs. Aux côtes d’un républicain espagnol, Celestino Alfonso et de deux Arméniens, dont bien sur leur chef Missak Manouchian. 

A la tête des mouvements politiques de la résistance, nombreux étaient les Juifs. Daniel Mayer dirigeait le Parti socialiste clandestin, Maurice Kriegel-Valrimont représentait les communistes au sein des Mouvements Unis de la Résistance.

Sans oublier ces grands hommes, acteurs et symboles de la résistance morale et politique, Pierre Masse, ancien ministre de Clémenceau, Victor Basch Président de la Ligue des Droits de l’Homme, Jean Zay, Georges Mandel et Léon Blum, tous anciens ministres. Seul Blum échappera aux assassins.

Et puis il y eut, comme dans de nombreux pays occupés, une vraie Résistance Juive organisée.

Cinq grandes organisations juives se sont illustrées : l’Organisation Juive de Combat, les Éclaireurs Israélites de France, le Mouvement de la Jeunesse Sioniste, l’Œuvre de Secours aux Enfants et l’aumônerie du Consistoire Central, qui, ensemble, ont sauvé plus de dix mille enfants juifs.

L’armée Juive de Jacques Lazarus fut précurseur dans le combat armé, dès janvier 42.

Les résistants de la Sixième des Éclaireurs Israélites dirigés par Robert Gamzon créèrent leur propre maquis dans le Tarn entre Vabre et Lacaune et participèrent, comme les combattants du Mouvement de la Jeunesse Sioniste, aux combats pour la libération de la France et ceux-ci jusqu’en Allemagne.

En France comme en Pologne, la Résistance juive comprenait aussi des historiens qui cherchaient à préserver les traces du crime.

A Varsovie, le grand historien Emmanuel Ringelblum a constitué une équipe pour assembler un fonds d’archives et de témoignages enterré profondément dans le ghetto. Ces archives uniques, ces mémoires du Ghetto, de la vie, des combats et de la mort, furent retrouvées en 1946.

En France, dès avril 1943, alors que le ghetto s’insurge, Isaac Schneersohn, le fondateur du Mémorial de la Shoah, fonde dans un même élan de volonté de témoignage, le CDJC. Le Centre de Documentation Juive Contemporaine dont toutes les archives se trouvent depuis 1955 au Mémorial de la Shoah à Paris.

Les Juifs ont ainsi résisté partout en Europe, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient.

Ils furent, comme l’a très bien écrit un journaliste hollandais en 1943, Pierre Van Paassen, « L’alliée oubliée ».

Les plus désespérés et les plus héroïques d’entre eux, ceux de la rue Mila, dans le Ghetto de Varsovie, nous ont laissé un héritage.

Je souhaite laisser la parole à Marek Edelman. Il fut l’un des cinq chefs de la révolte du ghetto et l’un des très rares survivants.

Lors des cérémonies célébrant les cinquante ans de la révolte en 1993, Edelman concluait son discours prophétique par ces mots : 

« L’Europe se comporte comme ce promeneur du dimanche qui faisait du manège près du mur du ghetto alors que de l’autre côté des gens mourraient dans les flammes. Indifférence et crime ne font qu’un. C’est pourquoi nous devons nous souvenir de ce manège, de ces flammes et de ces insurgés qui, après toutes ces années, réussiront peut-être à attirer l’attention du monde sur le génocide. Puisse cet avertissement nous protéger de l’échec de la civilisation, de l’humanité, du progrès. Puisse l’homme ne pas détruire son espèce. Puisse le meurtre ne pas devenir titre de gloire. »

Dernière phrase terrible d’Edelman « Puisse le meurtre ne pas devenir titre de gloire. »

En 2021, 78 ans après la révolte du ghetto le meurtre est redevenu titre de gloire. Titre de gloire pour le meurtre des Chrétiens du Nigéria, du Kenya, de Centrafrique, d’Irak, de Syrie. Titre de gloire pour les meurtres des Musulmans de par le monde musulman, africain et maintenant asiatique. Titre de gloire pour le meurtre des Juifs de France, de Belgique, du Danemark, d’Argentine, d’Italie, d’Autriche, des États-Unis et d’Israël.

Résister, oui. En tant que Républicain français et juif, dire tout haut que les Français juifs en France ne cèdent pas. Les Juifs Français ne reculent pas devant la terreur et ne reculeront jamais, ni ne se tairont devant leurs complices quels qu’ils soient, notamment les responsables politiques ou même les juges.

Dire tout haut notre solidarité d’homme à tous les persécutés de la terreur par le monde. 

Et toujours se rappeler cette autre injonction de Marek Edelman « Indifférence et crime ne font qu’un ».

Livre écrit en 1943 par Pierre van Paassen, un journaliste hollandais, qui explique à quel point les combattants juifs jouent un rôle déterminant aux côtés des alliés. «The forgotten ally» a été traduit en français et publié juste après-guerre sous le titre «L’alliée oubliée».
Thèmes