Le gouvernement d’extrême droite turc a reçu les leaders du Hamas à deux reprises cette année – et a même soutenu leurs déclarations prétendant qu’ils « libéreront » la mosquée al-Asqa du contrôle israélien et que « Jérusalem est à nous » – mais souhaite à présent se servir d’Israël pour échapper à sa mise à l’écart par Washington.

C’est le message qui semble émerger d’un nouveau reportage du site Al-Monitor selon lequel « les services de renseignement turcs se sont entretenus en secret avec des représentants israéliens ».

D’un côté donc les mêmes représentants turcs qui ont fait le vœu de travailler avec des organisations comme le Hamas et de frapper Israël quand ils le peuvent, avec des figures clés du régime comparant Israël aux Nazis et reprenant la rhétorique du régime Iranien à l’encontre de l’État juif. De l’autre, cet article d’Al-Monitor qui affirme que la Turquie veut désormais « normaliser » les relations avec Israël. C’est pourtant ce même régime d’Ankara qui a menacé de rompre les relations avec les Pays du Golfe plutôt que de les normaliser…

Qu’est-ce qui a changé ?

Ankara a été isolée par Washington ces derniers mois. Et si la Turquie a pu contrôler la politique étrangère de l’administration Trump en Syrie et dans d’autres régions durant des années grâce à un lobby soigneusement orchestré à Washington, elle a perdu son influence à mesure qu’elle a continué de dénigrer Israël, acheté le système de défense antiaérienne russe S-400, et menacé les États-Unis et leurs alliés.

En 2017, lors d’une visite officielle du Président turc à Washington, les officiers de sécurité turcs ont attaqué des manifestants pacifiques américains. Puis Ankara a pris en otage un pasteur américain, harcelé les soldats américains dans des aéroports, et emprisonné un employé consulaire américain.

Recep Tayyip Erdogan a néanmoins bénéficié d’une ligne directe avec Donald Trump, se permettant même de réprimander régulièrement le président américain et de lui ordonner de quitter la Syrie. Cela a mené au chaos en Syrie et à une purification ethnique entre 2018 et 2019.

La version d’Ankara, souvent tissée lors de conversations avec Trump, était que la Turquie pouvait gérer la Syrie et faire faire des économies aux États-Unis. Mais l’invasion de 2019, lorsque la Turquie a affronté ses alliés américains, ainsi que la présence de représentants de l’État islamique et de membres d’al-Qaeda dans les territoires du bord de la Syrie occupés par la Turquie ont mené les États-Unis à se demander s’ils ne faisaient pas une mauvaise affaire.

Les éléments les plus pro-Ankara du ministère des affaires étrangères américain, tels que l’envoyé spécial pour la Syrie et contre Daech James Jeffrey, ont quitté leur poste lorsque Trump a perdu l’élection. Et, lorsque Pompeo s’est alors rendu dans la région, il a évité la Turquie. Plus de politique d’apaisement, fini de ramper devant Ankara, tel semblait être le message.

Les États-Unis ont jadis partagé des opérations de renseignement avec la Turquie, avant de se rendre compte qu’Ankara avait embauché des réfugiés syriens qu’elle a formés pour en faire des mercenaires fanatiques religieux puis les a envoyés traquer en Syrie des femmes telles Hevrin Khalaf, une activiste ayant travaillé avec les États-Unis. Chrétiens et Yézidis ont déclaré aux responsables américains qu’ils avaient fait l’objet d’une purification ethnique orchestrée par des membres de l’Armée Nationale Syrienne soutenus par la Turquie. La Turquie a par la suite encouragé une guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie et a menacé la Grèce, une alliée membre de l’OTAN.

Le Parti au pouvoir en Turquie a misé gros sur la victoire de Trump. On a menacé Joe Biden et Nancy Pelosi à travers des tweets et des messages. Mais Trump a été battu et Ankara semble avoir perdu des amis à la Maison Blanche. Les Turcs avaient également misé sur d’utilisation de lobbyistes en vue de transmettre aux alliés américains le message qu’ils étaient « contre l’Iran » : ils savaient, ainsi, toucher une corde sensible dans une administration Trump hostile à la République islamique. Pour faire passer, aux États-Unis, la pilule du soutien turc aux attaques à l’encontre de leurs partenaires des Forces démocratiques syriennes et de l’Arménie, la Turquie a prétendu que ces derniers étaient liés à l’Iran. Mais les assauts turcs ont fini par renforcer l’Iran et la Russie, la Turquie ayant acheté des armes russes, ce qui entre en contradiction avec ses déclarations d’opposition à la Russie. Ankara, Téhéran et Moscou ont signé des communiqués soutenant que les États-Unis devraient quitter la Syrie. Là, c’en était trop pour Washington.

Par le passé, la Turquie a essayé d’utiliser Israël et les voix pro-Israël aux États-Unis pour obtenir les faveurs de Washington. Tous les six mois, elle envoyait des « sondeurs » afin de connaître la tendance de ces groupes ; afin de discuter de leur « compartimentation » due au fait qu’ils hébergent le Hamas et que ses membres ont planifié des attaques terroristes depuis la Turquie ; et afin de plaider que Jérusalem et Ankara pourraient collaborer sur d’autres questions. Quand la Turquie s’est rendue compte que la Grèce, Chypre, Israël, l’Égypte et les Émirats Arabes Unis pouvaient se rapprocher en mars et avril, elle a envoyé ses « sondeurs » afin de voir s’il lui serait possible de rompre cette unité grandissante entre Israël, l’Égypte et la Grèce.

Avec l’administration américaine, Ankara tient un autre discours : oui, elle a bien acheté le S-400 « Triumph », mais dit souhaiter que les États-Unis étudient l’arme et payent pour qu’elle ne l’utilise pas. La Turquie tente de faire croire aux responsables américains qu’elle ne « branchera » pas le système. Ainsi un « allié » des États-Unis achète des avions de guerre russes tout en prétendant qu’il ne les fera pas voler…

À la mi-novembre la Turquie a de nouveau sorti sa rengaine : « venez étudier le S-400 Triumph ». Ceci dans l’optique d’être en meilleurs termes avec l’administration Biden. Le représentant permanent des États-Unis auprès de l’OTAN, Kay Bailey Hutchison, a épinglé la Turquie cette semaine pour détention de ce système S-400. Mais les États-Unis continuent de laisser la porte ouverte à ce « ok, vous pouvez l’avoir, mais ne le branchez pas ». La Turquie l’a testé et l’a mis en marche pour harceler les avions à réaction grecs. Peut-être la politique des États-Unis se réduit-elle à souhaiter que ce système ne soit pas constamment en marche… 

Ankara paraît penser qu’après un an de menaces contre l’Égypte, la Grèce, Chypre, la France, l’Arménie, les États Arabes Unis, Israël et d’autres pays – notamment en utilisant des réfugiés pour menacer la Grèce, en envoyant illégalement des armes en Libye et en encourageant l’extrémisme religieux contre la France – ses singeries risquent de la rattraper. Elle s’est donc tournée vers Israël encore une fois.

Comment la Turquie instrumentalise-t-elle Israël ? Elle affirme soutenir discrètement les efforts d’Israël contre l’Iran, bien qu’en réalité Ankara ait soutenu les Accords de Vienne sur le nucléaire iranien, ait reçu des membres du CGRI (Corps des Gardiens de la Révolution Islamique) et considère souvent l’Iran comme un pays avec lequel elle peut collaborer. La Turquie a rappelé ses ambassadeurs en Israël après que les États-Unis ont déplacé leur ambassade à Jérusalem. Ankara a essayé de remobiliser les Palestiniens contre Israël à la suite du transfert de l’ambassade américaine.

Al-Monitor nous apprend encore que la Turquie souhaite le retour de son ambassadeur : « L’inquiétude monte à Ankara, la nouvelle administration de Joe Biden fera preuve de moins d’indulgence vis-à-vis du caractère belliqueux du Président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a vu la Turquie monter trois incursions distinctes contre les Kurdes syriens depuis 2016, envoyer des troupes et des mercenaires syriens en Libye et en Azerbaïdjan, et croiser le fer avec la Grèce dans les eaux de la mer Égée et en Méditerranée Orientale », écrit Amberin Zaman.

Toujours selon le reportage de Zaman, Ankara penserait être en mesure de faire face aux sanctions des États-Unis grâce au S-400 « Triumph » ainsi qu’au « rôle primordial d’Halkbank dans la facilitation de l’accès au milliardaire marché illicite de l’or noir iranien ».

Ainsi la Turquie croit qu’être « gentille » avec Israël ou avec les juifs lui permettra d’ouvrir une nouvelle page dans ses rapports avec les États-Unis. C’est un mode opératoire qui a été employé auparavant. Parfois cela a joué dans les deux sens, comme à l’époque où la Turquie a mené avec succès des organisations juives aux États-Unis à faire du lobbying contre la reconnaissance du génocide arménien en soutenant que nier le génocide resserrerait les liens entre Israël et la Turquie. La réputation de l’« Anti-Defamation League » fut tristement ternie, au début des années 2000, pour s’être ralliée à cette approche. Elle n’a changé de position qu’en 2016 suite à l’arrivée d’une nouvelle direction.

Curieusement, nier le génocide arménien n’a pas rapproché Israël et la Turquie ; au lieu de cela la Turquie a accusé Israël d’être « comme les Nazis ». Ainsi tous les efforts pour nier le génocide n’a valu à Israël que d’être accusé de génocide. Lorsque la Turquie a voulu justifier l’attaque contre les Arméniens, ce n’est pas le déni du génocide qui a été plaidé à Washington mais plutôt une campagne de désinformation prétendant que l’Arménie serait l’alliée de l’Iran, ce qu’elle n’est pas. Les Arméniens ont été forcés de quitter leurs maisons, et la Turquie veut maintenant être à nouveau bien vue par Jérusalem – dans le dessein de s’attirer les faveurs de Washington.

Il est difficile de savoir si Israël interviendra encore en faveur de la Turquie, ignorant son soutien au Hamas, dont les activités terroristes ont tué et blessé des milliers d’israéliens. Israël risque de découvrir, dans un futur pas si lointain, qu’une fois qu’Ankara aura ce qu’elle veut, Jérusalem reviendra dans sa ligne de mire.

Par le passé, Israël et les voix pro-Israël aux États-Unis qui soutenaient Ankara n’ont rien demandé en retour. Les choses ont toujours manqué de transparence sur ce point avec la Turquie. Tandis que la Russie et l’Iran sont accueillis tout sourire à Ankara, que le commerce et la circulation des armes prospèrent, et que le Hamas et le Djihad islamique peuvent trinquer dans les cafés turcs, Israël n’est pas officiellement le bienvenu – et il n’a jamais rien obtenu en échange des multiples tentatives de rapprochement.

La Turquie s’est servie de cela auparavant pour essayer de saboter les relations entre Israël et la Grèce, les Émirats Arabes Unis et d’autres pays. On ignore si Israël est prêt à être une nouvelle fois instrumentalisé par le gouvernement d’extrême droite d’Ankara.

La Turquie est également en train de manœuvrer de façon à établir de nouveaux rapports avec l’Arabie Saoudite, elle a aussi modéré sa rhétorique envers la Grèce. Son gouvernement sait que – tandis qu’aucune organisation de défense des droits de l’homme ne fera quoique ce soit contre la poursuite de la purification ethnique et l’occupation d’Afrin –, les pays membres de l’OTAN, tels que la France et les États-Unis, se lassent des crises à répétition impliquant Ankara ainsi que des agressions et des guerres dans lesquelles la Turquie s’est engagée, déstabilisant la Syrie, la Libye, le Caucase et d’autres États.


Traduit de l’anglais par Caroline Clerc.

2 Commentaires

  1. L’accident industriel que représenta l’énième tentative de pailletisation du voile chariatique lors des auditions à l’aveugle d’un télécrochet mondialisé, devrait en effet être inscrit au Registre des incidents regrettables, au sens où l’éviction d’une candidate dont les prises de positions conspirationnistes refirent surface alors même que l’État islamique d’Irak et du Levant était loin d’être de l’histoire ancienne, — je vous parle d’un temps révolu où la tête bien faite de Samuel Paty rappelait à la nation qu’elle était outillée pour penser par elle-même, un temps prérévolutionnaire où la loi sur le séparatisme s’apprêtait à tomber aux oubliettes sous la menace de décapitation proférée à demi-mots à l’encontre d’un ministre de l’Éducation nationale par un chouchou du palais se croyant habilité à justifier l’assassinat ciblé d’un relayeur de Jean Zay qu’il tenait pour unique responsable du sort qui lui serait réservé s’il se piquait de poser le pied en République islamique de France, — nous disions donc que l’expulsion, décidée par la direction des programmes de la première chaîne de télévision européenne, d’une prévedette fabriquée qui admet aujourd’hui avoir eu d’énormes difficultés à se déprendre de l’emprise d’un islamiste et néanmoins s’étonne qu’on l’ait « boycottée comme on veut éradiquer la peste » brune, devrait au minimum nous interdire d’établir un glissant parallèle avec l’occultation sociale d’une lycéenne lesbienne qui, ayant été prise pour cible par une meute d’imams autoproclamés larguant sur elle une e-fatwa anti-LGBT, se croirait libre d’aller cracher sur la tombe de Dieu : « Tu sais où Tu peux Te la foutre, Ta religion ? »