Il rédige, « Le chant des Partisans », le 3ème hymne français. Il écrit le Roman de la Résistance « l’armée des ombres ». Officier d’aviation et héros des deux guerres, grand reporter et romancier, il parcoure et raconte le monde. Il découvre la Palestine en 1926 et y revient souvent. Ce « Témoin parmi les Hommes » surnommé Jef, cet académicien à l’épée « ornée de l’étoile de David et de la Croix de Lorraine », s’appelait Joseph Kessel et entre dans la Pléiade ce 4 juin 2020.

Janvier 1943, un officier d’aviation arborant sa Légion d’honneur et sa croix de guerre 14-18, pénètre dans le bureau du Général de Gaulle à Carlton Gardens. A 45 ans, Kessel demande à participer aux combats. De Gaulle, qui admire sa plume, répond « C’est difficile à votre âge… vous pourriez écrire quelque chose sur la Résistance ». Ce sera « L’armée des ombres ». Ce roman est nourri de ses souvenirs de lutte en Provence dans le réseau « Carte » et de ses rencontres avec les chefs de la Résistance. Emmanuel d’Astier, cet ami des fumeries d’opium d’avant guerre,  fondateur et patron du réseau « Libération » lui demande d’écrire le chant des maquis. « Le chant des Partisans » est ainsi composé avec son neveu, Maurice Druon, sur une musique d’Anna Marly et chanté pour la première fois par sa compagne d’alors, l’actrice-chanteuse et résistante, Germaine Sablon. Dominique Missika publie d’ailleurs ce 4 juin, l’histoire d’amour tumultueuse et héroïque de ce couple engagé de 1935 à 1945 « Un amour de Kessel » aux éditons du seuil.

Après avoir répondu avec brio aux commandes de De Gaulle et de d’Astier, Kessel reprend des missions comme navigateur dans les Forces Françaises Libres Aériennes au-dessus de l’Europe occupée.

Ce roman et ce chant emblématique de la Résistance française naissent ainsi sous la plume d’un homme ayant vu le jour en 1898 à Villa Clara dans une « colonie » juive d’Argentine. Ses parents, le Docteur Samuel Kessel et Raïssa Lesk sont des Juifs russes. Son père a étudié la médecine à Montpellier et accepte la proposition du Baron de Hirsch d’être le premier médecin de sa « Jewish Colonization Association » en Argentine. Joseph n’y reste pas longtemps, et grandit quelques années dans l’Oural, chez sa famille maternelle. A 10 ans, il s’installe à Nice et étudie au Lycée Masséna, comme plus tard son ami Romain Gary et compagnon de Résistance – et maintenant de Pléiade. Après quelques essais au théâtre, aux côtés de son frère Lazare, il s’engage début 1917 et devient pilote de chasse. Cette aventure sera la trame d’un de ses premiers romans à succès « L’équipage ». 

Le goût de l’aventure et de l’écriture ne le quittera plus. Grand-reporter, il couvrira les guerres, les conflits, et les peuples en quête de dignité. Il ira en Irlande, aux Pays Baltes, en Palestine, en Éthiopie. Il suivra les marchands d’esclave, les pilotes de l’Aéropostale et les chasseurs de perles. Ses reportages font la une des journaux à gros tirages, du Figaro à Paris-Soir. Ceux ci nourrissent aussi romans et nouvelles, de « Mary de Cork », « Makhno et sa juive », « En Syrie », « Nuits de Sibérie », « Fortune carrée », « La Rose de Java », « Mermoz »… Roi des nuits parisiennes, il découvre Piaf, écrit « Nuits de Prince », « Secrets parisiens » mais surtout « Belle de jour ».

Juif, il ne s’en cache pas, il est un des fondateurs de la LICA, devenue la LICRA. Lorsqu’il se rend en Palestine en 1926,  il publie un chant sioniste « Terre d’amour ». Il offre à ses parents l’édition originale reliée par ses soins, avec le titre gravé en hébreu en couverture. Il y retourne pour couvrir la guerre d’indépendance et en se posant à Haïfa le 15 mai 1948, il reçoit le visa n°1 du jeune Etat d’Israël. Il en rapporte « Terre de feu ». Puis il revient pour le procès Eichmann. En 1973, il crée la revue « Les combats d’Israël ». 

Ses combats étaient contre tous les totalitarismes. Il s’était battu contre les bolchéviques. Il fut un des premiers à défendre la République espagnole dans « Une balle perdue » et à dénoncer les persécutions allemandes des Juifs et les premiers camps de concentration dans « La passante du Sans-Souci » en 1936.

Lors de sa réception à l’Académie Française en 1962 au siège du Duc de la Force, il clame haut et fort sa fidélité: « «Pour remplacer le compagnon dont le nom magnifique a résonné glorieusement pendant un millénaire dans les annales de la France… qui avez-vous désigné ? Un Russe de naissance, et juif de surcroît. Un juif d’Europe orientale ». Ce patriote français, ce défenseur des libertés aura une dernière volonté. Il demande que son épée « ornée de l’étoile de David et de la Croix de Lorraine », soit remise à l’université Hébraïque de Jérusalem, ce que fera son ami Jean d’Ormesson qui l’a précédé dans la Pléiade.

Cet écrivain, dont l’œuvre littéraire a parfois été occultée par ses reportages et les adaptations cinématographiques de ses livres, obtient enfin ce que réclamait, depuis tant d’années, tous ceux qui admirent la force et la puissance évocatrice de son style, l’entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade.

La Pléiade lui ouvre donc enfin ses portes et lui consacre deux volumes et un album avec une très riche iconographie qui retrace sa vie d’aventures et de combats pour la liberté et la dignité des Hommes.

Le premier volume a retenu ses principaux succès de l’entre-deux guerres et de la guerre, parmi eux : « L’équipage », « Belle de jour », les trois nouvelles des « Coeurs purs », « Fortune carrée », « La passante du sans-souci », « L’armée des ombres » et « Le Bataillon du ciel ».

Le deuxième volume reprend ses grands romans d’aventure et d’espace : « Au Grand Socco », « La piste fauve », « La vallée des rubis », « Hong Kong et Macao », « Le Lion » et « Les cavaliers ».

Cette entrée dans la Pléiade de « Jef », une forme de couronnement littéraire, est aussi la revanche de ces écrivains combattant pour la justice et la dignité, dans la lignée des grands conteurs de notre littérature, de Dumas à Gary en passant par Hugo et Stendhal, trop souvent snobée par certains milieux littéraires.


Joseph KesselRomans et récits I, II. La Pléiade. Parution le 4 Juin 2020. Prix de lancement 135€ jusqu’au 31/12/2020.

Un commentaire

  1. Très interressé par les auteurs de La Pleiade et surtout par Joseph Kessel