Cette foire de Bruxelles est une vieille dame. Fondée est 1956, la BRAFA est probablement le plus ancien des grands salons d’art européens dont elle ouvre le bal en cette fin janvier. A quelques jours de l’ouverture d’Art Genève, nouvelle venue résolument tournée vers l’art contemporain, la BRAFA entend rester fidèle à l’éclectisme qui fait sa renommée. En arrivant dans la capitale belge peu avant le dîner de gala on est heureux (ou pas) de renouer avec la férocité mondaine qui caractérise ces grands raouts sociaux autant qu’artistiques.

Ambiance.

Au milieu de messieurs à l’élégance surannée arborant costumes Savile Row pochettes assorties, on vole au passage quelques perles. Je vous livre en préambule l’une des plus savoureuses : Monsieur lit un carton d’invitation dont les lettres élégamment tracées semblent indiquer que la réception est chic, très chic. Il s’agit semble-t-il d’une invitation à un cocktail en ville chez le quatrième Marquis de Machin-Chose, et son épouse de répondre du tac-au-tac la voix haut perchée : «quand on est le quatrième on évite de le dire», référence à un titre trop récemment acquis aux yeux avertis de Madame. A lire ces lignes on pourrait penser que la BRAFA est un rassemblement désuet de quelques spécimens en voie de disparition genre vieille Europe. Mais ne nous laissons pas abuser par l’ambiance un peu vintage du dîner de Gala, l’intérêt de la BRAFA se trouve évidemment ailleurs.

Ce salon réputé pour son éclectisme offre à la curiosité des amateurs, et ils sont nombreux dans cette terre de collectionneurs qu’est la Belgique, un vaste choix dans des spécialités aussi variées que le mobilier classique, le design, les arts premiers, l’archéologie, l’art contemporain (un peu), l’art moderne (beaucoup). Cet éclectisme évoque la TEFAF de Maastricht, où les spécialités représentées sont peu ou prou les mêmes. Mais ne nous y laissons pas prendre, les deux foires ne jouent pas dans la même catégorie, et c’est heureux ! Par rapport à la très muséale TEFAF, où les galeries sont rassemblées dans différentes sections en fonction de leur orientation, on a plaisir à déambuler dans les allées du salon pour y trouver ici un Poliakoff, là un meuble du XVIIIème, ici encore un objet rare ou insolite. La BRAFA est aussi plus accessible que sa consoeur des Pays-Bas, même si le mot n’est peut-être pas idéalement choisi pour décrire un supermarché de l’art où le panier moyen avoisine les 100 000 €. Mais trêve de bavardage, voici pour le plaisir des yeux un florilège très personnel et non exhaustif.

Arman (1928 – 2005), Portrait robot d’André Scholler, 1968, Accumulation d’objets sous plexiglas, 130 x 89,5 x 16 cm (Courtesy La Galerie des Modernes).

On s’arrête d’abord à la Galerie des Modernes où on tombe en arrêt devant un Portrait d’Arman. Lorsqu’Arman réalise le portrait de son ami André Scholler, grande figure de Drouot récemment disparue, c’est à la manière Nouveau Réaliste : le niçois sélectionne quelques effets personnels qui lui semblent le mieux caractériser son ami, et les accumule dans une boîte de plexiglas, le tout avec un sens consommé de la composition et de la texture qui font de ce tableau-objet réalisé en 1968 un petit chef-d’œuvre de la sculpture des 60’s. Provenant directement de la collection du modèle récemment décédé, l’acheteur appréciera en être le second détenteur, seulement, depuis sa création. A contrario, quelques mètres plus loin, on tombe sur une «Colère» d’Arman du début des années 2000 qui incarne tout ce que l’artiste a pu produire de plus sériel et commercial à la fin de sa carrière. Qui a dit que la vieillesse est un naufrage ? On ajoutera qu’on pouvait s’offrir le portrait de Scholler pour à peine deux fois le prix de la médiocre Colère.

Fabergé (1846 – 1920), Jardinière centre de table en argent, Moscou, 1908-1917 (Courtesy Galerie Dario Ghio).

A la galerie monégasque Dario Ghio, qui présente des objets précieux de l’ancienne Europe, on repère entre un christ en ivoire du XVIIème siècle et autres vanités sculptées, un objet d’un faste un brin désuet mais très évocateur, réalisé par le grand orfèvre russe Fabergé. Il est touchant de penser que cette jardinière en argent massif ciselée par les ateliers Fabergé dans un style Néo Rococo fut réalisée entre 1908 et 1917, dans les derniers jours du régime des Tsars. Très puissante et massive, la pièce d’orfèvrerie est proposée dans son écrin d’époque marqué en cyrillique. On se plaît à imaginer le précieux coffret chargé à la hâte vers la France lors de la révolution de 1917.

Visuel 3 : Kenneth Noland (1924 – 2010), Up Bow (Diamond Stripe), 1967, Acrylique sur toile, 59,7 x 248,9 cm (Courtesy Simon Studer Art).
Kenneth Noland (1924 – 2010), Up Bow (Diamond Stripe), 1967, Acrylique sur toile, 59,7 x 248,9 cm (Courtesy Simon Studer Art).

Une galerie une ambiance.

Un peu plus loin, on repère une importante «Shaped canvas» d’un des papes de la peinture minimaliste américaine, Kenneth Noland. Datée de 1967, elle fut initialement acquise à l’emblématique Galerie Leo Castelli de New York. Elle participe par son minimalisme radical et son expérimentation formelle des recherches les plus audacieuses de la scène américaine des sixties. On s’étonnerait presque de retrouver une telle œuvre qui ferait la fierté d’un stand à la FIAC ou Art Basel sur les cimaises de la bon chic bon genre BRAFA.

Visuel 3 : Kenneth Noland (1924 – 2010), Up Bow (Diamond Stripe), 1967, Acrylique sur toile, 59,7 x 248,9 cm (Courtesy Simon Studer Art).
Ettore Sottsass (1917 – 2007), Miroir «Ultrafragola», 1970, plastique verre, 197 x 102 cm (Courtesy RobertaeBasta).

On ne manquera pas le stand de la galerie milanaise RobertaeBasta, autant pour les pièces de design qui y trônent que pour les tenues de sa très théâtrale fondatrice Roberta Tagliavini. Le miroir «Ultrafragola» d’Ettore Sottsass était probablement le must de cette BRAFA en matière de design Pop, un domaine encore sous-estimé dans lequel l’italien Sottsass est un maître incontesté.

Hergé (1907 – 1983), Le temple du Soleil, 1970, Encre de Chine sur papier, 24 x 34 cm (Courtesy Galerie Huberty & Breyne et Moulinsart).

Nous trouvant au pays de la bande dessinée, on s’arrête avec curiosité sur le stand de Galerie Huberty & Breyne, qui représente Philippe Geluck et organisait l’an passé une vente aux enchères de BD en collaboration avec Christie’s. On trouve sans surprise des œuvres sur toile de Geluck et de quelques autres. On est plus étonné de découvrir au fond du stand un ensemble de dessins de ZEP, le créateur de Titeuf, proposés pour un prix équivalent à une voiture neuve d’entrée de gamme dont plusieurs étaient déjà vendus lors de notre passage. Le clou du spectacle étant une encre de Chine du Leonard de Vinci du Neuvième Art, j’ai nommé Hergé, pour le Temple du Soleil, dont on n’a pas osé demander le prix.

Au milieu de ces joyeusetés, on déplorera tout de même l’absence quasi-totale de peinture ancienne de qualité. En la matière, la TEFAF, et dans une moindre mesure la nouvelle venue Paris Fine Arts ont définitivement pris le pas sur la BRAFA. L’amateur de compositions savantes, d’expressions pathétiques ou de glacis subtils n’aura à se mettre sous la dent qu’une poignée d’œuvres d’atelier ou de suiveurs de Brueghel dont l’intérêt nous aura échappé. On note un phénomène exactement inverse en matière d’art moderne, et on ne compte plus le nombre de toiles de Georges Mathieu ou de Hartung. On pourrait se réjouir du retour en grâce de l’abstraction lyrique de l’école de Paris sous l’influence conjuguée de grands marchands comme Perrotin et des musées français. On peut également déplorer une certaine uniformisation dans un salon dont le credo est l’éclectisme et la découverte.


Informations pratiques

Où? A Tour et Taxis, Avenue du Port 86 – 1000 Bruxelles

Quand? Du 26 janvier au 2 février 2020

Consulter le site de la BRAFA ici.