Drôle d’oiseau cet Urman. Je le croise pour la première fois à la galerie Pierre Alain Challier, rue Debeylleme, où l’on m’avait traîné un dimanche – ou était-ce un lundi ? En tout cas un jour encore suffisamment proche d’une fête récente pour que mon humeur fut aussi massacrante que la sienne. Celui-ci n’avait d’ailleurs pas manqué de me faire remarquer, en guise de politesse introductive, que le conformisme contemporain avec lequel j’étais chaussé – en baskets blanches – lui était absolument insupportable. C’est ainsi qu’il me fit une première impression terrible mais je décidais tout de même, bon prince, de présenter quelques-unes de ses créations – auxquelles je ne comprenais alors strictement rien – pour une exposition au Donjon de Vez dont je préparais le commissariat avec Tancrède Hertzog.

Mon opinion a été quelque peu modifiée lorsque je fus catapulté dans un club de la rue Montmartre devant un concert de Musique Post Bourgeoise, l’ovni musical dont il est la bouche hurlante, et que l’on caractérisera très hâtivement d’électro punk néo Dadaïste. La relative confidentialité de cette formation me semblait ce soir-là une injustice criante en même temps qu’une bénédiction puisque nous n’étions qu’une poignée d’irréductibles, incluant le regretté Nicolas Ker, à traduire par nos mouvements frénétiques la joie que nous procurait les hurlements reptiliens d’Urman dans le micro. Les paroles en sont assez réjouissantes et j’en recommande l’écoute à quiconque goûte l’art du paradoxe. 

Par la suite, j’eus le privilège d’entrer chez Olivier, où, près de la porte de Saint Ouen, avaient régulièrement lieu, jusqu’à une date récente, des soirées rassemblant une société choisie au son d’airs de Gluck ou de Berlioz qui ne l’étaient pas moins. Le décor en est orchestré avec brio par Urman lui-même, à la manière d’un des Esseintes en moins misanthrope. C’est bien dans ce lieu connu de bon nombre d’initiés que l’on peut comprendre la cohérence et la singularité de son œuvre et non, pour le malheur de sa reconnaissance commerciale, sur le stand d’une foire contemporaine ou même entre les murs d’une galerie. 

Les différentes séries d’œuvres exposées, Obstructions volontaires, Matières Uniques… portent des noms suffisamment évocateurs pour que les plus curieux aient, je le souhaite, l’envie de s’y pencher de plus près. Toutes procèdent d’une volonté d’innovation conceptuelle. Il y a dans cette démarche qui évoque les Avant Gardes dont le fil s’étire jusqu’aux Nouveaux Réalistes un je ne sais quoi de vintage, que certains esprits chagrins trouveront désuet, mais dans laquelle l’esprit averti comprendra qu’il ne s’agit pas là d’un pastiche mais d’une réponse dont l’ironie postmoderne teintée d’absurde ne masque pas la profondeur.

Alzheimer, 2000 (ancienne collection Édouard Stern)
Altuglass brossé, 220 x 100 x 60 cm

La partie la plus visible de son travail artistique, et c’est bien l’objet du présent texte, se trouve dans la dimension performative de son œuvre. Car Urman est un artiste véritablement engagé, esthétiquement et politiquement. Il a commis ces dernières années plusieurs événements artistiques dans l’espace public, non dépourvus d’une dimension Don Quichottesque que d’aucuns trouveront sympathique. Non content d’avoir proclamé le « Manisfeste du Cassoulisme », dernier Mouvement en « Isme » du XXème siècle à 23h59 le 31 décembre 1999, il fut le premier artiste à investir le périphérique parisien. Plus récemment il a installé nuitamment devant le Palais de Tokyo une sculpture monumentale en réponse à Jeff Koons, avant de demander l’abolition du Ministère de la culture. Il s’insurge cette fois contre la « crispation contemporaine » en installant un hideux personnage, réplique monumentale d’une sculpture chinée sur une brocante en Belgique, baptisée Monsieur Crispé. L’installation de cette sculpture aura lieu comme de coutume de façon sauvage, en présence d’officiels, notamment Thomas Schlesser, directeur de la Fondation Hartung Bergmann, qui lira un texte pour l’occasion. Nous ne pouvons qu’inviter les lecteurs de cette chronique à se joindre aux réjouissances.


L’art vous aime t’il ? Réponse à Jeff Koons, 2018

Consécration crispée : 

Ce mercredi 16 juin 2021 à 18h au 4 rue des Petits-Pères 75002 Paris


Instagram : @musiquepostbourgeoise