Fernando Arrabal a écrit sa pièce plus que jamais actuelle, Le Cimetière des voitures, en 1957, et l’a filmée pour le cinéma puis pour la télévision française en 1983. Des migrants, après avoir erré dans les déserts, les mers et les frontières arrivent pleins d’illusions au cimetière des voitures de la grande ville pour survivre dans des autos rouillées ou des tentes d’organisations philanthropiques. Dans ce lieu de regroupement, il s’agit de donner un spectacle. Une personne annonce une véritable occasion :

– Nous vous offrons, enfin, au prix défiant toute concurrence : créatures idylliques, estropiés au grand cœur, vierges mystiques…

Mais après être arrivés au cimetière de la métropole, les migrants doivent se nourrir; il est touchant de les voir faire la queue pour collecter des hamburgers qu’ils mangent avec discipline. Le responsable engage une conversation avec son assistante émue : 

– Ces jeunes migrants, dans leur calvaire, chaque jour plus beaux !

Mais bientôt ils sont cernés par la police. Parmi les conversations que cela suscite, un de ces malheureux commente :

– La police voit tout, entend tout et partout confond tout.

Un espoir est-il né ? Parmi les voitures abandonnées, mises au rebut et rouillées ? Entre poussière et graisse ? Rêvent-ils de rois mages, sans or, sans encens et sans myrrhe, mais avec des bottes trouées, des lunettes de soleil cassées et une guitare sans cordes ?

Lorsque la pièce a vu le jour en 1967 en France, le public était assis sur des chaises pivotantes au milieu de voitures. Comme le voulait Arrabal, la scène entourait le spectateur et non l’inverse : le public était encerclé par les déchets, par «les déchets de consommation». Grâce au volume élevé des voix criant des ordres, l’hostilité d’un monde claustrophobe d’oppresseurs / opprimés, responsables / migrants était transmise. 

Arrabal a déjà dit en son temps (El País) :  

– Mes pièces de théâtre ont été sont et seront une réponse authentique à un monde totalitaire qui vit en pleine inauthenticité.

L’œuvre a reçu de nombreuses récompenses à Rome, La Havane, New York, par l’Académie française, etc. Elle est jouée dans des capitales telles que Rio de Janeiro, São Paulo, Belgrade, Lisbonne, Tokyo, Lima, Varsovie… Elle a été représentée à Madrid (en Espagne !) et mise en scène «brillamment» par l’Argentin Víctor García. Pérez de la Fuente, qui l’a à nouveau programmée en 2000, la considère comme : 

«L’un des dix meilleurs textes de ce siècle et un classique. Loin de vieillir, la pièce va au-delà des circonstances politiques du moment en Espagne, et bien qu’elle contienne de nombreux symbolismes et influences de cette époque, c’est fondamentalement une recherche de la liberté. C’est un voyage initiatique vers l’être humain; et bien que nous vivions aujourd’hui en démocratie, nous devons nous demander si nous avons tout réussi ou si nous devons continuer à chercher.»

En fait, lors de la première représentation à Paris, la critique a considéré qu’elle avait servi d’annonce à la révolution de mai : comme «une prémonition poétique toujours d’une brûlante actualité».  

Arrabal déclarait à El Paìs en 1977 : «Cette pièce est également un cataclysme médiéval. J’ai été inspiré pour l’écrire (comme pour le reste de mon théâtre) par ce que j’ai vu dans mon enfance à Ciudad Rodrigo et mon adolescence à Madrid, et qui va des désastres de la guerre à l’enterrement de la sardine. L’ancien régime [le franquisme], après avoir censuré mon théâtre (comme mes films et tous mes écrits) m’a distingué par ses insultes.» 

Le Messie est-il un migrant né dans un cimetière de voitures ? Une déshéritée commente :

– La vie va-t-elle continuer ? Je pensais que seules les tortues avaient des petits après le cataclysme de notre exode. Allons-nous ouvrir une brèche dans cette société ?

En même temps, nous percevons la référence à la vie du «sauveur», personnage incarné par Emanou, à la fois trahi et condamné : 

– Emanou est un autre Brian, né de l’esprit privilégié par les maladies et les persécutions, du génie exilé. (Gabriel Guilén, Artezblai) 

Les responsables se posent des questions : 

– Aimez-vous les uns les autres ? Une immense solidarité ? Disponibilité totale ? Il faudrait supprimer à jamais ces propos de séditieux. 

L’un d’eux demande à sa collègue du ministère de se cacher également parmi les voitures pour pratiquer le sexe oral. Et la pièce s’achemine vers une fin incroyable… un célèbre prisonnier nommé Barrabal… Pilate, se lave les mains… la crucifixion… le sauveur est crucifié sur une moto rouillée…

Le cimetière des voitures est-il déjà là ? maintenant même ? Au centre de Paris ? Après les manifestations avec leurs décors fumants ? Arrabal dit :

«Le cimetière des voitures (et même mon film avec Bashung) est et était et sera lié au présent. Œuvre que j’ai écrite au sanatorium de Bouffémont il y a soixante-quatre ans. La vérité est que Pan dans son omniscience infinie m’a conféré de nombreux privilèges comme au reste de mes compatriotes ou collègues. Mais, malheureusement, il ne m’a pas encore accordé le don de prévoir l’avenir de ce que j’écris humblement. L’éléphant est-il plus apte que la puce à vérifier son insignifiance ?»

Ce que de nombreuses analyses ont également constaté et Arrabal lui-même, c’est que les souffrances des personnages de la pièce renvoient ouvertement à celles des Espagnols de l’époque (sous la dictature) et au calvaire des migrants d’aujourd’hui. Arrabal a déclaré en 2001 : 

«Adolescent, j’ai écrit sans cesse à Madrid à la recherche de mes propres ressorts pour les mettre à nu et les analyser. Le jour je voyais le harcèlement des inquisiteurs puis j’abordais l’épisode nocturne, compensatoire et frustrant, de créer.»

La pièce a eu autant de représentations et aussi différentes que celles qu’ont connues et connaissent toujours ses juvéniles Fando et Lis, Le tricycle… et ils passèrent des menottes aux fleurs.

Mais personne ne peut manquer de saisir le sujet essentiel du Cimetière des voitures : cette œuvre d’hier, d’aujourd’hui et de toujours : La geste et le drame des migrants !

Un commentaire

  1. Mais il faut différencier quand même: « Le drame des migrants » s’accentue aujourd’hui par le fait que presque tous ceux qui viennent ici sont des hommes musulmans qui très souvent ne comprennent pas et ne respectent pas notre société ouverte et permissive. C’est un problème unique à qui nos démocraties sont confrontées – je sais de quoi je parle en habitant la Suède …

    Mais merci pour nous offrir cet plateforme d’échanges politico-philosophiques au-dela des frontières!