Souvenirs de Jacques Chirac qui se bousculent. Le jeune premier de la République. L’Athos secret et mélancolique derrière le masque de d’Artagnan. La Bosnie où il sauva l’honneur. L’Afghanistan où il me missiona et répara l’affront fait à Massoud. Et, bien sûr, la grandeur du Président du Vél d’Hiv et de son discours historique et courageux. Et puis aussi, en 1969, lors de notre toute première rencontre, ce mélange étrange : l’appétit de Balzac, une mélancolie Malrucienne et un charme stendhalien.
Souvenirs de Jacques Chirac
par Bernard-Henri Lévy
26 septembre 2019
L’ancien président de la République Jacques Chirac est mort ce jeudi à 86 ans. Bernard-Henri Lévy se souvient…
Le 4 octobre 2019, la Police nationale plagiait le « Jour » du PIR pour entamer sa « Marche de la colère » face aux diffamateurs fascisant son image.
Au début de l’été précédent, une intervention musclée contre un groupe de fêtards de la Musique, gazés par la police nantaise, avait provoqué la chute de plusieurs personnes dans la Loire dont Steve Maia Caniço ; la disparition du jeune homme serait l’occasion, pour l’extrême gauche française, d’établir un parallèle entre le 21 juin 2019 et le massacre du 17 octobre 1961 que l’Histoire attribuerait à un résistant de la dernière heure complice de crime contre l’humanité.
En mars 2012, Merah s’était engouffré dans la brèche commémorative des accords déviants pour célébrer, à sa manière, l’un des anniversaires de la Reconquista islamica. La complicité objective entre FLN et islamisme algérien n’a jamais rien eu à envier à celle de Moubarak et des Frères musulmans ou d’Assad et Daech. Le panarabislamisme profite des angles morts du cartésianisme pour étourdir son Corrupteur. Cédons à son chantage drifien en vue d’apaiser sa Colère, et nous attiserons sa rancune planétaire.
Par la menace de reprendre l’avion présidentiel dont il avait giflé, quasi facecam, l’agent de sécurité israélien chargé d’assurer la protection d’un chef d’État étranger dans un quartier hiérosolymitain truffé de djihadistes, l’ex-chef d’un ex-parti politique français qui avait attiré sur son pays une vague d’attentats terroristes chaque fois qu’il était revenu aux affaires, deviendrait populaire en terres d’islam (essuyage de front perlant de sueur, suivi d’un soupir de soulagement), lesquelles terres, non contentes de s’étendre à perte de vue, se répandraient en louanges envers ce grand allié de Great Satan, qui avait su tenir tête à Israël. Vous savez, dorénavant, ce qu’il vous reste à faire, Monsieur le Président, si vous souhaitez nous rapprocher de la paix, plutôt que nous en éloigner à des années-lumière.
Très intéressant, l’argument selon lequel ce n’est pas par pacifisme que Jacques Chirac se serait opposé à l’intervention américaine en Irak, mais par souci de faire respecter le droit international. En quoi cela justifierait-il que la France se fût alignée sur la position de la Russie, de la Chine, de la Syrie et d’une Allemagne dont le rapport à la guerre demeure encore, à tout le moins, traumatique ? N’aurait-il pas suffi que la France se cachât derrière le respect du droit de veto utilisé par les complices d’un violeur multirécidiviste du droit international sans aller jusqu’à planter un couteau dans le dos à ses propres alliés ? Pour quelle raison, en outre, le franchissement de la red line légitimerait-il, quelques années plus tard, l’invocation du précédent libyen à propos de l’usage des armes chimiques par Bachar el-Assad, autrement dit, le fait que Sarkozy se soit dit prêt à y aller tout seul, dès lors que le mépris affiché par Saddam Hussein envers l’ultimatum qu’on lui avait lancé ferait de tous ceux qui ne lui cédaient pas d’horribles unilatéralistes ? La tribune du 4 octobre 2013 dans laquelle le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, proposait la suspension du droit de veto au Conseil de sécurité en cas de crimes de masse, est d’une actualité brûlante. La détention avérée ou plausible d’un arsenal de destruction massive par un État voyou nous oblige à revoir notre conception du potentiel criminel des individus ou de leur culpabilité impossible à anticiper sous l’angle de la probabilité d’un éventuel passage à l’acte. La défense est désormais à la parole ; parole d’homme ; homme d’État.
Nul ne conteste que le renversement du régime tyrannique de Saddam ne pouvait pas permettre aux néo-conservateurs d’implanter la démocratie là où le retrait des troupes américaines par Barack Obama allait favoriser l’émergence de Daech. Cela étant admis, sachant qu’al-Qaïda dévastait à gogo aux quatre coins du globe, fort de l’aval d’une rue arabe qu’un an et demi plus tôt l’on voyait s’esbaudir devant ses cascadeurs volants, les conséquences qu’aurait pu entraîner, en 2003, le maintien au pouvoir du Raïs pop, furent très tôt un trou noir de notre politologie.
Si je mets de côté l’acte de désertion inspiré par Monsieur de Villepin grâce auquel Jacques Chirac aura droit à des réconciliations post-mortem avec Marine et Vladimir, — ce qui vaudrait pour Mouammar le Terroriste et Bachar le Chimique valait déjà pour le gazeur des Kurdes, lequel, on semble l’oublier, refusait catégoriquement qu’on inspectât les sites présidentiels où Hans Blix n’était mandaté pour neutraliser aucune des armes conventionnelles qu’il y aurait trouvées, — je dois saluer bien bas la résistance d’un Président que mes potes socialistes me convaincraient de repeindre en fasciste. Antifacho-Chirac n’aura jamais flanché durant l’ascension régressiste du Front populiste. Il aura, qui l’eût cru, marqué la France de son empreinte au moins autant que ne s’était imaginé le faire son fascinant prédécesseur.