L’étranger. Qu’est-ce un étranger ? L’étranger est celui qui est d’un autre lieu, d’un autre temps, d’une autre cité, d’une autre sortie, celui qui vient d’ailleurs. Ailleurs, là-bas. Là-bas plus loin qu’ailleurs.
L’étranger, c’est celui qui ne fait pas partie de l’enclos. Celui qui est d’une autre lignée. D’une autre filiation. D’une autre présence. L’intrus. L’inconnu. Celui dont on ne sait pas tout. Celui qui nous échappe. Celui qui fait irruption. A l’improviste. Celui qui est appelé à décliner son identité. Celui qui est d’un autre visage. Celui qui a d’autres yeux. D’autres oreilles. D’autres façons de voir, d’entendre, de parler le monde. De parler du monde. Celui qui vient avec l’inattendu. Qui vient de l’imprévisible. Qui vient d’autres désirs. D’autres interrogations. D’autres rêves. Celui qui s’arrache, qui habite le monde, qui fait corps avec d’autres instants. Un autre temps. Un autre souffle. Une autre mémoire. Le discordant.
Qu’est-ce un étranger ? Le fétiche à clous. Celui qu’on affuble parfois de toutes nos angoisses d’être dépossédés de nous-mêmes. Celui qu’on soupçonne de toutes nos défaillances. Le chargé de nos incapacités et de tout ce qui nous fait défaut. Celui qu’on soupçonne, qu’on soupçonnera encore et encore. Celui dont il faut se retrancher. Se prémunir. Garder sur le seuil. Maintenir sur le seuil. Maintenir au-delà de la ligne. La ligne qui sépare. La ligne qui maintient. Celui qui a tort d’être celui qu’il est. Celui dont on parle, dont on parle beaucoup, dont on parle à longueur de journées et de saisons mais qu’on n’écoute pas. Celui qu’on voit partout, tout le temps, en tous lieux, mais qu’on ne regarde pas.
L’étranger. Qu’est-ce l’étranger ? Celui qui, du dedans ou du dehors, a quitté un ciel pour un autre ciel. Celui qui est sur le passage. Qui est entre deux passages. Qui enjambe les passages. Celui qui veut traverser. Celui qui dans la nudité de la traversée, se fait ombre pour ne pas être visible. Ombre pour passer. Ombre qui murmure d’une lisière à l’autre. D’une frontière à l’autre. D’une vie à l’autre. Celui qui va au-devant. Au-devant du monde. Du monde inachevé. Au devant de quelque chose et qui n’a pour tout bagage que des souvenirs. Des souvenirs de ce qu’il fut. Des souvenirs de ce qu’il voulait être. Il voulait sa part du monde.
L’étranger. Qu’est-ce un étranger ? Celui qui veut entrer et qu’on veut, tantôt ici, tantôt là, sans lieu, ni place. Celui qu’on accueille aussi, parfois, à bras ouverts, l’esprit ouvert, lorsque l’hospitalité est encore de droit. Celui qu’il ne faut pas laisser dormir dehors. L’invité à la table familiale. Celui qu’on invite à demeurer. Celui qu’on prend le temps d’accueillir. De recevoir. De reconnaître. Devoir d’hospitalité, devoir d’humanité. Briser la distance. Tel Abraham accourant à l’entrée de sa tente pour accueillir l’hôte. L’hospitalité, geste élémentaire d’humanité qui grandit l’homme. L’hospitalité, risque de la porte ouverte plus noble que l’enfermement sur soi qui moisit le cœur. La rencontre. La reconnaissance. Le décentrement. La générosité.
L’étranger. Qu’est-ce un étranger ? Le reliquaire à miroir de notre âme. Celui qui dit de nous, ce que nous sommes. Qui nous sommes. Nous sommes tous des étrangers.