François Mitterrand est sans conteste l’une des figures majeures de l’histoire contemporaine de la France ; figure qui aura su porter durablement la gauche au pouvoir et engager des réformes remarquables.

Au-delà de son indéniable aura, Mitterrand aura suscité de nombreuses controverses à cause, entre autres reproches, de ses troubles liaisons avec des personnages au passé peu glorieux, tel René Bousquet. Et, ne l’oublions pas, jusqu’en 1992, le Président français fera déposer chaque année une couronne de fleurs sur la tombe du Maréchal Pétain.

L’engagement de la France au Rwanda sous l’ère de Mitterrand fait également l’objet de nombreuses critiques. «Circulez, il n’y a rien à voir à ce propos», affirment, offusqués, la loyauté sans faille, les partisans de l’ancien Président. «Faux ! La politique française au Rwanda avant, pendant et après le génocide a été honteuse», rétorquent d’autres voix.

Mais que racontent les faits ? Que d’octobre 1990 à juillet 1994, la France aura apporté un soutien militaire, politique, diplomatique, financier aux auteurs du génocide. De nombreux documents et témoignages oculaires attestent de cette collaboration. Ignorance ? Aveuglement ? Les faits montrent que ceux qui devaient savoir ce qui était en train d’avenir savaient. Qu’ils étaient au courant des croisades féroces, racialistes, haineuses des responsables politiques rwandais promettant publiquement, et ce dès octobre 1990, l’anéantissement total des Tutsis, traités de cafards. La vérité sur les massacres de Murambi, le 7 octobre 1990, des Bagowe en janvier 1991, de Bugesera en mars 1992, de Kibuye en août 1992, de Gisenyi en décembre 1993, la vérité sur ces pogroms annonciateurs de l’extermination finale, était connue, bien connue.

Alors pourquoi ce compagnonnage jusqu’au bout avec le régime rwandais de l’époque ? Pour quelles raisons cette collaboration ? Mystère. Les gardiens du temple Mitterrand plaident régulièrement… l’humanisme ! Sans la présence militaire française, avancent les admirateurs de l’ancien Président, les choses auraient été pires ! Et quel est donc ce crime plus effroyable que le génocide qui aurait été évité de justesse, et ce, grâce à la collaboration avec les génocidaires en chefs ?

D’autres évoquent, en ultime parade l’opération Turquoise. On aurait certes formé, armé, financé, soutenu les tueurs mais quand même avec Turquoise, la France a sauvé quelques Tutsis… Sauf que l’opération Turquoise est, elle-même, problématique car elle aura, en définitive, permis essentiellement de faciliter l’exfiltration vers le Zaïre des génocidaires défaits militairement.

Que l’on expose publiquement, les faits à l’appui, cette désastreuse politique de Mitterrand au Rwanda et sa garde rapprochée de hurler au scandale et à la conspiration anti-nationale, anti-France. S’agit-il de protéger, coûte que la coûte, l’image du vieux patriarche décédé ? S’agit-il, pour ceux qui étaient aux affaires à l’époque, en lavant de tout soupçon le nom de Mitterrand, de se dédouaner, par ricochet, de toute forme de responsabilité dans l’accomplissement de cet abominable crime ? Pourquoi cette volonté obstinée de faire passer pour vrai quelque chose que l’on sait faux ? Pourquoi cette volonté de relater autre chose que ce qui est arrivé ?

Il est plus que temps de sortir de ce déni est de toiser la réalité en face. Au niveau sémantique d’abord, les prises de parole de Mitterrand sur le Rwanda, Mitterrand l’homme qui pesait pourtant toujours chacun de ses mots, sont marqués par un argumentaire grossier puisant son vocale dans l’anthropologie coloniale et, par moment, faisant écho aux éléments de langage des génocidaires rwandais qualifiant les Tutsis de minorité aux velléités dominatrices opposés au bon peuple majoritaire démocratique Hutu. Qui a dit : «Dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important !» ? Mitterrand. Et qui a dit encore : «Dans ce type de conflit ne cherche pas les bons et les méchants, il n’existe que des tueurs potentiels.» ? Encore l’homme de Solutré.

Quant à la politique menée sur le terrain, ses conséquences auront été désastreuses avec des répercussions régionales qui courent encore aujourd’hui. Conséquences désastreuses humainement, lamentables durablement pour l’image de la France en Afrique et dans le monde.

Appelé à s’expliquer sur son action, le Maréchal Pétain n’hésita pas, en 1945, lors de son procès d’affirmer ceci : «J’ai toujours, et de la façon la plus véhémente, défendu les Juifs.» Jusqu’à quand certains personnages vont-ils continuer à clamer, avec obscénité, que la politique funeste de Mitterrand au Rwanda fut salvatrice pour les victimes ? Persister dans cette voie, c’est au-delà du déni de réalité, proclamer qu’aucune obligation éthique ne nous lie, en fin de compte, aux victimes du génocide.

Le Président Macron vient de décréter la journée du 7 avril, journée national du souvenir du génocide des Tutsis du Rwanda. Geste qui mime enfin, espérons-le, une réelle volonté d’aller au-devant de ce passé constamment évacué, car redouté comme on craint d’être recouvert d’un déshonneur humiliant.