Le saviez-vous ? Bruno Gollnisch est un fidèle lecteur de La Règle du jeu ! Sur son blog, le député européen livre régulièrement le contenu de ses désaccords avec les auteurs de la revue, discute et pinaille, se sert de la figure de BHL comme d’un épouvantail. En cela, le japonologue proche de Jean-Marie Le Pen est bien dans la ligne de son parti. Cela fait en effet plusieurs décennies que le Front National procède de la sorte. A longueur de tribunes et de meetings, le parti de la famille Le Pen surjoue l’opposition terriens contre cosmopolites, fait huer quelques figures honnies pour mieux signifier son identité propre, son obsession maladive pour la pureté et son rejet des élites. Il y a là comme de vieilles ficelles, quelque chose de l’ordre de l’opposition habile permettant à l’électeur d’extrême-droite de se construire sur le principe d’une opposition manichéenne. Objectivement, la méthode a porté ses fruits. Elle a permis à l’extrême-droite de s’imposer durablement dans le paysage politique français au point d’atteindre, par deux fois, le second tour de l’élection présidentielle. Mais y a tout de même un bémol… En se construisant systématiquement contre les mêmes ennemis symboliques (l’élite cosmopolite, l’univers de la banque, l’ennemi de l’intérieur, autrement dit d’habiles périphrases voisinant avec la figure du juif), la méthode pourrait également avoir ses limites et coûter des voix au néo-Rassemblement National. C’est ce qu’expliquent Jonathan Hayoun et Judith Cohen dans La Main du diable ; comment l’extrême-droite a voulu séduire les juifs de France, paru aux éditions Grasset. En évoquant l’affaire du «point de détail», les auteurs écrivent ainsi : «Bruno Gollnisch s’est toujours posé la question : “Faisons-nous 15% grâce à ce type de saillies ou sommes-nous bloqués à 15% à cause de ce dérapage ?”» Stratégique pour l’avenir, l’interrogation déchire l’extrême-droite française.

«Quarante ans durant, l’extrême droite a été l’ennemie officielle des Juifs de France» rappellent Hayoun et Cohen Solal en préambule de leur essai. Or, les temps changent… La recrudescence de l’antisémitisme et la multiplication des attentats ciblant la communauté juive de France a semble-t-il bouleversé l’ordre des priorités. Au FN comme au sein de la communauté juive, les positions d’hier tendent à s’éclipser au profit d’un nouveau vocabulaire et de nouvelles peurs. L’essai du duo Cohen Solal – Hayoun est à ce titre didactique. Étape par étape, le livre revient sur les diverses et infructueuses tentatives frontistes pour se rapprocher des institutions juives avant d’expliquer comment l’émergence de l’islamisme radical a fait germer l’idée d’un «pacte avec le diable», c’est-à-dire de constituer une alliance de circonstance avec le RN pour lutter contre un nouvel ennemi commun : le musulman supposément lancé dans une vaste entreprise de grand remplacement… En remontant le fil des décennies passées, les auteurs reviennent sur les grandes mobilisations fondatrices (Carprentras), les oppositions mémorables (notamment celles du CRIF et de l’UEJF) et des tentatives de rapprochements avec le FN, avortées in extremis. Ils rappellent quelques épisodes symptomatiques de l’époque, dont celui de l’invitation de Marine Le Pen sur les ondes de Radio J… L’affaire remonte à mars 2011. Face à la réprobation unanime des leaders juifs, l’interview ne se tiendra finalement pas. Pan sur le bec ! Au-delà de ces passes d’armes théoriques demeurent pourtant des questions très concrètes. Que se passe-t-il à Fréjus, Béziers, Marseille ou Hénin-Beaumont lorsque l’extrême-droite prend le pouvoir ? Comment les communautés juives locales réagissent-elles ? Derrière l’opposition de façade, c’est régulièrement le spectacle d’un grand découragement, d’une immense lassitude face à la montée inexorable du populisme d’extrême-droite qui se fait jour. Pour le CRIF, le Consistoire et le Grand Rabbinat les mots d’ordre sont clairs : pas de rapprochement ! Sur le terrain, la réalité diffère parfois… Au cours des dernières années, l’on a ainsi vu David Rachline se rendre à la synagogue de Fréjus ou bien encore Fabien Engelmann multiplier les signes de bonnes volontés auprès du responsable de la communauté israélite d’Hayange. Certaines digues cèderaient-elles ? La curiosité malsaine et l’attrait pour le pire feraient-ils leur œuvre ? Pas encore… «Marine Le Pen a voulu surfer sur l’inquiétude des Juifs de France face à la montée d’un antisémitisme dont elle prétendait, de surcroît, pouvoir les protéger» analysent les auteurs de La Main du Diable. De nouvelles questions se posent alors : «Le FN, devenu Rassemblement National, serait-il devenu un partenaire respectable ? Ou, tout au moins un opposant fréquentable ?» De Louis Alliot à Gilbert Collard en passant par Gilles-William Goldnadel, certaines sophistes voudraient nous en persuader. Voilà un bien curieux hold-up idéologique !


La main du diable : Comment l’extrême droite a voulu séduire les Juifs de France. De Judith Cohen-Solal et Jonathan Hayoun. Éditions Grasset. 198 pages. 17euros

Un commentaire

  1. C’est curieux mais au cours de mes déplacements à travers la France (je suis commercial) il m’est arrivé très souvent de rencontrer des Français moyens juifs, qui portaient en bandoulière leur appartenance au Front National et leur soutien affectueux et total à papa Le Pen. Pour ces familles, parfois d’origine pied noir mais pas toujours, c’était tout simple, c’était évident, allait de soi, et il n’y avait pas l’ombre d’une hésitation ni d’un doute ni d’un problème. On était français, on était patriotes, on ne voulait pas être envahis par des arabes, donc on ne pouvait voter que pour Le Pen. Pour qui d’autre? Il n’y avait pas d’autre possibilité. Où alors on etait des mauvais Français. Quand je leur demandais ce qu’ils pensaient de leurs coreligionnaires pour lesquels Le Pen c’est très dangereux, quasiment c’est Hitler, le diable, etc., j’ai toujours remarqué l’incompréhension totale de ces Juifs envers ce genre d’attitudes. Mes interlocuteurs haussaient les épaules, faisaient des sourires entendus, riaient, se montraient plein de commisération si ce n’est de colère pour ce qui leur semblait des aberrations au mieux des enfantillages. Il me semble que cette façon de voir les choses est très répandue chez les Français juifs de la classe moyenne, peut-être même majoritaire. Enfin je ne sais pas. Je peux me tromper. Mais personnellement c’est mon expérience vécue.