C’est à l’appel de quatorze partis politiques, rejoints par des associations, qu’a été lancée la manifestation «Ça suffit». Le rendez-vous est ce soir à 19h place de la République pour Paris, et il y en aura beaucoup d’autres un peu partout en France.
À l’annonce de cet appel nous avons été parcourus par une vive émotion. Enfin une réaction à la hauteur de l’enjeu ! Pendant si longtemps nous nous étions sentis bien seuls à dénoncer l’antisémitisme et à battre le pavé pour dire notre détermination à le combattre.
Nous avons inlassablement marché dans la rue à chaque fois que cela a été nécessaire. Non pas par on ne sait quel prétendu réflexe communautaire. Mais parce que nous avons l’absolue conviction que nous défendions ce qui devrait être le plus commun entre les hommes et le plus universel : la dignité, le respect de l’Autre, la tolérance, la capacité de vivre ensemble.
Nous avons marché avec les valeurs de la République chevillées au corps, comme en leur temps des Français ont défendu le capitaine Dreyfus, conscients qu’ils furent de l’urgence morale et nationale que cela représentait.
Nous avons marché car nous savons que ce qui est en jeu dépasse le simple phénomène haineux. Nous savons en effet que l’antisémitisme est un révélateur de l’état de nos démocraties, et quand bien même nous savons aussi qu’il est peu probable qu’on trouve jamais un vaccin totalement efficace contre la passion antisémite, combattre et endiguer celle-ci est indispensable à l’humanité. On sait trop bien ce qu’il en advient lorsque l’antisémitisme devient une force déchaînée.
Nous avons hélas été trop souvent bien peu nombreux, et presque toujours les mêmes, à défiler alors que nous espérions pourtant une indignation nationale en réponse aux assassinats antisémites qui se sont répétés ces dernières années. Nous clamions que ces abominations étaient autant de coups portés à notre modèle de société, à notre pays tout entier. Et nous étions stupéfaits et choqués de ce que l’écrasante majorité de nos concitoyens français ne s’en rende pas compte.
Nous avons au contraire vu se développer des discours pervers occultant la réalité de la montée en puissance de la haine anti-juive, des discours favorisant la passivité quand ils ne justifiaient pas à demi-mot les violences, cris et écrits contre les Juifs. Ces discours, nous ne les oublions pas. Nous n’oublions pas non plus les pseudo-explications sociologisantes ou «géopolisantes» justifiant l’injustifiable.
Quel malaise nous avons ressenti en constatant que l’universalité du combat que nous menions n’était que si peu partagée ! Et comment ne pas être glacé d’effroi en observant qu’une partie des Français a aujourd’hui glissé dans une autre réalité où les fake news forment les opinions sur le cours du monde, où les théories conspirationnistes servent à fournir une rationalisation délirante aux événements, une réalité «alternative» dont on conclut que la démocratie doit être rejetée car ce serait elle qui aliène et oppresse.
Le mouvement des Gilets jaunes y est particulièrement poreux. La récente étude de l’Observatoire du conspirationnisme et de la Fondation Jean Jaurès, menée par l’IFOP, a révélé qu’un Gilet jaune sur deux ne croit pas en la version officielle de l’attentat de Strasbourg ; et qu’un Gilet jaune sur deux croit en l’existence d’un complot sioniste mondial. C’est au sein et en marge du mouvement que nous avons vu fleurir de nombreux slogans et inscriptions antisémites, jusqu’à l’agression du philosophe Alain Finkielkraut.
Ce n’est qu’après cet enchaînement d’incidents graves et à l’annonce de l’augmentation de 74% des actes antisémites en France pour l’année 2018 que l’appel «Ça suffit» a enfin été lancé. Il arrive tardivement, mais il indique qu’une prise de conscience large a eu lieu.
Alors oui, évidemment, AJC Paris se félicite de ce sursaut et appelle à une mobilisation massive en ce mardi 19 février.
Certains amis militants s’irritent car ils voient plus ou moins dans cette initiative une sorte d’auto-réhabilitation de la part de certaines forces politiques qui de leurs silences coupables à l’égard de l’antisémitisme veulent s’absoudre. Il sera toujours temps d’y revenir. Tout comme il faudra demander des comptes à ceux qui ont préféré se rassembler ailleurs pour s’en prendre avant tout à ce qu’ils considèrent comme une «instrumentalisation» du refus de l’antisémitisme.
La prise de conscience nationale que traduit le «Ça suffit » de ce jour permettra, souhaitons-le, la compréhension profonde qu’il est nécessaire d’aller plus vite et plus loin dans l’action contre l’antisémitisme : il faut non seulement se donner les moyens d’amplifier les politiques mises en place afin d’atteindre l’intégralité du territoire national, mais aussi s’attaquer de manière très concrète à ces formes d’antisémitisme mal dissimulé que certains nourrissent, que beaucoup préfèrent encore ignorer et que nous ne savons pas encore bien combattre.
Le débat qui s’annonce sur la question de l’antisionisme devrait d’ailleurs permettre de tracer des lignes très claires. AJC milite depuis longtemps déjà pour que la «définition de travail de l’antisémitisme», cette base permettant précisément de caractériser l’antisionisme, déjà adoptée par le Parlement européen ainsi que par plusieurs de ses Etats membres, soit également adoptée par la France. Nous poursuivrons ce combat.
En attendant, si une partie de la France est entrée dans ce que l’écrivain Marc Weitzmann a nommé «un temps pour haïr», il est un temps, au moins ce soir, contre la haine.
Et l’on s’inquiète qu’en France, on puisse être exfiltré d’une manifestation parce qu’on est femme — les mâles en gilet jaune sont-ils seuls concernés par l’allergie aux ambitions représentatives d’Ingrid Levavasseur? — ou que l’on est de conf… euh… de… comment dire… Hum! Parce que l’on est juif. Vous voulez dire d’origine juive? Le philosophe et académicien français Alain Finkielkraut fait partie de cette race d’homme qui entretient avec la religion de ses ancêtres une relation libre de toute obédience. Or nul n’oserait contester le fait qu’il fut visé par un islamiste en tant que Juif, déchu de sa nationalité par la République islamique de France dans laquelle évolue une partie, impossible à recenser, de notre communauté nationale. Comment l’union sacrée ne s’impose-t-elle pas contre un mal qui, de son côté, frappe indistinctement l’objet de son hideux fantasme? Eh bien, peut-être faudrait-il commencer de s’interroger sur le risque de désintégration auquel serait exposé l’État de conscience si nous laissions tranquillement faire peau neuve des courants politiques ayant une lourde part de responsabilité dans l’engraissement de la Bête immonde. Oui, l’indigénisme anticolonialiste est un vilain oxymore nécrophage dont les solides racines idéologiques, si elles n’ont effectivement rien à voir avec celles de la gauche, ont néanmoins permis aux orphelins de l’ère soviétique d’en transplanter l’organe vital dans leur corpus honteux et moribond. Oui, Le Pen fille dégagea le criminel récidiviste qui l’avait enfantée, mais après combien de décades à se rendre complice de ses dérapages contrôlés, lesquels lui permettraient de fidéliser cette grosse clientèle face à laquelle les Juifs du pape de la gauche unifiée avaient vainement tenté de réfuter, en acte, les paradigmes maurrassiens? Le Haskaliste n’aidera jamais l’ordre du Temple à réparer sa structure insalubre dans l’espoir de tirer avantage d’un Saint-Office de l’Inquisition de France revigoré par sa victoire sur la califat de Paris. Le seul rassemblement durable qu’on le verra prôner a vocation à propager la lumière d’une République ancrée dans une histoire qui, rétive à toute notion d’interchangeabilité, n’en défend pas moins des principes requérant un espace de pluralité propre à recueillir l’épanchement continu des universaux.