Le 5 octobre dernier, le Sénat a endossé une résolution consacrant la définition de travail de l’antisémitisme telle que formulée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA)[1]. Pour rappel, ce texte expose pour la première fois, à travers une série d’exemples, la haine antisémite liée à celle d’Israël. Après son adoption par l’exécutif et l’Assemblée nationale en 2019, plusieurs villes s’en sont également saisies – Paris, Nice, Strasbourg, Mulhouse…En multipliant son adoption par ses institutions et représentations nationales et locales, la France témoigne de sa détermination à combattre le fait antisémite sous toutes ses formes, anciennes et « modernes »[2], et fait figure de modèle en Europe et dans le monde.

« C’est purement symbolique », diront les uns, « n’est-ce pas déjà trop tard ? », s’interrogeront les autres. Il faudra, bien sûr, prolonger et approfondir ces avancées. Pour l’heure, à observer les surenchères nationalistes de ce début de campagne présidentielle, définir l’antisémitisme encore et, par là-même, redire aussi ce que nous sommes[3], me semble particulièrement décisif.

L’adoption de la définition de l’IHRA reflète deux avancées majeures dans le combat contre l’antisémitisme. Mettre fin à l’aveuglement face à la « nouvelle judéophobie », notamment au sein de la gauche, n’a pas été chose aisée. La gauche extrême continue d’ailleurs à fermer les yeux, cultivant un antisionisme profondément ancré dans son idéologie et celle des milieux qu’elle rallie – indigénistes et autres « décoloniaux ». Il aura fallu plus de vingt ans pour que l’antisémitisme antisioniste soit reconnu et identifié comme tel, sinon par tous, du moins par nos derniers gouvernements[4]. L’adoption nationale de la définition de l’IHRA dit aussi la progressive prise de conscience que l’antisémitisme ne concerne pas seulement les Français juifs mais la société française dans son ensemble, ce que confirme notre « radiographie de l’antisémitisme en France » publiée en janvier 2019 avec la Fondapol : 73% des Français dans leur ensemble et 72% des Français de confession ou de culture juive partageaient cet avis. C’est une évolution positive des mentalités et c’est aussi une meilleure compréhension du « fait juif ». Or, celui qui n’est pas, à l’heure où ces lignes sont écrites, encore candidat, semble prêt à faire voler ces progrès en éclats.

Eric Zemmour redonne des habits neufs à l’accusation antisémite de double allégeance

En revenant sur le massacre de l’école Hozar Ha Torah avec un parallèle obscène entre le choix du lieu de sépultures du terroriste et de ses victimes[5], Eric Zemmour redonne des habits neufs à l’accusation antisémite de double allégeance en même temps qu’il nie la possibilité de voir vivre, en l’être juif, un élément majeur et constitutif de son identité : l’attachement à Israël. Mais l’accusation à l’encontre des Juifs de ne pas être de « vrais Français » est d’ailleurs bien plus ancienne que la création d’Israël. Pendant des siècles, on a accusé les Juifs d’être cosmopolites, sans patrie et seulement fidèles aux autres Juifs. Au Moyen-Âge, on les accusait d’avoir volontairement répandu la peste noire en empoisonnant nourriture et puits. À la fin du XIXème siècle, cet antisémitisme fut particulièrement criant lors du procès Dreyfus : en tant que Juif, le capitaine Dreyfus fut érigé en traître par nature à la nation française. Il fallut des années de combat aux dreyfusards pour faire reconnaître son innocence.

Depuis la création de l’État d’Israël, on accuse les Juifs de la diaspora d’être avant tout fidèles, en le dissimulant plus ou moins, aux intérêts d’un autre État que celui auquel ils appartiennent – Israël donc. Eric Zemmour voudrait bien faire renaître un sentiment de culpabilité chez les Français juifs du fait de ce qu’ils sont, Français et juifs – avec tout ce que cela comporte d’attachements multiples, à des degrés divers, culturels, religieux et, oui, aussi, qu’il le veuille ou non, nationaux. Dans cette même opération, Eric Zemmour voudrait bien aussi soustraire à l’antisémitisme des accusations qui lui semblent finalement, si on suit son raisonnement, justifiées. Un peu comme Dieudonné s’y est attelé au moyen de la concurrence victimaire et d’un antisémitisme débridé au début des années 2000, Zemmour parviendrait à acquitter une catégorie d’antisémites, à leur ôter toute culpabilité. Au nom de quoi ? D’un modèle assimilationniste napoléonien (dont l’esprit avait été annoncé dès 1789 par le comte de Clermont-Tonnerre avec cette formule restée célèbre : « tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ») idéalisé au point d’en faire une sorte de nouvelle idéologie. En effet, tout, y compris la vérité historique, doit être mis au service de sa thèse. Pour mieux réhabiliter l’accusation de double allégeance[6], Eric Zemmour n’hésite pas à sombrer dans le révisionnisme[7]. Pas étonnant qu’il se soit exprimé contre les lois Gayssot (1990) et Pleven (1972), punissant respectivement la contestation de crimes contre l’Humanité et l’incitation à la haine raciale. Ce ne sont donc pas aux 20 ans mais en réalité aux cinquante ans de combats menés pour faire avancer la lutte contre l’antisémitisme que le populisme de Zemmour pourrait mettre un coup d’arrêt.

Il voudrait purger la France de son antisémitisme et avec lui laver l’identité juive de ce qui le dérange. Car finalement, si on traduit sa pensée, n’exprime-t-elle pas l’idée que, après tout c’est vrai, pourquoi nous sommes-nous indignés de voir si peu de Français non-juifs dans les rues après les attentats de Toulouse puisque ces enfants assassinés n’étaient pas si français ? Énième recul auquel Eric Zemmour nous invite – l’antisémitisme redevient, bel et bien, le problème exclusif des Juifs. Cette musique est un poison : un des antidotes à notre disposition demeure cet autre de nos attachements, fondamental, à la lettre et à l’esprit : dire et redire, avec tous les mots qu’il faut, l’être juif ; expliquer, définir et faire appréhender toute la haine dont il est objet.


[1] Élaborée en 2005 par un groupe d’experts du Centre de contrôle européen sur le racisme et la xénophobie, aujourd’hui Agence des droits fondamentaux de l’UE et adoptée en 2016 par les États-membres de l’Alliance internationale pour la Mémoire de l’Holocauste, cette définition a été ensuite endossée par l’OSCE, le Parlement européen, le Conseil de l’UE, vingt-cinq États européens à l’échelle nationale, et recommandée par la Commission européenne et les Nations-Unies. 

[2] Il faut ici rappeler que ce que Pierre-André Taguieff a analysé comme la « nouvelle judéophobie » dépeint ce nouveau phénomène, qui, au nom d’un antiracisme dévoyé, fait des Juifs les nouveaux « racistes », et plus loin, les nouveaux « nazis ». Les accusations faites aux sionistes, mis pour Juifs, sont quant à elles bien plus anciennes : il faut remonter à l’époque soviétique, dans les grands procès staliniens, les membres du Parti communiste d’origine juive étaient d’emblée catégorisés comme « sionistes ».

[3] Ou dans le sens inverse d’ailleurs ! selon que l’on adopte ou non la thèse sartrienne selon laquelle, pour aller vite, « c’est l’antisémitisme qui fait le juif ».

[4] On pense aux déclarations successives de Nicolas Sarkozy, François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron sur les liens manifestes entre antisémitisme et antisionisme.

[5] « La famille de Mohamed Merah a demandé à l’enterrer sur la terre de ses ancêtres, en Algérie (…). On a su aussi que les enfants juifs assassinés devant leur école confessionnelle de Toulouse seraient, eux, enterrés en Israël. Les anthropologues nous ont enseigné que l’on était du pays où on est enterré (…). Assassins ou innocents, bourreaux ou victimes, ennemis ou amis, ils voulaient bien vivre en France, “faire de la garbure” ou autre chose, mais pour ce qui est de laisser leurs os, ils ne choisissaient surtout pas la France. Étrangers avant tout et voulant le rester par-delà la mort », écrit Eric Zemmour dans son dernier ouvrage La France n’a pas dit son dernier mot (2021).

[6] Dont il faut rappeler qu’il a lui-même été victime : le 28 novembre 2018, Rivarol titrait en couverture : « Eric Zemmour, nationaliste français ou juif travaillant pour Israël ? ».

[7] Voir sa déclaration le 26 septembre dernier sur Europe 1 et Cnews : « Vichy a protégé les Juifs français et donné les Juifs étrangers ».

4 Commentaires

  1. Faux ! Zemmour ne parle pas des juifs … mais des français! Point c’est
    facile de lui faire dire ce qui n’a pas dit. Otzar hatorah … encore une fois il ne parlait pas des juifs ou du juif … mais du fait que TOUS ceux qui quittent la France pour ce faire enterrer ailleurs n’avaient en quelques sortes pas réellement d’amour pour la France… on peut le critiquer… il exprime des idées d’attachement avec la France et il est obligé de clarifier sur une assimilation à la culture française… et c’est normal. Il est un juif assimilé… assimilé à quoi ? À la culture française! Même chose avec Pétain… il parle des français et non des juifs ! Cela peut être critiqué mais il ne parlait pas des juifs. Dans son esprit Pétain à sauver des français juifs … mais d’abord français. Et ceci pour toutes autres idées exprimées par Zemmour…

  2. Les deux seules fois où l’extrême droite parvint à se qualifier pour le second tour d’une élection présidentielle sous la Cinquième, la gauche tenait les rênes ; la première fois à Matignon, la dernière fois à l’Élysée. Entre 2002 et 2007, la réélection du piètre réducteur de la fracture sociale allait déboucher sur un affrontement entre droite et gauche. Quant à la détonante victoire de Nicolas Sarkozy, elle permettrait à un Parti socialiste conscient de la prévalence de l’appel du 18 juin sur le système des partis dans tout contexte géopolitique où le pluralisme nous condamnerait à l’immobilisme, de réaccéder à la fonction suprême, et ce, non sans avoir profité d’une crise économique ayant fait vaciller l’empire de la finance et ses vassaux.
    Sarko ne rimait donc avec nazi que dans l’esprit d’une gauche totalitaire n’ayant jamais cessé de renforcer le camp nationaliste depuis la globalisation économique du monde libre. Ce faisant, la désétanchéisation du camp républicain sonnerait le glas pour la droite honorable, comme elle le ferait au même moment avec la gauche déboussolée ; or nous savons qu’un navire de guerre tel que peut l’être un phare politique bicentenaire, ne résisterait pas longtemps à une mutinerie qui se solderait par la réduction de moitié de son équipage. Et donc oui. Si un leader de la droite républicaine se déclarait partant pour un ticket avec le bloc nationaliste devant l’alternative d’un rapprochement avec le centre-gauche qui lui répugnerait, la droite républicaine devrait prendre ses responsabilités vis-à-vis d’un représentant du peuple qui aurait pris les siennes en s’excluant de facto de sa propre famille politique.
    Mais ceci vaut pour vous, Madame, et nous fondons beaucoup d’espoir sur le leadership d’une fille et petite-fille de républicains espagnols dans la voix de laquelle j’entends cicatriser l’œil du Chien andalou et se former le satellite des humbles éclaireurs qui se sont confrontés au fascisme réel. Car nous ne vous cachons pas que, depuis quelque temps, notre phénix éprouve quelque difficulté à rassembler ses cendres. Nous comprenons que l’Union de la gauche soit demeurée un totem pour toute une génération à laquelle nous devons la révolution sociétale de mai 81. Sauf que, dix ans plus tôt, il était possible de réunir autour d’une même candidature des personnalités qui avaient combattu le pire ennemi que la France eût jamais eu à affronter, des vétérans tels qu’Aragon ou Mitterrand, dont la capacité à mettre leurs querelles idéologiques de côté avait rendu possible leur participation active à l’anéantissement du Troisième Reich.
    Aujourd’hui, le fascisme le plus mortifère, c’est la démocrature des pan-nationalismes en voie de développement, le djihadisme armé et désarmant, le double discours de ses branches politiques, le double visage de ses sociétés écrans. Aussi, quand le Premier secrétaire/Premier ministre Jospin, ou quand le Président Hollande, en appellent au rassemblement des gauches, ressentons-nous leur prise de position comme un coup de poignard dans le dos dès lors que cet appel intervient en temps de guerre — « Ah, ça y est ! on va bientôt avoir droit au Grand Remplacement ! » — et qu’une gauche décoloniale pro-terroriste qui légitime avec obstination la Reconquista islamica tapie dans l’herbe panarabe, une gauche qui voit dans la dénonciation d’un islamogauchisme complice de l’entrisme islamiste l’exhumation de la figure du bouc-émissaire judéo-bolchevique, que cette gauche identitaire, dis-je, ne partage plus avec la gauche de Blum et de Jaurès la volonté de propager au plus grand nombre un antidote universel qui put jadis polariser les Français libres et les FTP-MOI autour d’une cause commune. Quand on se veut Brossolette, mieux vaut éviter de se faire des papouilles avec Déat.

  3. Elkrief évoque l’éventualité d’un péché par angélisme de la gauche sur des questions comme celle de l’immigration qui creuseraient un boulevard à l’extrême droite. Hollande sort les cartes Valls et Cazeneuve, lui rappelant qu’à l’époque, l’actuel président de la République leur reprochait à tous les trois leur fermeté dans le domaine régalien — à tort ou à raison, la défense de la souveraineté est jugée antinomique avec la notion de progrès — avant qu’il ne se fût lui-même durci le cuir en se frottant aux enjeux de civilisation.
    Réagissant à l’interview de l’ancien Président, le conseiller régional Kalfon se voit soumettre le modèle valssien d’une gauche républicaine. Ne semblant pas désarçonné, il défourre sa réplique, feignant n’avoir plus de nouvelles de l’ex-chef du gouvernement français depuis son épopée quichottienne en Catalogne ; en creux, il enjoint l’homme qui, par son choix entre les deux tours de l’élection de 2017, avait rabattu vers Macron cette partie de l’électorat social-démocrate qui n’acceptera jamais qu’on le marie de force à l’islamofachosphère, à s’expulser de nouveau vers son pays natal. À cette gauche républicaine, — gare au brûlement des langues de bois ! — le Parti socialiste préfère une sociale-démocratie de nouvelle génération — est-ce à dire une sociale-démocratie woke, sous perfusion de cancel culture — sur la vague de laquelle Hidalgo compte surfer jusqu’à la crête élyséenne. Pilat en profite pour l’extirper hors de sa zone de confort et le confronte à ce modèle social-démocrate qui réussit en l’occurrence à reconquérir le pouvoir dans l’UE, à l’image d’un gouvernement danois ayant scotché sa famille politique en renvoyant plusieurs centaines de candidats à l’asile dont les terres de provenance pacifiées ne leur permettaient pas de prétendre au titre de réfugiés. OK, mais Kalfon insiste. D’après lui, on ne sauvera pas la gauche en l’incitant à adopter des mesures d’extrême droite.
    Ferrari arrache les apparences d’un consensus entre le Nouvel Ancien Monde et la gauche universaliste, quant à la nécessité de rétablir l’autorité de l’État là où le refus d’obtempérer gangrène le vivre-ensemble républicain. Mais alors que Pina ne se résout pas à laisser croupir dans un cachot de la Bastille décoloniale la question de l’instrumentalisation de la justice par les tenants d’un islamisme rampant qui dissémine ses étendards dans l’espace public tel qu’édicté par l’article d’une loi hostile que l’on a vu reprendre du poil de la Bête dans cet Afghanistan où l’on peut de nouveau décapiter une gamine de 13 ans sous prétexte qu’elle persiste à jouer au volley-ball, — nous n’en sommes pas là, mais la talibanisation des esprits n’en est pas moins en marche, — Thevenot fronce les sourcils, de dédain ? ou n’était-ce pas plutôt de dégoût… allez, on dira d’incompréhension, accusant son interlocutrice d’embourber le débat dans le champ marécageux de l’islamophobie — si elle s’abstient de prononcer le mot, on ne voit pas bien à quelle autre névrose nationale elle pourrait faire allusion — à partir d’un thème portant sur les manquements systémiques aux règles de civisme qui n’était pas censé déborder le cadre de la petite délinquance, — et pourquoi pas d’un èthos générationnel, tant qu’on y est !
    Le Président normal déplore, à gauche, une ribambelle de candidatures lilliputiennes. Roussel renvoie dans ses cordes le recruteur du Président anormal, pointant son tout petit bilan. Sans vouloir le froisser, Hollande lui demande de reconnaître que ce n’est pas avec 2 % d’intentions de vote qu’on se qualifie au second tour. Pendant ce temps, Zemmour devance Le Pen et se qualifie, dans les sondages pour la présidentielle, en tant qu’ébranleur potentiel de quelques-uns des principes fondamentaux de l’État de droit français.

    • P.-S. : Lors de son intronisation, Anne Hidalgo a défini sa candidature comme refusant la capitulation identitaire. Paraît-il, en visant la droite. Peut-être était-elle d’humeur à jouer sur l’ambiguïté…