Dirons-nous, dirons-nous un jour, le cœur dépité de regrets, mais, misère de misères, que nous est-il arrivé? Le temps n’est plus de roses, le ciel n’est plus de bleu, l’hiver est tombé.

Dirons-nous un jour, les soirs de lassitude, arrachés à la quiétude, ne sachant plus où donner de la tête, mais que s’est-il passé ? Comment avons-nous pu laisser passer ces choses ? L’horloge tard sur le cadran, l’identité en shoot, la terre se fragmentait à l’heure de l’obscurité ; le jour allait goûter la poussière ; et à chaque dépouillement, pauvres de nous, la pensée figée en salle d’attente à sourire sur l’air du temps, nous nous racontions que ce n’était là que faillite de façade.

Tard. Trop tard. Tout sera arrivé. Le destin tournoyant de matins sans soleil, l’histoire aura tourné. Mal tourné. La terre attirée vers le bas, l’heure d’une autre époque aura sonné. Dans le silence de l’hiver, le ciel à l’envers, nous serons d’une autre humanité. Dans nos mémoires, danserons encore quelques lueurs lointaines du temps où nous avions le droit d’être ceux que nous voulions être. L’esprit était de hauteur. C’était le printemps. C’était avant l’hiver. C’était avant le basculement.

Dirons-nous, les jours en calvaire, candides à gogo, pauvres naïfs, mais que croyons-nous? Que la démocratie était une rente à usage illimité, sans délai de péremption? Que personne n’aurait plus le pouvoir de nous interdire d’être vivants et libres ?

Il suffisait pourtant de lire les signes du moment : la déraison, les muscles revigorés de troupes fraîches, était la pesanteur du jour. Le temps était malade de vibrations négatives, rouillé de froideur pénétrante. Les démagogues paradaient suivis de suiveurs. Les charlatans avaient le vent en poupe. La vulgarité était de mode. La violence était l’organe. La parole se nourrissait de violence. Le brouhaha était général. Le vacarme jacassait, jugeait, décidait, imposant la laideur comme norme suprême. La raison tenait de l’apparat du nombre.

Et, repoussant la bassesse se conjuguant dans toutes les langues, atteints de commotions, nous nous prélassions sur nos rêves. Le passé claquait la porte, recommençait et nous avions le regard enfumé de déni. Régnait la paix, régnaient les libertés, régnaient les lumières.

Dirons-nous, dirons-nous un jour, on ne choisit pas l’époque de sa naissance mais à notre âge, bandeau de fleurs sur la tête, nous marchions dans nos vies comme des fantômes refusant de croire que sur notre présent et sur nos descendances, le ciel dans son extravagance redeviendrait sauvage. La liberté aura fait ses valises. Nos jours seront des nuits. De longues nuits glacées. L’obscurité se sera jouée de nous. Nous regretterons les mots que nous n’aurons pas su dire, les gestes que nous n’aurons pas eu le courage de poser, la tâche à accomplir que nous n’aurons pas accomplie. Car légions occupées aux heures de pointe par les chemins de chimères.

Dirons-nous un jour, que s’est-il passé ? On vivait normalement. La terre n’était pas un paradis mais le Mur de Berlin était tombé. Pinochet n’était plus. L’apartheid avait été terrassé. Et la démocratie était souveraine.

Mais quelque chose en multitude était en marche… Des idées grégaires sans lumière, des idées hallucinées de mauvaise humeur, des idées nées d’une autre époque. On avait beau savoir, la mémoire naufragée, on avait choisi d’oublier. La peste était là. La haine était de culture quotidienne. Elle fut votée de masse. Le scrutin eut lieu.

Dirons-nous un jour, le lendemain sans avenir, mais que s’est-il passé ? Dirons-nous un jour, nous n’avons pas su décider de ce que devait être notre fortune. L’histoire aura tourné, tourné dans le mauvais sens.