Un spectre hante le monde : le spectre du populisme. Quels sont les traits génériques de ce mal politique qui revêt de plus en plus un caractère mondial ? Au-delà de la pluralité des contextes, des réalités, des idéologies et pratiques politiques souvent très différents que recouvre – d’un pays à l’autre – le développement de ce phénomène ? Y aurait-il des éléments transversaux communs aux figures représentatives du populisme ? Qu’est-ce qui caractérise un leader populiste en campagne et au pouvoir ? Quelle est sa vision du monde, ses postures, son langage, sa pratique politique ? Eléments de réponse tirés de l’observation de cas de national-populisme.

1 – Le populiste joue toujours sur le ressentiment, la victimisation et la recherche de boucs-émissaires. Dans son entendement, la source de tous les problèmes, c’est toujours l’autre ; ce sont toujours les autres.

2 – Le populiste stigmatise, montre du doigt, criminalise délibérément des groupes cibles jetés en pâture à la vindicte populaire. Il sème, cultive, nourrit, libère les haines, polarise, clive, divise la société, mobilise les passions tristes et élève la fureur en obligation nationale.

3 – Le populiste s’amuse à remuer les peurs collectives, les angoisses, les rancœurs suscitant l’éclosion et le déchaînement de pulsions primaires.

4 – Le populiste subjugue, ensorcelle les foules, faisant croire à la multitude charmée, qu’il est venu en sauveur suprême, pour offrir à chacun la possibilité historique de prendre part à une grande aventure de régénération collective.

5 – Le populiste revendique, fabrique, dessine de toutes pièces une identité collective originelle, «pure», purificatrice, fusionnelle, fantasmée, racialiste, discriminatoire qui serait menacée par la modernité.

6 – Le populiste se saisit, s’empare de la mémoire collective, la fracture, la manipule, la triture à sa guise. Il parle de filiation, d’hérédité, de sang, de biologie, proclame la nation issue d’une même naissance et promeut une identité nationale close, éternellement figée, à protéger à tout prix.

7 – Aux foules sans présent ni avenir économique réjouissants, le populiste propose en antalgique, le monde d’hier, temps perdu qui serait par essence grandeur et âge d’or épique à restaurer, à ressusciter.

8 – Le populiste s’évertue à tripatouiller, raturer, effacer, falsifier et réécrire l’histoire pour la transformer en roman totalitaire assujetti à la haine de l’autre. Les sources, la chronologie des événements, les faits sont remis en cause pour être pliés à des objectifs politiques.

9 – Le populiste rassemble en excommuniant : il se pose en représentant du «vrai peuple» dont il s’arroge le droit exclusif de définir la composition et la recomposition. Sont exclus de son «vrai peuple plein de bon sens» et «propriétaire légitime et premier du pays», toutes les figures de l’altérité. Le populiste dépolitise le peuple pour l’ethniciser.

10 – Le populiste ne tolère ni l’altérité, ni la pluralité. Il n’aime ni les étrangers, ni les minorités, ni les élites et ne supporte pas le pluralisme : tout adversaire politique est forcément à ses yeux un ennemi, un traître à la nation, un agent de l’étranger à réduire, à éliminer.

11 – Le vocabulaire fermé, circulaire, violent, le populiste fustige «l’establishment», «le système» et idéalise «le pays réel» et le «vrai peuple». Il se pose en incarnation de la volonté populaire brimée, opprimée par les élites.

12 – Le populiste fustige, vilipende, disqualifie les élites accusées de constituer une caste illégitime, corrompue, profiteuse, détachée des réalités et porteuse de décadence. Dans son discours, le peuple érigé en figure mythique serait du côté du bien et les élites du côté du mal.

13 – Le populiste méprise viscéralement les intellectuels : ceux qui s’intéressent aux idées, ceux qui s’adonnent à la vie de l’esprit, ceux qui cherchent, analysent, créent, proposent, ceux qui aident à interpréter la marche du monde, à démonter et exposer les mécanismes de la production du mal, des servitudes, des souffrances, des injustices, de la violence, des humiliations, n’auraient aucune légitimité pour apporter leur éclairage au débat public. Pis : ces cosmopolites mélangés seraient des manipulateurs, des tricheurs à la botte des puissants. Heureux, clame le populiste du haut de ses certitudes, heureux les âmes simples à l’écoute du leader bien-aimé.

14 – Adepte des théories du complot, le populiste réduit le déroulement de l’histoire des hommes à un complot universel, éternel et permanent. «On» nous dissimulerait des choses ! Résolu à installer, à colporter, à diffuser, à instiller le soupçon, la méfiance, l’hostilité, le populiste se présente en élu clairvoyant révélateur de complots mystérieux manigancés dans l’obscurité par une minorité occulte, maléfique, morphologiquement, culturellement ou socialement identifiée et menaçant le «vrai peuple». Il serait celui qui sait tout et énoncerait tout haut à la place du peuple ce que le peuple ne saurait pas.

15 – Aux problèmes complexes du monde, le populiste oppose des réponses simplistes, rudimentaires, péremptoires. Il s’adresse aux souffrances quotidiennes des hommes et femmes en difficultés en désignant à leur ressentiment comme source de toutes leurs misères ceux qui viennent d’ailleurs ou d’autres groupes tout autant vulnérables qualifiés d’assistés et de parasites.

16 – Tel un fanatique religieux, le populiste, inquisiteur, ambitionne de légiférer jusque dans l’intimité de chacun et de chacune, brutalisant et écrasant la singularité des individus réduits à l’état de simples rouages du collectif national.

17 – Le populiste ne porte pas dans son cœur les libertés individuelles et ne tolère ni la parole libre ni l’esprit critique. Il s’emploie activement à détruire toutes barrières protégeant les personnes dans leur individualité et leur intimité. Toute autonomie individuelle de pensée ou d’action est irrecevable dans son univers mental. Les hommes doivent être domptés, soumis, sans volonté ni raison. La domination totale, la zombification des individus demeure l’un de ses objectifs majeurs.

18 – Le populiste ne supporte pas les droits des femmes. Il porte la main sur les droits des femmes à disposer librement de leur corps, à mener une vie sexuelle sans coercition ni violence, à décider librement d’avoir ou non des enfants, à accéder gratuitement et anonymement à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse.

19 – Le populiste ne gouverne pas, il asservit ; il ne sert pas le droit, il s’attribue tous les droits ; la démocratie sans état de droit, telle est son utopie.

20 – Le populiste œuvre à redéfinir, à reconfigurer la démocratie. S’il ne la rejette pas publiquement et s’en réclame même, il la vide de sa substance, n’en retenant que la façade pour l’utiliser comme paravent juridique légitimant la destruction des libertés et droits civiques.

21 – Le populiste déteste les institutions libres, les contre-pouvoirs, les médias ; il ne supporte pas, ne tolère aucune institution intermédiaire entre lui et son «vrai peuple». Il se revendique en rapport pur permanent avec le peuple.

22 – Le populiste se dit toujours en mission sacrée pour le bien du peuple au nom duquel il agirait. Pour lui, ne compterait que la légitimité plébiscitaire populaire. Mais s’il adore recourir au vote populaire, c’est moins pour redonner la parole au peuple que pour conforter et étendre son propre pouvoir. Le populiste se veut toujours souverain au fondement de toutes les lois et au-dessus de toutes autorités temporelles de la terre.

23 – S’il proclame à tout bout de champ, la souveraineté populaire comme seule et unique référence, le populiste est en vérité à son propre service. Il flatte le peuple pour mieux le dominer et finit toujours par évincer la démocratie à l’ombre de la souveraineté populaire hautement brandie en drapeau.

24 – Le pouvoir conquis et consolidé, le droit dégradé, le discours majoritariste, les pleins pouvoirs acquis, le populiste, non empêché, glissera naturellement de l’autoritarisme à la dictature totalitaire.

25 – Sans programme cohérent digne de ce nom, ni tenu par l’exigence de résultat ou l’obligation de rendre compte, le destin du populiste est de tout détruire sur son passage : l’économie, les institutions, l’être-ensemble, la vie… Il saccage, brûle, rase tout pour demeurer, durer au pouvoir…

26 – Le populiste glorifie la force et la violence, brutalise la parole, moleste la loi, cogne sur la civilité sans retenue, justifiant toujours le recours à la violence totale comme une normalité hygiénique, comme un acte de salut public.

27 – Le populiste écrase non seulement la liberté et le droit mais également la vérité. N’hésitant pas, au mépris de toute évidence, à contester parfois jusqu’à la matérialité du réel, il nomme sans vergogne mensonge tout ce qui ne va pas dans le sens de ses intérêts : ne serait valable comme réel que seul, ce que lui énonce.

28 – Le populiste est un véritable pervers narcissique qui s’amuse en permanence à renverser le sens des mots. Il tue le réel, tue l’éthique, tue le droit, tue le langage avant un jour, si seul au contrôle de tout, de tuer la vie.

29 – Allergique, hostile à l’universalisme proclamant l’égale dignité de tous les hommes, le populiste rêve d’un monde sans droits de l’homme. Il ne reconnait pas les droits de l’homme comme héritage inaliénable commun à toute l’humanité, octroyé à chaque individu dès sa naissance.

30 – Pour le populiste, toute critique portant sur l’application des normes universelles en matière de droits de l’homme, serait l’expression d’une conspiration internationale, représenterait une ingérence dans les affaires intérieures et une violation des sacro-saintes prérogatives nationales.

31 – Le populiste se figure toujours en pauvre victime d’un complot ourdi par des puissances étrangères.

32 – La guerre est parfois l’ultime horizon du populiste, tenté d’étendre sa vision du monde et son extrême violence bien au-delà des frontières de son bunker national. Le populiste entretient les haines, remue les blessures, cultive les rancunes, propage les préjugés, célèbre le nationalisme créant ainsi souvent les conditions de la guerre.

 

 

2 Commentaires

  1. Négocier la grâce de l’état de disgrâce. Trouver un arrangement contractuel entre le flou et le mal. Niquer non pas l’État irakien, mais avec lui, au nom d’une conception perverse de l’humanisme. Monnayer le maintien en activité d’une gloire du nihilisme. Offrir à un pays dont on a vu flotter la croix gammée sur l’armée régulière le droit et le devoir de remettre en liberté l’agent exterminateur détenteur d’un passeport infidèle. Les pirates de l’empire sur lequel le soleil ne se lève jamais poursuivront le combat jusqu’à leur dernier souffle. Leur défaite actuelle ressemble à celle de Nasrallah lors d’un cuisant été, galvanisé par sa survie de planqué des familles, passant pour invincible auprès des imbéciles, débordant le périmètre traditionnel de ses soutiens aryens. Les vaincus de Daech sont autant de mirages préfigurant notre naufrage. Nous nous battons contre une délinquance imaginaire n’ayant pas d’autre but que celui de déréaliser la souveraineté inviolable de l’État islamique. La dissymétrie du conflit mondial procède de l’impuissance des États de droit à se percevoir en guerre. Nous dépassons en dénégation le pacifisme de papa. N’ayant pas même à être prêts à faire la paix à tout prix, pourquoi diable nous échinerions-nous à recouvrer un bien dont nous jouissons à volonté? Le procès d’Abdeslam serait celui que nous espérions tant : le procès du premier cercle. Une première! ah vraiment? je dirais plutôt une récidive. Avec un premier cercle de ce niveau, le sommet de la hiérarchie peut terminer sa nuit comme le Boutros du 9/11 ou le Jawad du 11/13, — on trouvera difficilement objet moins surréaliste. Ne craigniez rien, madame Europe. Nous ne réhabiliterons pas la justice indolore de Monsieur Guillotin. Vous ne serez pas poursuivie pour des crimes imprescriptibles soigneusement époussetés avec le reste de la fourrure en cendres d’un manteau de Bousquet. Ce devant quoi en revanche, nous ne baisserons jamais la garde, c’est une certaine propension de l’ennemi à mesurer notre impuissance à évaluer sa stratégie macabre. Sur ce thème-là au moins, nous ne danserons plus.

  2. Le Burundi a malheureusement choisi un psychopathe comme président à cause de son ignorance et du désespoir et maintenant c’est un psychopathe sociopathe à l’échelle nationale. Sommes-nous maudits ou est-ce le karma généré par les actions de nos aïeux???