Coucher de soleil sur la baie de Naples. Ici, depuis mille ans, depuis Wilde, Malaparte et jusqu’à Steinbeck, le temps s’écoule lentement. On prend le temps en lisant le Corriere Della Sera. Les touristes se gavent de pasta et de pizza. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. La perspective d’un nouveau gouvernement populiste au pouvoir, prenant la forme inquiétante d’une alliance des extrêmes, ne paraît émouvoir personne. Ou presque. Depuis longtemps déjà, Rome et ses intrigues ne passionnent plus les foules : les électeurs se désintéressent de leur vie politique. Renzi, le Macron local, a été évincé. Le plus tranquillement du monde, la Botte s’enfonce dans une impasse.
Autre lieu, autre agitation. Ce soir-là, à Kiev, on joue la finale de la Ligue des Champions. Pour l’occasion, toute l’Italie est devant sa télé. Il s’agit là du dernier acte de la saison footbalistique de clubs, un match qui couronnera au terme d’une année de joutes spectaculaires, de rivalités épiques et de matchs aux scenarii renversants le nouveau, le nouveau Roi d’Europe. Pour les supporters azzuri, la compétition a toujours eu une saveur particulière. Par le passé, l’Inter, la Juventus et le Milan AC ont chacun remporté plusieurs fois la «Coupe aux grandes oreilles». Mais voilà, depuis dix ans au moins, le football italien court après sa splendeur passée. Son organisation est dépassée, ses infrastructures vieillissantes, ses stars sur le départ. Sans parler du racisme, salut fasciste et cris de signe, qui gangrènent ses tribunes… De temps à autres, il y a pourtant des soubresauts. Cette saison, l’AS Rome a ainsi fait bonne figure. Reste que son parcours s’est interrompu brutalement en demi-finale. Les Reds de Liverpool était trop fort. L’écart trop grand. Aucun club italien ne se hissera en finale de la Ligue des Champions cette année.
Il n’y aura pas plus de victoire en Coupe du Monde au programme. Et pour cause : la sélection nationale n’est pas parvenue à se qualifier pour la phase finale ! Échec retentissant. Honte nationale. A l’échelle des amoureux de calcio, il s’agit ni plus, ni moins que d’un tremblement de terre ! Au soir de l’élimination, le gardien de but Gianluigi Buffon sanglotait. La perspective de priver les bambini italiens d’un Mondial lui faisait l’effet d’un coup de poignard. Buffon : Inconsolable idole d’une Italie en déshérence. Faut-il se mettre dans de pareils états pour un simple match de football ? Peut-être pas. Sauf à considérer, à la suite de Bill Shankly que «Le football n’est pas une question de vie ou de mort, mais quelque chose de bien plus important que cela.» Cela fait longtemps que le football n’a plus rien d’un jeu. Il suffit d’observer les équipes italiennes jouer pour le comprendre. Celles-ci ne pensent qu’à une chose : gagner. Gagner par tous moyens, en déjouant souvent, en bétonnant à l’arrière, en inventant des dispositifs défensifs radicaux visant à bâtir des forteresse autour de leur cage. Avec le temps, bien défendre et gagner souvent est devenu une marque de fabrique Made in Italy. L’amoncellement des trophées a rendu les supporters italiens exigeants. Croisé sur les hauteurs d’Amalfi, un grand-père fulmine «L’équipe de Ventura ne jouait pas ! Nous étions nuls ! Nous avons été punis ! Rendez-vous dans quatre ans…». La pilule est amère. Mais rien qui n’empêche notre ami en chemise de lin et bermuda de siroter son limoncello non plus…
Le soleil s’est couché sur Positano. Le Real Madrid a finalement remporté la Ligue des Champions. Sainte icône du football moderne, Zinédine Zidane est devenu le premier entraîneur à remporter trois fois de suite la compétition. Un exploit ! En direct sur le Canale Cinque berlusconien, dans un italien parfait (Zidane jouait jadis à Turin, ndlr), ce dernier répond aux questions d’un aréopage de vieux sages et d’anciens entraîneurs. Pour organiser les débats : une femme ! Seins et bouches refaits, top motif panthère, maquillage outrancier. En dépit du #MeToo, du courage d’Asia Argento, des volontés émancipatrices de sa jeunesse, l’Italie demeure un pays qui n’évolue pas. Les hommes âgés y ont le pouvoir, les femmes y sont systématiquement reléguées au rang de potiche, la jeunesse est absente des débats et la vue d’un noir semble insupportable… Comment régler cela ? L’Italie a fait le choix de ne rien entreprendre pour recoller avec son époque. Fidèle à ses classiques, plutôt que d’évoluer, elle déploie des trésors de farniente…