«Ce que j’ai décidé de faire au bout du compte, c’est que je vais te filer une caméra». Ainsi commence Substitute, ovni cinématographique, documentaire contemplatif et poétique sur les dessous du football de très haut niveau. Nous sommes à quelques jours du début de la Coupe du Monde… Sans vraiment savoir ce qu’il en adviendra, le réalisateur Fred Poulet confie à l’international français Vikash Dhorasoo une caméra Super 8. Sa seule consigne : capter tout ce qu’il pourra dans l’intimité du vestiaire des Bleus. Artistique à souhait, la démarche étonne et détonne. Pour les années à venir, elle confèrera à Dhorasoo ce statut si particulier dans le paysage footballistique français, celui de joueur humain, à part et sensible. Une jolie figure de l’Altérité au milieu des joueurs formatés. Vikash est grand ! Pourquoi donc ? Car il est constamment un pied dedans, un pied dehors.
Il y a quatre ans déjà, nous avions passé un long moment en compagnie de ce joueur fascinant. En résultait une interview publiée dans les colonnes de La Règle du jeu. L’entretien, réalisé avec les moyens du bord dans un kebab bruyant de Barbès, restera comme un moment singulier, extraordinaire par sa liberté de ton et sa volonté de perdre le contrôle. Vikash, c’est aussi des souvenirs. Après avoir usé ses crampons sur les pelouses du Havre, de Lyon, de Bordeaux et du grand Milan AC, notre homme a tenté l’aventure parisienne. C’était avant les pétrodollars du Qatar. Vikash représentait alors l’espoir d’un meneur de jeu à l’ancienne illuminant le jeu du PSG. Je le revois encore avec mes yeux d’adolescent, maillot de mon club de cœur sur le dos, virevolter, dribbler, esquiver, transpercer les lignes avec ses passes millimétrées. Je me souviens avec précision du match dont il s’agissait – un PSG-Lille disputé dans la chaleur écrasante du mois d’août – tout comme la place à laquelle j’étais assis : tribune «Paris», pas la présidentielle, l’autre, entre mon père, mes frères et mon ami Stéphane. Tout le monde aimait Vikash. Pourtant frêle, ce petit gars au patronyme impossible en faisait voir de toutes les couleurs aux Goliath adverses. On aurait souvent cru voir la reproduction laïque d’une scène biblique. Et puis il y avait ce 29 avril 2006 en finale de la Coupe de France. Contre l’OM de Barthez, Beye, Lamouchi et Ribéry, Dhorasoo dégaine une frappe hallucinante de vingt-cinq mètres. Un but qui offre la victoire au peuple parisien ivre de bonheur. Peu importe la suite, le conflit ouvert avec l’entraîneur Guy Lacombe, le licenciement. Notre homme s’envolera pour la Coupe du Monde. Domenech l’aime bien ce petit gars. Il l’utilise un peu partout mais le plus clair de son temps, finalement il le passera sur le banc des remplaçants. Alors il filme. Et en tire Substitute, film contemplatif. Tout y est : la déception de ne pas s’illustrer, l’impuissance, la résignation, la mélancolie. A propos de sa relation avec son sélectionneur, Dhorasoo, qui ne jouera en tout et pour tout que 16 minutes au cours du Mondial 2016, lâchera : «J’étais son fils et il fait jouer le fils du voisin.» Tout est dit, sans verser dans le ressentiment pour autant, avec poésie. Ceux qui aiment le ballon rond découvriront la face cachée de leur passion. Les autres, ceux qui ne considèrent pas le football comme une affaire de vie ou de mort, en auront pour leur argent : Substitute est une œuvre à part. Et comme souvent avec l’ami Vikash, tout ramène au Havre, sa ville natale. Impossible, en effet, de comprendre le joueur sans visualiser les lieux de son enfance, en l’occurrence un quartier bétonné, des barres, si loin (dans la tête) et pourtant si proche (à vol d’oiseau) de la zone portuaire havraise. Pour être tout à fait complet, on ne saurait que trop conseiller la lecture de Comme ses pieds, autobiographie sensible du joueur publiée en 2017 aux éditions du Seuil. Mais aussi les 50 idées joyeuses pour changer le foot (Gallimard jeunesse, 2018), ouvrage ludique, furieusement libre et tellement dhorasien dans l’esprit qu’il coordonne pour le collectif foot-citoyen Tatane. Un must du football alternatif.
SUBSTITUTE, le film événement de Fred Poulet et Vikash Dhorasoo réalisé pendant la coupe du monde de football 2006.
Le film est sorti en salles le 14 février 2006.