C’est fait : les Bleus sont en huitièmes de finale ! Dans une Coupe du Monde qui n’épargne pas les nations historiquement dominantes, l’équipe de France a tiré, tant bien que mal et sans brio, son épingle du jeu. Deux matchs joués pour deux victoires ! Les grincheux diront évidemment que cette Australie vaincue à l’arrachée (2-1) et ce Pérou battu d’une courte tête (1-0) n’avaient rien de menaçant. Sauf que l’adage «il n’y a plus de petites équipes» n’a jamais été aussi réel, palpable. Pour s’en assurer, il suffit de voir comment, dans les autres poules, l’Iran, le Maroc, le Sénégal ou la Suisse ont crânement défendu leurs chances. Voilà des sélections réputées inférieures sur le papier et qui jouent pourtant à fond, sans se poser de question. Leur objectif : bousculer l’ordre établi ! A l’heure du Nouveau Monde macronien et de la Mondialisation des échanges, tout cela relève d’une certaine logique. L’ordre mondial est bouleversé. Les hiérarchies appartiennent au passé. Tout le monde sait jouer au football et chaque pays possède au moins un champion capable de faire basculer le cours d’un match. Keylor Navas, le gardien de but costaricien, a ainsi gagné plusieurs fois la Ligue des Champions. Mohamed Salah, icône égyptienne, a terminé la saison auréolé du titre de meilleur buteur du championnat anglais ! Tout a changé. Les Islandais, impressionnants de solidité, défendent comme des Italiens (qui ne se sont pas qualifiés)… Les sélections de la vieille Europe, le Brésil ainsi que l’Argentine ont perdu de leur superbe. Et tandis que leurs débuts sont poussifs, mille questions se posent aujourd’hui. La plus urgente : ces équipes sont-elles capables d’élever leur niveau de jeu ? Le prochain tour apportera des réponses.
Dans cet océan de remises en question, les Bleus s’en tirent, eux, parfaitement. Merci Didier Deschamps ! Le sélectionneur national a l’expérience des grandes compétitions. Il en connaît, mieux que personne, les bonheurs et les pièges. Six années durant, l’ancien milieu de terrain auréolé du titre de champion du monde 1998 a modelé son équipe. Un effectif cohérent, patiemment construit, bâti pour faire face à tous les cas de figure. Et c’est peut-être cet après-midi, à 16h00, dans l’enceinte mythique du stade Luzhniki de Moscou, que l’on saura si Deschamps avait raison. La partie face à la sélection danoise devrait en effet faire la part belle aux remplaçants, ces joueurs au rôle ingrat qui traversent les compétitions en jouant un rôle réputé mineur dans l’épopée. On les appelle «les coiffeurs». Discrets ces athlètes n’en sont pas moins déterminants dans la vie du vestiaire. Si ces remplaçants flanchent au moment où l’on se décide à faire appel à eux, on peut dire adieu à la victoire à la Coupe du Monde. Le rôle est ingrat. Les «coiffeurs» doivent être de bons coéquipiers, soutenir les titulaires et donner leur meilleur lorsque, par bonheur, ou par hasard, ils sont appelés à enfiler le maillot Bleu. Pour les utiliser à bon escient, il faut, au-delà des compétences d’entraineur, des qualités de DRH ! «Coiffeurs», donc… Mais au fait, pourquoi ce terme curieux ? La genèse de la locution est difficile à dater. Deux origines sont évoquées, explique Clément Guillou dans les colonnes du journal Le Monde. La première remonte à la Coupe du monde 1958, en Suède, durant laquelle l’équipe de France, troisième, n’utilise que 15 des 22 joueurs à sa disposition. Les sept autres auraient coupé les cheveux des titulaires pour passer le temps. La seconde, plus probable, date de 1986 et désigne l’arrière-ban(c), celui qui ne se lève que pour prendre les ciseaux : «Un joueur avait coupé les cheveux d’un autre et s’était amusé à dire : “De toute façon, on n’a que ça à faire”», se souvient la mémoire des Bleus, Henri Emile, qui officiait comme adjoint d’Henri Michel pour cette Coupe du monde au Mexique. Ceux qui désirent creuser le sujet liront avec bonheur la plume élégante et bien documentée de Vincent Duluc. Grand reporter football à l’Équipe, ce dernier, déjà auteur de plusieurs romans dont une sublime biographie de George Best chroniquée ici, s’est fendu d’un joli Eloge des coiffeurs aux éditions Marabout. Un livre de circonstance alors que l’Équipe de France devrait aligner, cet après-midi, face au Danemark, les remplaçants Mandanda, Rami, Thauvin, Kimpembé, Fekir et Lemar. Des joueurs garants de l’équilibre de la sélection et responsables de son harmonie. Pas de mauvais athlètes, loin de là ! Les patronymes évoqués plus haut sont des stars dans leurs clubs respectifs. A l’issue du Mondial, ils s’arracheront pour des dizaines de millions d’euros comme pour souligner leur talent. C’est ici tout l’intérêt de l’entreprise littéraire de Vincent Duluc. Écrire l’Eloge des coiffeurs revient à plonger dans un quotidien banal et extraordinaire, loin des caméras et de l’attention des supporters. C’est aussi raconter la somme des renoncements individuels de ces remplaçants qui ne brilleront pas. Duluc, dans sa langue magnifiant le football, écrit ainsi :
«Les coiffeurs sont les ombres d’un été, ils sentent la lumière les quitter doucement quand arrivent les premiers matchs d’une Coupe du monde ou d’un Euro ; bientôt, ils n’existeront presque plus, ni sur les photos, ni dans les conversations. Ce sont les exploits des autres, seulement, qui pourront leur offrir une vie de champion du monde ou de champion d’Europe, plus tard. Ils deviendront rentiers de la gloire de ceux dont ils auraient voulu prendre la place. Ils feront des tournées de champions du monde en souvenir d’une compétition dont ils n’auront pas disputé une seule minute, mais seront portés par la logique du groupe, la noblesse de l’étiquette, l’éternel cliché disposant que l’on gagne ensemble et que l’on perd ensemble (…)».
Parce qu’il n’y pas que des titulaires dans un effectif victorieux, parce qu’une Coupe du Monde se remporte à 23 et pas à 11, parce que les drames intimes et autres tourments traversés par ceux qui prennent place sur le banc des remplaçants sont profonds, il faut lire l’Éloge des coiffeurs du camarade Duluc !