On allait voir ce qu’on allait voir.

Le Média, cette webtélé des Insoumis lancée au ­début de l’année, se proposait d’être «engagé en ­faveur des causes sociales et écologiques, féministes et antiracistes».

Il se promettait de porter un «regard différent» de celui «véhiculé par les médias dominants», lesquels sont tous, comme chacun sait, sous la coupe et le joug des «oligarchies financières».

Comme le maître Loup de la fable, ses journalistes seraient peut-être moins puissants que leurs confrères enchaînés des grands journaux ou même de Mediapart et du Canard – mais au moins auraient-ils le col vierge de la pelure du collier.

Et il fallait les entendre, ces nouveaux aventuriers de la presse perdue, nous la jouant prophètes pourchassés, nouvelle Radio Londres dissimulant ses émetteurs TSF dans les buffets de leurs commodes bourgeoises, histoire d’être bien certains d’échapper aux sbires du capitalisme journalistique – il fallait les voir, tels les anciens UMP s’autobaptisant «Les» Républicains, préempter le mot «Média» comme s’il n’en était point d’autre…

Las ! Trois incidents ont enterré ce projet puéril et navrant.

D’abord la sortie du chef sur la «juste et saine» haine qu’il convient de vouer aux autres médias et à «ceux qui les animent» : on croyait entendre Donald Trump et Marine Le Pen.

Puis l’éviction d’une directrice de la rédaction convoquée, «dos au réfrigérateur», dans un Politburo aux proportions d’une cuisine, à qui l’on signifia un renvoi qu’aucun patron de choc «néolibéral» n’aurait rêvé plus violent : la faute d’Aude Rossigneux ? personne, pas même elle, ne le saura ; mais, lorsqu’elle s’en émut dans une lettre ravageuse, lorsqu’elle osa protester que son éviction n’était «pas exactement conforme à l’idée que chacun se fait d’un management de gauche» et soucieux du «burn-out» de ses employés, ce sont tous les bons apôtres du «journalisme libéré» qui s’acharnèrent élégamment sur leur consœur.

Puis il y a eu un certain Claude El Khal qui, dans une ­vidéo mise en ligne le 23 février, pontifiait sur la guerre de Syrie : mais il commença par mettre, sur la carte, Damas à la place de Deraa ; puis, non content de confondre les lieux d’une guerre dont il s’indignait qu’on la couvre si mal, il débita, sur le ton de celui qui connaît le dessous des cartes comme le fond de sa poche, les plus éculés des clichés complotistes ; puis, crachant sur les tombes de tous les reporters, journalistes ou photographes, morts pour être allés, eux, pour de bon, porter le fer dans la plaie de cette guerre, il annonça que «le» Média ne diffuserait pas d’images de la Ghouta sous prétexte qu’elles n’étaient jamais «vérifiées de manière indépendante» ; et l’on apprit enfin que ces insanités sortaient de la bouche d’un homme qui, voilà quatre ans, se demandait déjà si Daech n’était pas la création d’Israël…

Sur quoi quelques-unes – à dire vrai, la plupart – des «cautions» qui, comme Aurélie Filippetti, Noël Mamère ou ­Patrick Pelloux, étaient censées être la preuve que «le» Média ne ­serait pas la chaîne affidée que l’on soupçonnait quittèrent le navire.

Ils attendaient une Humanité jaurésienne : c’était un croisement entre Russia Today et le Café du commerce.

Ils espéraient l’une de ces belles aventures où, jadis, sous les rotatives, battait quelque chose du cœur de la révolte des hommes : ce n’était qu’un radeau de la Méduse où venaient trouver refuge, clopin-clopant, tous les conspirationnistes des pages 48 des recherches Google.

Ils attendaient – beaucoup, comme eux, attendaient – un phalanstère sans dieu ni maître, une expérience d’autogestion façon ouvriers de Lip remontant les pendules et ressorts d’une politique exténuée : ce fut une petite entreprise où les «socios» remplaçaient les «actionnaires» mais où l’on pressurait les employés jusqu’à la pulpe et où, quand ils partaient, on les conspuait jusque dans les newsletters maison.

La chasse à la propagande ? L’entreprise était paradoxale, de la part de la dircom d’un chef de parti muée en patronne de presse «antisystème». Mais pourquoi pas… On voulait bien, là aussi, y croire… Jusqu’à ce que l’on se rende à l’évidence de ce journalisme façon Ponce Pilate refusant de choisir entre la propagande de Bachar et le courage des agences de presse et expliquant aux reporters qui s’obstineraient à prendre la route de Damas (ou de Deraa) que la vérité du monde se lit mieux dans les open spaces bobo et les Plexiglas mélenchonistes.

Le porte-voix d’une nouvelle gauche qui, dans sa fournaise aux concepts, allait retrouver la flamme de justes combats ? On eut un bréviaire bolivarien dont le spectre politique commençait à Jean-Luc et finissait à Mélenchon ; un Ordre solaire qui parlait tous les soirs à 20 heures et érigeait la paranoïa en mode de gestion, non seulement des ressources humaines, mais de la complexité des événements ; un improbable Comité de salut public composé de «nouveaux chiens de garde» bien décidés à couper toute tête contre­disant la ligne décidée par et pour le Petit Leader.

On se réclamait de Gramsci ; on se voulait Bourdieu ou Foucault ; on allait être les porte-voix des «anormaux», des «marginaux» et autres «damnés de la terre» libérale ; on se voyait déjà à la tête de Libération naissant, celui de Sartre et Benny Lévy… Ce ne fut qu’une mascarade de youtubeurs revivant leurs années lycéennes ; de vrais-faux experts en «on nous cache tout, on ne nous dit rien» ; de Woodward et Bernstein au rabais barbotant dans la psychologie des foules pour les nuls ou dans une agit-prop pour troisièmes couteaux des haines faciles et du mainstream rouge-brun.

À peine né, Le Média était mort.