Très chère Marion, chers amis,
Après la guerre, après Auschwitz, Elie Wiesel avait fait un vœu : «partout où un être humain sera persécuté, je ne demeurerai pas silencieux.»
Ce vœu il y a été fidèle mille fois au cours de sa vie. L’homme qui incarna la mémoire de la Shoah n’avait pas la mémoire courte pour les souffrances des autres.
J’ai eu la chance de connaître Elie Wiesel et sa femme Marion couple merveilleux et solaire. Mais c’est en tant qu’arménienne que je voudrais lui rendre hommage.
Dans les années 80, alors que les Arméniens dispersés dans le monde se battaient pour la reconnaissance de leur génocide, perpétré en 1915 par le gouvernement ottoman dans l’indifférence générale, Elie Wiesel signait la préface du roman de Franz Werfel, Les 40 jours du Mussa Dagh. L’écrivain juif autrichien le publia en 1933 : il raconte l’épopée et la résistance d’une poignée d’Arméniens traqués par les troupes turques. Dans cette préface, intitulée Le crime de l’oubli, Elie Wiesel écrit :
«Cette communauté, condamnée par les convulsions d’une histoire qui la dépasse, m’est devenue proche. Guettée par la mort, elle revendique sa liberté. Assiégée par un ennemi impitoyable, trahie par une société indifférente, elle choisit la résistance armée. Pour sauver l’honneur arménien ? Pour sauver l’honneur de l’homme. […] Dans sa dispersion, le peuple arménien, comme le peuple juif, s’intègre sans s’assimiler, se veut attaché à sa langue, à sa culture, à ses traditions, en d’autres termes : à son identité ethnique et nationale aussi bien qu’à sa foi. (…) Écrit avant l’avènement du régime hitlérien en Allemagne, ce roman semble préfigurer l’avenir.»
«Le génocide tue deux fois, la seconde par le silence», disait-il, parlant du négationnisme de l’Etat turc, qui refuse toujours de reconnaître le génocide arménien.
Elie Wiesel a été l’un des 126 spécialistes de la Shoah, signataires d’une pétition publiée dans le New-York Times le 9 juin 2000, et réclamant la reconnaissance internationale du génocide arménien.
En 2007, la fondation Elie Wiesel pour l’humanité que vous dirigez chère Marion, avait publié une lettre ouverte critiquant la négation du génocide arménien. Elle avait été signée par 52 lauréats du prix Nobel.
Pour ces combats, pour cette générosité, pour avoir été le porte-voix des sans voix, une lumière dans leur nuit, merci Elie Wiesel.
Valérie Toranian, journaliste, directrice de la Revue des deux mondes.