En décembre 1976 sort l’Album Hotel California du groupe californien les Eagles. New Kid in Town, le single extrait de l’album diffusé en avant-première rencontre très vite un succès planétaire, s’installe dans les charts et devient un hit fredonné partout. Le son West Coast, la mélodie somptueuse de douceur, les paroles de la chanson parlent d’espérance : «There’s talk on the street… Great expectations, everybody’s watching you … so don’t let them down.»
Un nouveau kid a été investi ce quatorzième jour du mois de mai de l’année 2017, Président de la République Française. Quelle fulgurance ! Quel parcours! Quelle histoire ! Quelle belle histoire ! Devant lui maintenant, cinq années. Cinq années et d’incommensurables défis et questions. Saura-t-il aller à l’essentiel ? Se souviendra-t-il à chaque instant de la souffrance des plus vulnérables ? Sera-t-il à l’écoute de chacun et de tous ? Saura-t-il décider sans craindre de déplaire au plus grand nombre ? Gouvernera-t-il dans la vérité et l’équité ? Aura-t-il la main juste et efficace ? Ses réformes seront-elles équilibrées, soucieuses des besoins et intérêts de tous ? Parviendra-t-il à renforcer les capacités et les libertés des uns et des autres ? Réussira-t-il à revigorer l’Europe ? L’esprit lucide, fera-t-il pleinement à chaque instant ce qu’il doit faire ? Aura-t-il la sagesse de l’action juste et efficace ? Et jusqu’où sera-t-il libre dans son élan, dans ses actes ? Quelles seront ses marges de manœuvres ? Qu’est ce qui reste du pouvoir d’influence de la politique sur la réalité économique ?
Une certitude : le nouveau Président sera confronté à l’adversité, à la jalousie, à la jalousie envieuse, à la violence, à la brutalité du monde politique, au réel de notre monde avec toute sa rudesse, sa férocité. Il sera attaqué, confronté au rejet pulsionnel, malmené par tous ceux qui rêvent de raz-de-marée populaire les projetant au sommet de l’Etat… Sur son nom seront déversés des tonnes d’accusations, de calomnies… Les fabricants de slogans haineux, ceux qui parlent au nom du peuple se lâcheront, se déchaîneront. Il n’y échappera pas. Aura-t-il la force de la patience pour faire face à l’adversité et, intouchable, imperturbable, demeurer libre des vibrations négatives ?
Résultats. Il sera soumis à l’exigence de résultats. Impatience de résultats. Sommation de résultats. La courbe du chômage sera surveillée, scrutée, analysée, jaugée. Les statistiques de l’insécurité seront commentées. On parlera du PIB, de la dette, des déréglementations, de la crise du travail, de précarité, de restructuration, d’innovations, de transformations technologiques, de robotisation, de formation, de concurrence, de matières premières stratégiques, de compétitivité, de pôles de compétitivités, de délocalisation, de productivité, des impératifs de productivité. Il faut être productifs, n’est-ce pas ; il faut être compétitifs… On alignera des chiffres. On parlera de chiffres et de chiffres.
La tyrannie des chiffres. Car qui parle encore de modèle de société, de projets collectifs, d’esprit, de culture, de noblesse du cœur, de redécouverte de nous-mêmes et d’autrui ? Qui parle encore de ces choses de la pensée qui font que nous sommes ce que nous sommes ? Dans ces jours au lien social distendu et aux sphères cloisonnées, fracturées en zones fermées, vers quelles promesses sommes-nous encore tendus ? De quelle pensée sommes-nous encore porteurs ?
Ici ce n’est ni l’Ethiopie, ni la Somalie, ni le Sahel des années de ciel sans pluie et sans moissons ; ici c’est la France, cinquième puissance mondiale. Ici, on ne meurt plus de faim depuis des lustres. Ici, c’est plutôt l’esprit qui, hélas, semble fatigué, épuisé, le pas incertain tel un danseur de cordes fissuré d’angoisse. Rêves desséchés, regard sur l’avenir tissé d’anxiété. Existences empoisonnées par la trouille du lendemain. Perte du désir. Comment guérir de ce mal et retrouver l’espérance ?
Que Macron, qu’Emmanuel Macron réussisse dans sa mission et nous nous porterons tous mieux ; et la démocratie en sera revitalisée, et l’Europe sera au bout plus resplendissante. Qu’il échoue et la France, et l’Europe seront encore un peu plus fissurés, un peu plus ébranlés dans leurs fondements.
Car la bête est toujours là, là en embuscade, acharnée à raviver les haines, à exploiter les humiliations, à cultiver le ressentiment, vidant à tour de battage et de retape, les mots de leur sens, le visage toujours en mutation permanente. La bête est toujours là, à l’affût, avec dans sa besace la détestation des élites, la haine des intellectuels, la haine des étrangers, et réclamant comme futur glorieux un monde en vase clos, hors réalités, fermé sur lui-même.
Cinq ans. Cinq années pour la repousser, pour la faire reculer. Great expectations, everybody’s watching you….
L’aspirateur Platon avait tendance à avaler tout ce qui le dépassait, or il n’y a rien d’aléatoire dans le fait que ce ne soit pas un formaté de l’Académie, mais le disciple d’un condisciple qui l’ait racheté aux Éginiens dans la gueule desquels l’avait poussé Denys l’Ancien, tyran de Syracuse, car c’est bien à l’hédoniste Annicéris, élève d’Aristippe de Cyrène, qu’il devra sa libération. Gauche et droite républicaines consentiront à mettre un genou à terre à partir du moment où elles seront assurées que leur défaite ne se traduira pas par une mise à mort. On les comprendra. Le centre ne saurait avoir le monopole du progressisme. D’Abrahâm à Einstein en passant par Galilée, Darwin ou Freud, le progrès a toujours résulté d’une puissante controverse.
La France d’Emmanuel Macron dépasse les clivages partisans. Elle a vocation à rassembler les divers mouvements de résistance à l’hydre fasciste et aux autruches qui, pacifistement, se penchent sur son cas. Fidèle à l’impulsion salvatrice du fondateur de la République cinquième du nom, régime fameux, antidote contre l’infamie qu’il préside à son tour, l’ambitieux refondateur du projet européen s’est donné pour mission d’unifier les mouvements de Résistance. Prônant l’œcuménisme politique, il aura à cœur de transmettre son message aux partisans qui ne sont pas les siens, mais ceux d’une certaine idée de l’Europe et de la France hautement menacées, à l’occasion d’un concile laïque au cours duquel tous les courants de pensée républicains seront amenés à partager leurs analyses de la situation internationale dans un esprit d’efficacité imposé par l’état d’urgence dans lequel se trouve la civilisation des civilisations.
EMoi : Si la gauche de gouvernement a cru stratégiquement payant le fait de ranger à l’extrême droite des personnalités conservatrices telles que Sarkozy, Fillon ou Copé dont l’ADN n’était certainement pas moins républicain que le sien, le qualificatif de progressiste était pourtant loin de coller à chaque centimètre de sa propre peau. Nous commençons à peine de comprendre que l’étiquette de conservateur se décolle soixante-huitardivement de quelques éléments incontrôlables, issus des rangs de la droite de gouvernement. Ceci étant posé, où placerons-nous, demain, un programme comme celui qui nous fut proposé par le candidat Benoît Hamon au cours de l’ère révolue ? Pensez-vous sincèrement que ce dernier ne défende pas, à sa manière, une approche progressiste de la société prenant en compte les effets secondaires de l’état de paix postmoderniste ? une approche qui nous* semble bien incapable de l’en désengluer, mais une approche à coup sûr tournée vers le futur, avec des propositions toutes fraîches, dont certaines bourgeonnent encore ? * «nous» de modestie.
La phisosophie d’En Marche! est la plus transgressive qui puisse être opposée au Cerbère des dogmes derrière les barbelés de la contre-culture. L’idée c’est que la liberté hillélienne, et donc, limitée par l’océan existentiel d’autrui, est une condition nécessaire de l’égalité. Les fondateurs de la République ont eu tendance à envisager le problème de l’égalité en la situant à la source de toute leur procession principielle. Nous continuons de buter sur cet absolu car il n’est pas d’égalité absolue qui ne soit établie sur la base d’une égalité naturelle, or celle-ci est un concept erroné. Comme on peut le dire de la laïcité, le social-libéralisme est un mouvement respiratoire inter-États transcendant les courants politiques. Bien entendu, les partis de gouvernements d’une grande démocratie libérale comme peut l’être la République française doivent continuer à revendiquer la liberté d’élaborer leur propre dosage des principes qui président au bon fonctionnement d’un État de droit, mais il serait hypocrite de laisser entendre qu’en république, il faut choisir entre justice sociale et libertés fondamentales. Nous prenons donc le positionnement net, catégorique, j’allais dire franc, du président de la République en faveur d’une macroéconomie solidaire pour un authentique acte de refondation et invitons les femmes et hommes de bonne volonté à se joindre au mouvement transpartisan LREM sans pour autant se disjoindre en leur propre tréfonds. Adhérer à des partis opposés sur l’échiquier républicain n’a jamais empêché deux frères et/ou sœurs de se concevoir comme tels au sein d’une même loge maçonnique. Eh bien, c’est simple. L’adhésion au projet macronien renverse le paradigme sans aucunement le dénaturer. Une question de conscience, en somme. Un problème qui a peu de chance de s’avérer insoluble dans un espace républicain où l’on s’entend à (faire) respecter la libre conscience.
Euh… aime! : Depuis le début, il s’agit d’éviter le totalitarisme de l’extrême centre. Macron n’est ni de droite ni de gauche car non de droite pour la gauche et pas davantage de gauche pour la droite. Il est donc à gauche et, dans le même temps, à droite car en accord avec certaines approches provenant d’un côté de la République et d’autres que l’on observe généralement sur l’autre bord. Il autorisera donc chacune des composantes de son pluralisme interne à garder un pied dans sa propre famille politique sans l’obliger à la décimer pour lui prouver sa loyauté.