Billet à Jacques-Alain Miller par Alain Finkielkraut

Cher Jacques-Alain Miller,

Si vous aviez pris la peine d’écouter l’émission que vous commentez ou d’en lire la transcription intégrale, vous sauriez que je ne laisse percer aucune sympathie pour le FN. Me référant non seulement aux propos faurissonniens de son éphémère président par intérim mais à un échange télévisé entre Florian Philippot et Manuel Valls, je dis que ce parti est infréquentable. Mais j’ajoute qu’à diaboliser les questions qu’il traite et même les faits qu’il évoque, on en vient à tendre un cordon sanitaire autour des enquêtes dirigées par Georges Bensoussan sur la désintégration française. Un comble !

 

Les intellectuels ont fait entendre pendant l’affaire Dreyfus la protestation du scrupule contre les manipulations et les mensonges de l’état-major. Par votre désinvolture et vos injures («débilité mentale», «abjection politique», «canaillerie»), vous vous inscrivez dans une tout autre tradition. Dommage.

PS. Je ne hais pas Macron. Je sais seulement que quelques jours avant de se recueillir au Mémorial de la Shoah, il est allé vanter le vivre-ensemble dans la diversité à Sarcelles, une commune traumatisée par des violences anti-juives où le FN n’a eu aucune part. Mobiliser la mémoire d’Auschwitz pour gagner les élections tout en faisant l’impasse sur la montée actuelle de l’antisémitisme et du négationnisme, ce n’est pas l’idée que je me fais de la morale politique. L’exactitude, toujours l’exactitude…

 

En lisant Alain Finkielkraut par Jacques-Alain Miller

 

Bravo ! Vous n’avez pas dit : «Quel est ce vermisseau, dites-moi, qui se soulage sur mon bel habit vert ?», vous avez pris votre plume. J’en conclus que vous avez du cœur. Ce cœur est-il intelligent ?

Ma diatribe était prolixe, votre billet est concis. Je suivrai votre exemple.

 

1

Vous niez toute sympathie pour le FN. Cependant, vous regrettez ici même que ses «questions» soient diabolisées, et même «les faits qu’il évoque». Pour l’équipe «Pourquoi nous combattons», le FN n’évoque pas des faits, il ment ; il ne pose pas des questions, il tend des pièges. Il ne s’agit pas de tendre l’oreille quand il parle, de recueillir ses propos et d’en extraire le suc, mais bien de le diaboliser ou de le re-diaboliser ou de faire voir qu’il a toujours été le diable.

 

«L’homme, disait Platon, est la mesure de toutes choses.» Si l’homme-mesure, c’est le sujet de l’énonciation de «Pourquoi nous combattons», alors oui, vous êtes un sympathisant du FN. Un sympathisant malheureux, honteux, trouble, mal à l’aise, emberlificoté, angoissé par ce qu’il fait, bref, un sympathisant finkielkrautien, mais un sympathisant. Ou, mieux, je dirai que vous êtes en coquetterie avec lui. Si l’homme-mesure, c’est Florian Philippot, il déplore votre manque d’enthousiasme pour sa patronne.

 

2

Vous avez une thèse bizarre sur les morts. Selon vous, «les morts ne sont pas à disposition. Le devoir de mémoire consiste à veiller à l’indisponibilité des morts.»

 

Première nouvelle. Allez expliquer ça à vos amis du courant contre-révolutionnaire qui ont pour signifiants-maîtres «la terre et les morts» (Barrès). Les morts ont toujours été à la disposition des vivants, on a toujours spéculé sur leur désir, on croit en général qu’il est spéculaire : «Mourez comme nous sommes morts.»

Et les vivants sont de ce fait à la disposition des morts. Un analyste touche cela du doigt tous les jours. Auguste Comte avait épinglé le phénomène d’une forte parole très hugolienne : «Les morts gouvernent les vivants.»

 

Bref, le monde des morts et celui des vivants sont enchevêtrés. Disjoindre les deux ? Ce n’est justifié, me semble-t-il, qu’au moment de choisir l’aventure de la vie contre la fascination de la mort. C’est alors qu’il est dit : «Laissez les morts enterrer les morts.»

 

3

Vous trouvez injuste, injustifiable, de mobiliser l’électorat juif contre le FN en utilisant le souvenir de la Shoah, vu que ce parti n’a rien à voir, n’est pas impliqué dans des faits récents d’antisémitisme, voire dans l’antisémitisme foncier des quartiers musulmans.

Je vous réponds :

que décidément, pour quelqu’un qui trouve le FN «infréquentable», vous aimez à vous faire son avocat. Quel charme ont donc pour vous ces bubons de la politique française ?

que vous dédouanez, ce faisant, le FN du soupçon qu’il cache son antisémitisme pour tromper ;

que vous laissez entendre, sans le dire explicitement, que mobiliser les juifs contre les musulmans, ça, ce serait justifié – politique de guerre civile que ses adeptes reculent ordinairement à assumer en clair, même le vaillant Zemmour, qui n’a pas froid aux yeux ;

qu’à défendre la racaille du FN, vous avez pris le style de la maison : ne pas dire mais sous-entendre, de telle sorte que le propos qui fâche soit toujours «deniable» : en anglais, le mot qualifie un énoncé ou un message construit de telle façon que l’émetteur, le sujet de l’énonciation, puisse toujours nier l’avoir tenu, au moins avec la signification que lui donne le récepteur.

 

Résultat : confusion générale ; le public s’arrache la tête pour savoir : l’a-t-il dit, l’a-t-il pas dit ? Et le responsable du chaos sémantique qui s’installe de crier au procès d’intention. Vous ne faites pas autre chose.

 

4

À trop fréquenter les infréquentables, qui pratiquent l’art de la rhétorique fasciste en pays démocratique, vous avez chopé une maladie honteuse que j’appellerai par son nom anglais Total Compulsive Insidious Innuendo Disorder (en français, trouble de l’insinuation compulsive).

 

Il s’agit d’une perversion de la prétérition, figure de rhétorique qui a ses lettres de noblesse. Le procédé consiste à dire quelque chose tout en ne le disant pas.

 

Le trouble s’installe quand le malade ne peut plus s’exprimer autrement que par prétérition. Il devient simultanément contagieux, infectant son entourage proche, voire son plus lointain lectorat s’il est écrivain.

 

Des études ont montré que la canaillerie ordinaire que comporte la pratique de la prétérition est mieux supportée par le non-juif. Il s’ensuit que les cas les plus graves ont été décrits chez des patients juifs. En effet, sous sa forme totale-compulsive, la prétérition, dite encore paralipse ou prétermission, ne va à rien de moins qu’à pervertir les lois de la parole, celles qui dans le judaïsme ont été reçues directement par Moïse de L’Imprononçable, sur le mont Sinaï. Transgression mal supportée par des sujets de culture mosaïque.

 

Pour ma part, juif infidèle, mais fidèle lacanien, ces lois de la parole, je tente de les respecter toujours et en tous points. Et je sais reconnaître celui qui manque à leur observance.

 

5

Je te le dis, Alain Finkielkraut : à fréquenter les infréquentables ou les fréquentations des infréquentables, tu as pris leurs mauvaises manières.

 

Tu passes ton temps à finasser alors que la vérité est que tu flirtes depuis longtemps maintenant avec le pire. L’Académie française dans sa malice t’offre d’occuper le siège d’un fasciste patenté et tu fais son éloge et tu tires la langue à ceux qui ont l’esprit assez étroit pour penser que A fascist is a fascist is a fascist, soit-dit pour parodier Gertrude Stein.

 

Tu ne vois pas à quoi tu sers ? Tu ne vois pas de quelles chaînes tu es maintenant chargé ? Tu es sur un mauvais chemin, je te le dis, Alain, tu fais fausse route. Tu vas tout droit à l’abjection politique : compagnon de route critique du FN.

 

Et c’est toi qui m’admonestes ? Qui me fait la leçon ? Je ne te lis pas d’assez près ? Je devrais me taper une heure de ton bla bla dans ton émission de Radio J pour avoir droit de commenter tes bourdes et tes pataquès ?

 

Hé oh la tête ! Il me suffit de trois lignes de toi pour décrypter tes trucs.

 

6

Prenons un exemple : le dernier paragraphe du billet que tu m’as consacré. Il comporte trois phrases.

 

La première est pour définir les intellectuels dreyfusards comme des militants «du scrupule», indignés par «les manipulations et les mensonges» des chefs de l’Armée.

 

La seconde est pour me chasser de la tradition intellectuelle française procédant de cet épisode fondateur. Là où c’était le scrupule, je fais preuve de désinvolture à l’endroit d’un éminent dreyfusard nommé Alain Finkielkraut, et je pratique l’injure à son encontre. En conséquence, le jury présidé par Charles Péguy se voit dans l’obligation de me refuser la carte du Parti des intellectuels, et considère que je m’inscris «dans une toute autre tradition».

 

La dernière phrase tient en un mot exprimant ce regret. Après lecture de la sentence, la condamnation est mise à exécution. La tête tombe dans le panier. Le révérend père Finkielkraut fait le signe de la Croix tout en hochant du chef. Il soupire : «Dommage.»

 

7

Le commentaire maintenant. Tu veux me dire que ma désinvolture et ma pratique de l’injure me rattachent plutôt à la tradition antidreyfusarde ? Eh bien, dis-le. Non, tu n’arrives pas à me le dire, tu es contraint de me l’insinuer. Cela signifie simplement que tu es un cas moyennement grave du Compulsive Insidious Innuendo Disorder.

 

Ça se soigne très bien, tu sais. La cure comporte de dialoguer avec quelqu’un qui appelle un chat un chat, quelqu’un dans mon genre. Ça tombe bien : je suis à la retraite de l’Université, j’ai du temps de libre. Contribuer à sauver de ce trouble invalidant l’un des bons esprits de ce temps, l’un des plus célèbres écrivains juifs de l’époque, un homme couvert de gloire, fait vibrer ma fibre thérapeutique.

 

En tous les cas, l’offre est sur la table.

 

8

Quoi d’autre ? Ah oui ! Tu te trompes quand tu penses que la polémique injurieuse est l’apanage des contre-révolutionnaires, de l’Action française, des antidreyfusards, des fascistes, alors qu’à gauche, on polémiquerait toujours propre sur soi, dans l’élément de la délicatesse morale, avec ton cher «scrupule» – du latin scrupulus, ce petit caillou dans la sandale qui donne cet air soucieux, embarrassé, angoissé, dont tu t’es fait une spécialité dans tes apparitions télévisées, et qui interdit de porter des coups de Jarnac comme sauter en cabriolant tel le Mascarille de Molière.

 

Vu ton âge, qui est proche du mien, je suppose que tu as lu les Situations de Sartre. N’as-tu pas gardé le souvenir de la manière dont il traita Jean Kanapa, son ancien élève et familier, quand celui-ci, jeune dirigeant du PC, lui chercha un peu trop vigoureusement des poux sur la tête à propos de l’existentialisme ? Après tout un article argumenté du plus célèbre philosophe vivant, la dernière phrase tomba comme un couperet : «Le seul crétin, c’est Kanapa.»

 

Le trait laissa une marque ineffaçable, véritable stigmate que l’élève rebelle, le marxiste dogmatique, le dirigeant communiste, dut porter sa vie durant, et jusque dans la mort, puisque Libération titra lors de sa disparition en 1978 : «La mort du plus célèbre crétin du monde.» Kanapa a sa notice dans le Maitron, le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. C’était apparemment un homme attachant, fils de banquier, dévoué corps et âme au Parti, amateur d’intrigues politiques de haut niveau. Pas drôle de passer à la postérité marqué au fer par le génie littéraire d’un Sartre.

 

Quant à la polémique communiste des bonnes années, le moins qu’on puisse dire est qu’elle était sans trêve, sans merci et sans scrupule – et les communistes, c’est tout de même la gauche, non ?

 

9

Toi, tu votes Péguy. Là-dessus, tu te retrouves avec Plenel, et je suis de l’autre côté. Pas confiance. Trop de bons sentiments pour moi.

 

Et je finirai en te rendant les armes. Oui, c’est vrai, s’agissant de la technique de la polémique, je préfère L’Action française aux Cahiers de la Quinzaine. Du point de vue littéraire, je donne tout Péguy pour trois pages de Léon Daudet.

 

Tu sais, Lacan avait été de l’Action française dans sa jeunesse, et sa polémique de dix ans avec la psychanalyse américaine en porte la marque. Coups bas, coups de gueule, rages, attaques au vitriol, attaques en dessous de la ceinture, boxe sans les gants, avec les pieds, torsions du nez, petits bâtons dans les oneilles, comme dit le père Ubu, tout y passe. Moi, j’adore.

 

Mais j’aime aussi la cruauté de Mauriac et la méchanceté de Pascal, pas si scrupuleux que cela dans sa polémique avec la Compagnie de Jésus.

 

Et la réponse de Voltaire à Rousseau, «J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre Bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage.» Quelle mauvaise foi ! Et en même temps, que c’est vrai !

A vous, cher Finkielkraut.

JAM

 

Le monologue déjanté par Jacques-Alain Miller

Hier soir, mon Dieu, le tabac que j’ai fait aux Bouffes du Nord ! Le tonnerre, les tonnerres d’applaudissements que je me suis bouffé ! A couper le souffle ! A en perdre le nord !

Je vois Franklin Roosevelt dans sa petite chaise roulante devant le Congrès : «December 7th, a date that will live in infamy.» Ce fut l’entrée en guerre des USA. La WW II commencée pour de vrai. Il s’agit de cela : la revanche des vaincus de 1945.

 

J’ai commencé comme ça : «Moi aussi (pause) moi aussi, comme Christine Angot, je suis natif de Chateauroux.» Il y a aussi Depardieu. On est comme ça, nous autres, Castelroussins : durs à la tâche, proches de la terre, tôt levés, tôt couchés, un coup de gnole, rien à voir avec le microcosme. «Et quand avez-vous quitté Chateauroux ? — J’allais sur mes six mois, m’a-t-on dit.»

 

«Moi aussi, j’ai brûlé les planches. J’ai joué trois rôles, trois, dans ma vie, entre dix et douze ans : le tailleur, dans la scène du tailleur, du Bourgeois gentihomme ; Brutus, dans le Jules César de Shakespeare, traduction de François-Victoe Hugo, scénario revu par moi-même ; et enfin, mon plus beau rôle, mon triomphe, Mascarille, des Précieuses ridicules

 

Je n’ai jamais joué autre chose dans ma vie : tantôt l’un, tantôt l’autre, en fait les trois ensemble dans des combinaisons et des proportions variables.

 

Là, ces jours-ci, je suis le Brutus des nazis, je les poignarde, ils tombent ! Je les fais tourner en bourrique, eux et leurs amis, avec mes cabrioles de Mascarille : «Saute, Marquis». Et, tailleur, je leur taille un costard.

Hourra ! Ils ont adoré, aux Bouffes. Et quand j’ai mimé le fils de déporté hurlant dans N* comme un Alien fou chaque fois que Macron bougeait un cil, j’ai fait crouler la baraque ! Le triomphe !

 

Jouer ! Etre acteur ! Etre applaudi ! Etre follement applaudi ! On se sent porté ! Emporté ! Ravi ! Violé ! Ça vous rentre dans le corps ! Clap-clap-clap !

 

Y a des gars qui pensent que quand ils jouent, ils prennent le public au sens sexuel du terme, telle cette grande asperge de Villepin qui disait : «La France a envie qu’on la prenne, ça la démange dans le bassin», parole crue («crue», le contraire de «cuite») qui est dans son livre, écrite, La tragédie du président.

 

Fillon, lui, n’aimait pas l’idée «que la France est un pays à prendre, comme une femme au fond, et faut vraiment en avoir envie, et faut le montrer tous les jours, et faut avoir ce projet-là depuis sa naissance… Je n’aime pas ça parce que je trouve que ce n’est pas rationnel. Je trouve que la gestion d’un pays, ce n’est pas seulement une question d’émotion et de passion». (L’Express, 12 octobre 2015).

 

Rusé Fillon ! Afin de ne pas confondre la France avec son épouse, et vice-versa, il est allé prendre femme au Pays de Galles[1], et de plus une Pénélope, vouée à attendre un mari jamais là, en vadrouille, en goguette, qui en douce se tape l’ensorcelante Circé.

 

Fillon, c’est Ulysse, mais avec une différence : Ulysse s’en tire toujours, Fillon jamais. C’est le côté shlémil de Fillon. «Encore raté !» Et quel talent dans l’autodestruction ! On n’a pas idée de jouer Razzia sur le flouze à l’Assemblée nationale et au Sénat quand on aspire à la plus haute fonction de l’Etat. Fillon est précisément un aspire-rateur, un aspiraté. Mais paix à ses cendres ! Il a beaucoup souffert, il vote Macron comme un seul homme, I love Fillon, même si je suis le dernier.

 

Copé lui aussi vote Macron, comme Fillon. Les frères ennemis de l’UMP, à la différence d’Étéocle et Polynice, ont survécu à la bataille. Les deux Grecs furent pleurés par leur sœur Antigone ; les Français, eux, pointent tous les deux chez Macron. Macron, l’Antigone des durs à cuire ! Tous les politiques en quête de recyclage affleuent. «Chez Macron, tout est bon !» Voilà un slogan qu’il est gagnant !

 

Cependant, Macron, c’est tout lisse. Pas une boursouflure. Voici bientôt une heure que je l’écoute tout en écrivant ce monologue, sur BFM, cuisiné par Bourdin, et rien, rien à me mettre sous la dent moqueuse. Il est posé, apaisé, disert, mesuré, rationnel bien plus que Fillon, aimable et gracieux mais non pas mièvre, ferme mais non pas brutal (pas comme moi !), Bref, Macron est parfait, c’est son seul défaut.

 

Grave défaut, peut-être dirimant, car toute perfection a comme telle sur le désir un effet d’éteignoir. Le désir tient au manque : si le manque manque, le désir de l’Autre devient insituable, et c’est l’angoisse. D’où l’invention de la mouche.

 

Wikipédia : «Dans le domaine esthétique, une mouche désigne l’imitation d’un nævus situé le plus fréquemment sur un côté supérieur de la bouche ou au niveau du décolleté. Par extension, cette expression désigne également un nævus naturel situé à un endroit similaire, qui est plutôt appelé grain de beauté. Pour le Dictionnaire de l’Académie française, il s’agit plus précisément d’un “petit rond de taffetas ou de velours noir, ou d’un point de crayon spécial, imitant le grain de beauté, que les femmes se mettent parfois sur le visage ou sur le décolleté.

Mode typique de la fin de l’Ancien Régime en Europe. La mouche peut être placée à divers endroits, et ainsi révéler tel ou tel aspect du caractère de sa porteuse. Selon l’endroit du visage où on la plaçait, elle portait un nom différent4 :

– L’assassine ou la passionnée, près de l’œil.
– La baiseuse, au coin de la bouche.
– La discrète, sur le menton.
– L’effrontée ou la gaillarde, sur le nez.
– L’enjouée, sur une ride ou dans le creux du sourire.
– La friponne ou la coquette, sous la lèvre.
– La galante, sur la joue.
– La généreuse, sur la poitrine.
– La majestueuse, sur le front.
– La receleuse ou la voleuse, sur un bouton.»

 

Une jeune femme ne pouvait admettre que je trouve Marion bandante ; «Mais elle louche !» Justement ! C’est un plus. Marion a la beauté du diable, mais ni friponne, ni galante, ni majesteuse. Sa mouche, si elle en avait une, serait celle de la discrète, appliquée sur le menton, et ron, et ron, petit patapon. Marion, c’est la bergère du «Il était».

 

Il était une bergère
Et ron et ron petit patapon
Il était une bergère
Qui gardait ses moutons, ron ron
Qui gardait ses moutons
Elle fit un fromage,
Et ron et ron petit patapon
Elle fit un fromage
Du lait de ses moutons, ron, ron,
Du lait de ses moutons
Le chat qui la regarde,
Et ron et ron petit patapon
Le chat qui la regarde
D’un petit air fripon, ron, ron,
D’un petit air fripon
Si tu y mets la patte
Et ron et ron petit patapon
Si tu y mets la patte
Tu auras du bâton, ron, ron,
Tu auras du bâton
Il n’y mit pas la patte
Et ron et ron petit patapon
Il n’y mit pas la patte
Il y mit le menton, ron, ron
Il y mit le menton
La bergère en colère
Et ron et ron petit patapon
La bergère en colère
Tua le p’tit chaton, ron, ron
Tua le p’tit chaton
Elle fut à confesse
Et ron et ron petit patapon
Elle fut à confesse
Obtenir son pardon, ron, ron
Obtenir son pardon
Mon père je m’accuse
Et ron et ron petit patapon
Mon père je m’accuse
D’avoir tué mon chaton, ron, ron
D’avoir tué mon chaton.
Ma fille pour pénitence
Et ron et ron petit patapon
Ma fille pour pénitence
Nous nous embrasserons, ron ron
Nous nous embrasserons.
La pénitence est douce
Et ron et ron petit patapon
La pénitence est douce
Nous recommencerons, ron ron
Nous recommencerons.

 

Et tout le monde de comprendre que la lubricité du confesseur coquin ne s’arrêtera pas en si bon chemin, qu’il lui mettra la main au panier et au reste. Toujours Thérèse philosophe, peut-être du marquis d’Argens, ouvrage libertin apprécié de Casanova. Car tous les curés ne sont pas pédophiles, contrairement aux allégations répandues par des officines trotskistes sans foi ni loi telles que le cher Mediapart, qui médit à part, et même à tort et à travers. Halte à la calomnie ! Non, tous les curés ne sont pas pédophiles, et certains sont même des fornicateurs hétéro de haut vol.

 

Le temps me manque pour vous raconter par le menu l’histoire exemplaire du père Marcial Maciel Degollado, neveu d’un saint mexicain, santo Rafaël Guizar Valencia, fondateur de la Légion du Christ et du Regnum Christi. On lui doit notamment la création de la première université pontificale consacrée à la bioéthique. Protégé de tous les papes, Marcial mourut à 88 ans, et on apprit peu après qu’il avait mené tout du long une vie sexuelle «sans scrupule» (voilà qui ne va pas plaire à mon cher Finkielkraut, qui ne met rien au-dessus du scrupule).

 

Je supplie que l’on ne donne pas plus d’importance que cela aux manquements du Mexicain. Nonobstant la faute du père Marcial, l’Eglise catholique est le plus précieux cadeau que l’homosexualité masculine ait fait à l’humanité sous la conduite du Saint-Esprit. J’aimerais être l’inventeur de cette vérité, mais je crois l’avoir lue dans un livre du journaliste catholique américain Garry Wills, l’inventeur du célèbre slogan Mater si, magistra no, qui exprime que l’adhésion à la foi et à la tradition de l’Eglise catholique et romaine peut fort bien aller de pair avec un profond scepticisme à l’endroit de l’autorité ecclésiastique.

 

J’en reviens à Marion à qui des butors refusent de toucher la main à l’Assemblée. Ah Marion ! Comme je te toucherai la main, et le reste, avec bonheur. Je ne suis plus une jeunesse — paraît-il, selon l’état-civil, je l’ai entendu dire — mais dans ma tête j’ai toujours dix-sept dix-huit ans ans, Roland Barthes est amoureux de moi, et moi de la belle A* que j’ai connue et séduite après avoir eu un vrai coup de foudre pour sa sœur aînée.

 

Mais revenons… à Macron ? à Marion ? A Marion ! «Mon plaisir», comme disait Macron à la sortie de la Rotonde.

 

Ô Marion, divine bâtarde ! J’aime, j’adore, je vénère les bâtardes, enfants de l’amour, hors la loi de naissance. Ô belle Marion, ta vénusté est encore rehaussée de son contraste avec la hideur hommasse de ta tante, jalouse de toi comme la méchante Reine l’est de Blanche-Neige. Ta méchanceté est craquante d’être nappée d’une exquise politesse. Ta réserve de fille bien élevée, yeux baissés, genoux serrés, bouche fermée, alors que ton corsage peine à contenir tes seins de jeune mère, tout cela fait de toi une si pure, si claire, si évidente invitation à la luxure que tu risquerais d’être interdite de télévision si venait un jour au pouvoir, ce qu’à Dieu ne plaise, Madeleine Soi-disant de Jessey, pur produit comme toi-même de la Fondation Saint-Pie XI.

 

Je songe à cette confidence de Hitchcock, recueillie par Truffaut. Celui-ci dit au Maître : «Vous tenez avant tout, n’est-ce pas, à préserver un certain paradoxe : beaucoup de réserve apparente et beaucoup de tempérament dans l’intimité ?» Et le grand cinéaste catholique d’acquiescer : «Oui, et je crois que les femmes les plus intéressantes sexuellement parlant sont les femmes britanniques. Je crois que les femmes anglaises, les Suédoises, les Allemandes du Nord et les Scandinaves sont plus intéressantes que les Latines, les Italiennes et les Françaises. Le sexe ne doit pas s’afficher. Une fille anglaise, avec son air d’institutrice, est capable de monter dans un taxi avec vous et, à votre grande surprise, de vous arracher votre braguette.»

 

Marion, Danger ! Tu es, Beauté, la blonde la plus dangereuse que la terre ait jamais portée, danger pour la France, danger pour l’Europe, danger pour la paix du monde ! La femme fatale totale, universelle ! Laissant loin derrière : Eve, Dalila, Salomé, Salammbô, Circé, la belle Hélène et Cléopâtre, sans compter Rita Hayworth et Ava Gardner. Et tu dis tes prières tous les jours… Toutes sont fades comparées à toi, ô Vénéneuse, ô Fleur du mal, ô le Bonheur dans le Crime ! (Barbey d’Aurevilly, in Les Diaboliques).

 

Aux Bouffes du Nord, je n’ai pas eu l’impression de baiser le public qui me faisait une ovation. L’impression était contraire : baisé, je suis baisé, on jouit de moi, je suis le jouet d’un désir plus fort, plus armé, comme celui de N* quand elle est sur moi à me faire jouir de ses coups de rein en cascade. Le fourreau baisant l’épée qu’il enveloppe. Plus tu diriges la masse, plus tu joues le chef, et plus tu es pénétré par tous les trous.

 

Ils ont fini par me huer. Le topos en acte : la Roche Tarpéienne après le Capitole. Cela a commencé piano piano quand j’ai commencé à cibler Mélenchon, et quand j’en suis venu au morceau sur l’hitléro-trotskisme, ça a été comme prévu la nouba : ils brûlaient ce qu’ils avaient adoré, à savoir : moi. Incendier le juif Finkielkraut me valut des bravos, bravis, bravas, fustiger Mélenchon et son «Tous se valent !» repris de la bouche de ses maîtres indignes nationaux me valut une raclée morale.

 

Enfin Laure Adler parut dans sa minceur de brindille. Elle me prit doucement le micro des mains, me susurra que j’avais déjà beaucoup parlé — c’était vrai, vingt-et-une minutes ­ que je devais être fatigué, que d’autres attendaient de prendre la parole. L’ai-je embrassée sur la joue en partant ? Je ne sais plus. Je ne crois pas. On a cru que j’étais fâché.

Christine — Christine Angot, ma payse, elle aussi miracle de minceur — m’enveloppa de ses bras, toute frémissante, et me donna des baisers sur les joues.

 

Nous autres, Castelroussins, on se soutient entre nous, savez-vous ? »

 

Commencé le 1er mai au retour des Bouffes du Nord,

achevé le 3 mai 2017 à 17 :30

PS. Rose-Marie m’apporte L’Express. Debray et Finky en couverture. Elle me montre la première phrase de Régis interrogé sur la campagne présidentielle : «Elle m’a donné peu à penser.» Comme c’est amusant ! Moi, c’est le contraire. C’est certainement une coquetterie : Régis pense toujours, comme l’âme chez Descartes. Le vote ?

Finky : «Je serai donc sans doute amené à voter pour Macron, mais je ne m’y résoudrai pas de gaiété de cœur.» Finky, honnêtement, que fais-tu de gaiété de cœur ? La gaiété de cœur est une vertu que tu n’as pas, si intelligent que soit ton cœur.

L’Express : «Et vous, Régis Debray, irez-vous voter ? — Je me le demande quand je regarde la sociologie du vote.»

Leibnitz disait : «Tandis que Dieu calcule et exerce Sa pensée, le monde se fait.» C’est exactement la même chose avec Régis et Finky : le monde se fait pendant qu’ils supputent et se tortillent. La différence, c’est qu’entre le calcul de Dieu et le monde qui se fait, il y a le plus étroit rapport, puisque le calcul divin détermine, si l’on peut dire, le cours du monde, alors qu’entre la pensée trébuchante de nos deux augures et le monde comme il va, de rapport il n’y en a aucun. Ils auraient pu aider à mobiliser contre le FN, ils préfèrent se congratuler dans le meilleur style Asinus asinum fricat. Ce sera le mot de la fin pour aujourd’hui. Droit de réponse assuré à qui le demandera.

 


 

[1] Le Pays de Galles : tant à dire, si peu de temps. Je fais un nœud à mon mouchoir.