Et une polémique ridicule de plus !
Cette fois, il s’agit de la supposée domination masculine lors de l’épreuve de littérature du baccalauréat.
C’est qu’en France on adore ça. Donner son avis sur tout, en particulier si l’on peut le faire en montrant qu’on valorise « la culture ». Remarquez, en l’espèce, cette obsession égalitaire nous vient des Etats-Unis, et plus précisément des programmes de littérature comparée, où c’est, il y a quelques décennies déjà, la sacralité de la littérature qui fut la cible de semblables attaques : le fait l’emportait sur l’essence littéraire, les déterminations politiques, économiques, le genre, la « race » devenaient à vrai dire l’essentiel.
Au point d’oublier que c’est la littérature qui libère, non l’horizon qui l’enchâsse et dont elle est précisément la négation.
Le délire, hélas, se poursuit, pour le plus grand malheur, et de la littérature elle-même, et du féminisme. Pour ne rien dire d’ailleurs, on n’est pas à une aberration près, des philosophes femmes (justement) inconnues, que l’on choisit désormais de faire étudier car il est « awesome » de lire Anne Conway plutôt que ce macho de Spinoza ; qui sait, un jour peut-être, viendront les quotas de mathématiciennes ou de physiciennes : voyez-vous, les mathématiques et les « sciences dures » aussi doivent être libérées du « phallogocentrisme », il n’y a pas de raison…
Il y a quelques jours, un article du Monde s’est fait le relais complaisant d’une pétition lancée « pour donner leur place aux femmes dans les programmes de littérature » ainsi que des propos nauséabonds d’Osez le féminisme : « depuis 2003, les œuvres de trois femmes ont été proposées au bac, pour 77 (sic) auteurs masculins. L’épreuve de littérature pour les élèves de terminale littéraire n’a aucune chance d’améliorer le tableau, mardi 21 juin. Il est en effet prévu qu’elle porte sur les œuvres au programme cette année. Or, sur les vingt-deux œuvres successivement étudiées en vue du bac L depuis 2003, toutes ont été signées par des hommes. » Et Agathe Charnet, l’auteur de l’article, de citer la blague douteuse du « collectif » féministe sur le « #bacdemecs »…
Ah ! Osez le féminisme, vous savez, celles qui traitèrent de racistes quiconque osa dénoncer les violences sexistes de Cologne : féminisme, oui, mais quand ça vous arrange, Mesdames ! C’est qu’il doit être plus facile de s’en prendre à Victor Hugo qu’à un violeur si celui-ci, s’entend, a l’heur d’appartenir à « une autre culture »… Victor Hugo est mort, il ne peut rien répondre, lui.
Osez le féminisme qui encouragea, à raison d’ailleurs, les bourgeoises blanches à « oser le clito », mais que l’on a bizarrement si peu entendu pour dénoncer l’excision qui en prive pourtant pas mal de femmes dans le monde et en France : sans doute que ces malheureuses ont moins d’intérêt aux yeux de Caroline De Haas que les lectrices des Inrockuptibles. Osez le féminisme, que le niqab laisse étrangement de marbre : lui serait-il plus loisible de haïr les matrones à serre-tête abonnées à Madame Figaro que de dire leur fait à ces bigotes sans visage ou, mieux, aux barbus infâmes qui les en privent ?
Osez le féminisme qui s’en prend maintenant à la culture, ou plutôt à l’histoire, à ce passé qu’il est pourtant du rôle de l’école, quoi qu’on en pense, de transmettre. Car je ne nie pas qu’il y ait de grands auteurs femmes, qu’il y en ait aujourd’hui, qu’il y en aura à l’avenir, qu’il y en ait eu dans le passé. Le roman fut d’abord un genre « pour femmes », Madame de Lafayette en témoigne encore. Yourcenar et Woolf n’ont rien à envier à leurs contemporains, le Prix Nobel de Toni Morrison fut autant mérité que celui de Seamus Heaney, de Singer, de Gide ou de Bellow, celui de Nelly Sachs que celui d’Agnon, attribué la même année… Mais il reste que les femmes furent mineures pendant des siècles, que leur influence fut souvent cantonnée, par la malignité des hommes, au foyer ou aux marges, parfois interlopes, de la société et de la culture : le roman, justement, fut un genre méprisé au Grand Siècle, comme l’avaient été les savoirs médicaux de celles qu’on appelait sorcières et qui par leur long effort rendirent pourtant possibles, à en croire Michelet, la Renaissance, l’Humanisme et les Lumières.
Les femmes ne dominaient pas, elles étaient opprimées, c’est un fait, un fait désagréable, hideux même si l’on songe à tout ce qu’endurèrent nos aïeules, aux intelligences sacrifiées sur l’autel de la maternité, à l’horreur des nuits de noces, à la prostitution, aux viols et aux bûchers. L’une des conséquences en est que, sauf à se priver du passé et des hiérarchies qui constituent l’idée même de culture, il est absolument et tristement normal que dans un programme consacré aux auteurs « classiques », elles soient si peu représentées.
Il n’est rien de plus contraire à l’idée de culture que les quotas : la culture, c’est le primat de l’inégalité. Je ne parle évidemment pas de l’inégalité d’aptitudes, d’aspirations et de droits politiques entre les sexes, dogme misogyne qui nous répugne à raison. Je parle de l’inégalité entre individus : un artiste n’en vaut pas un autre, nous sommes tous égaux en tant qu’êtres humains, mais les écrivains sont, eux, profondément inégaux en tant qu’écrivains.
On ne choisit pas de faire étudier un auteur pour honorer sa ville d’origine, mais parce qu’il constitue un jalon dans notre histoire littéraire, philosophique, spirituelle. Que peu de femmes aient eu l’occasion de l’être est une injustice, mais ça n’est pas une raison pour livrer les grands auteurs du passé, pour la plupart masculins, à l’idéal paritaire. Et j’ajoute que si leurs idées nous fâchent, ils n’en sont que plus intéressants : depuis quand se libère-t-on par l’ignorance des entraves ?
Je ne sache pas que Marguerite Yourcenar, lorsqu’elle écrivit ses merveilleux Mémoires d’Hadrien, ait fait le choix de n’étudier que les auteurs femmes qui nous restent de l’Antiquité : elle s’inscrivit au contraire, très consciemment, dans une histoire où l’élément mâle avait dominé, et réussit à dire l’âme de cet empereur mieux qu’aucun homme. Mieux sans doute qu’Hadrien lui-même ne l’eût su faire. En appelant à supprimer, ou même à limiter l’accès à ces savoirs par trop masculins, c’est la liberté de créer, tout contre le passé (« Reading precedes writing », écrivait Leo Strauss, « a man learns to write well by reading well good books »), que l’on veut immoler sur l’autel d’une égalité aseptisée.
Ce sont, en un mot, les Yourcenar de demain que l’on finirait par tuer.
Évidemment.
Le diapason, le son fondamental dont les harmoniques forment la trame de votre discours, de vos textes —harmoniques qui, très rarement ou parfois, d’être trop paires ou impaires, m’indisposent—, ce diapason, donc, permettez-moi de vous dire que je vibre en synthonie.
La femme, toutefois, c’est toujours risqué d’en parler… non pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle n’est pas, chère bêtise des hommes.
Je termine par un bref commentaire sur votre contribution sur le « Fascisme juif ? » : M. Poutine n’est certainement pas un agent du désordre dans le monde, que l’on confond avec la myopie occidentale et atlantiste entourant son action : ce qu’on reproche à Poutine —bien sûr, personne ne dira cela, si ce n’est incidemment—, c’est qu’il n’aime pas les Femen et leur outrage. Femen en tant que —le mot est là pour le dire— ce ne sont justement plus tout à fait des femmes. Poutine est une de ces harmoniques dont il vous arrive de ne pas bien percevoir la parité…
Amicalement,
S. Quesada
L’Education nationale est d’un archaïsme révoltant, rien de neuf là dedans…
Anatole France est l’un de nos plus grands écrivains, c’est la seule chose à retenir et la véritable explication de son choix pour l’épreuve du bac !
Peut-être que le véritable problème des programmes de lettres n’est pas la domination masculine, mais la fracture entre littérature « classique » et contemporaine… L’éducation nationale restant dans l’enseignement des grands classiques, effrayée par la modernité, il y a forcément une plus grande proportion d’auteurs masculins. Dans les deux cas c’est malheureux…
Certains élèves ont pris Anatole France (auteur du texte à étudier pendant l’épreuve)… pour une femme ! Voilà de quoi rétablir l’équité d’une certaine manière…!
Comme vous dites… Une polémique ridicule de plus….
nous n’en sommes plus à une près …
Eh bien… En fait, Annie Leclerc est une auteure-philosophe féministe, mais… Pourquoi toujours l’occulter au profit de Simone de Beauvoir?
Et puis, à sa façon, l’héroïne de « La joie de vivre » (Zola) est résolument féministe dans son action et sa façon de faire. Pourquoi faudrait-il que les femmes soient forcément décrites par des femmes dans ce qu’elles ont de fort?