La controverse a débuté dès qu’a été connue l’identité de l’auteur de la tuerie dans la boîte gay d’Orlando : Omar Mateen a-t-il commis un acte homophobe ou a-t-il agi en tant qu’islamiste radical ? Etrange débat en vérité. En quoi la haine féroce des homosexuels qu’exprime le massacre dont il est l’auteur serait-elle d’un ordre différent de l’engagement djihadiste qu’il a exprimé en prêtant allégeance à l’organisation Etat islamique au moment de déclencher son carnage ? Est-ce parce que cet Américain de 29 ans d’origine afghane, connu pour ses réactions violentes, ne supportait pas les homos qu’il s’était intéressé de près, en 2013 et 2014, au terrorisme islamiste (de suffisamment près pour attirer l’attention du FBI), ou est-ce l’inverse ? Il est d’autant plus difficile de déterminer la cause et l’effet que fondamentalisme musulman et homophobie vont de pair. Tout comme ce même fondamentalisme musulman va de pair avec l’antisémitisme et la misogynie.
L’homophobie est une constante au sein de la mouvance islamiste, quel que soit son degré de radicalité. On sait que Daech tue systématiquement les «sodomites» qui, en Syrie ou en Irak, lui tombent entre les mains ; ils sont généralement précipités du haut d’un toit devant une foule rassemblée au pied de l’immeuble. Au Bangladesh, deux militants des droits des homosexuels étaient tués à la machette par des islamistes en avril dernier, ces assassinats étant revendiqués par Al Qaëda. Au «Husseini Islamic Center» d’Orlando même, un prêcheur expliquait tout récemment qu’il n’y avait qu’un seul verdict pour les gays : la mort (voir ici la vidéo). Que ce soit en Egypte ou au Maroc, les homosexuels sont persécutés et emprisonnés en vertu des lois islamiques. Plus proche de nous, malheureusement, Tariq Ramadan, en qui les gogos voient un «musulman réformateur», appelle les parents de familles musulmanes à éduquer leurs enfants pour résister à la «volonté de normaliser l’homosexualité» qu’il voit à l’œuvre «dans tout l’Occident» (voir ici la vidéo). Et comment ignorer le discours homophobe tenu par la porte-parole du groupuscule islamo-gauchiste dit Parti des Indigènes de la République ?
Les spécialistes du noyage de poisson vont certainement rétorquer que toutes les religions monothéistes sont homophobes. Certes. On peut en effet penser que certains fondamentalistes chrétiens américains rêvent à l’occasion de tuer des LGBT. Tout comme il y a parmi les ultra-orthodoxes juifs des attitudes de haine à l’égard des homosexuels pouvant conduire à des déclarations ignobles comme celle, il y a peu, de l’ancien grand rabbin de France Joseph Sitruk, voire à l’assassinat, par un fanatique déjà condamné à 10 ans de prison pour des faits similaires, de Shira, 16 ans, qui défilait lors de la Gay Pride de Jérusalem en août 2015. De même, lors des Manifs pour tous, certains groupes de catholiques traditionalistes laissaient suinter leur détestation brutale de l’homosexualité. Mais il faut être d’une surdité volontaire pour ne pas entendre les réactions fermes contre cette homophobie, les réponses claires et nettes émanant aussi bien des milieux chrétiens et juifs que des autorités gouvernementales – que ce soit en Europe occidentale, aux USA ou en Israël. Là où, justement, au terme de longues années de combat contre les discriminations homophobes, peuvent désormais se tenir paisiblement des Gay Prides.
En terre musulmane, le combat pour la reconnaissance des droits des homosexuels n’en est qu’à son tout début – et encore pas partout. L’islam radical s’y oppose férocement à coups d’assassinats, encouragé par la passivité des autorités locales, avec, trop souvent hélas, l’approbation de larges franges de la population. L’islamisme porte l’homophobie comme la nuée porte l’orage. S’il faut toutefois reconnaître une autre tradition religieuse qui fait de plus en plus concurrence à l’islam radical en matière de haine des LGBT, c’est dans le monde poutinien qu’on la trouve : le patriarcat orthodoxe de Moscou cultive allègrement l’homophobie au nom des valeurs très chrétiennes de la Russie éternelle. Entre les «valeurs islamiques» et les «valeurs chrétiennes russes», le fossé n’est finalement pas si profond. Il faudra bien finir par y réfléchir un peu plus.
Dans l’interstice des civilisations où la Libération avait plongé Paris, l’épouse infidèle de Robert Antelme passa à la question un gestapiste capable, entre autres informations capitales, de l’aider — paradoxe de l’écrivain — à localiser son époux. Alors que ses frères d’armes s’interrogeaient sur le caractère légal de leur interrogatoire musclé, Duras leur répondit : «À cet instant précis, la justice c’est nous.» Il faut appréhender l’ennemi à l’aune de ces heures décisives. Sachant que le mal, à l’inverse du bien, se décharge sur son adversaire de ses propres attributs. Le petit soldat du califat mondial prend ses ordres de ce (qu’i)l appelle : Allah. Poireauter jusqu’à temps que son acte ait été revendiqué par l’un de ses coréplicants, conformément aux règles mouvantes d’une organisation chaotique, fait preuve d’une méconnaissance extrême de l’ordre du Désordre. L’éthique de Badinter doit absolument être préservée, mais elle n’a aucune chance de l’être avant qu’elle n’ait pris la peine de s’ajuster aux nouveaux paramètres. Si un criminel en puissance n’est pas un criminel, une bombe à retardement n’en est pas moins une bombe.
Ne serait-il pas plus sage d’attendre que l’enquête se poursuive ne serait-ce qu’un peu avant de sauter à pieds joints dans les pré-jugés?