À quelle occasion avez-vous rencontré le pape François?
Bernard-Henri Lévy : Écoutez. Le monde ne se limite heureusement pas à nos élections régionales. Il y a d’autres problèmes, d’autres enjeux, que la question de savoir si la famille Le Pen fera main basse, ou non, sur quelques-unes de nos régions. Et j’étais au Vatican pour préparer un grand rassemblement qui aura lieu le 16 décembre prochain, au siège des Nations unies à New York, pour le 50e anniversaire de l’encyclique Nostra Aetate qui a marqué, comme vous savez, la fin de la haine chrétienne du judaïsme.
Pourquoi le Vatican?
Parce qu’il est, avec le Mémorial de Yad Vachem et avec les grandes organisations juives américaines, l’un des organisateurs de cet événement de New York. J’en serai l’un des rapporteurs. Et j’étais donc là, avec le Grand Rabbin anglais David Rosen et l’Américain Michael Landau, pour une sorte de réunion de travail censée fixer la méthode et les buts de cet important rassemblement. Donc une longue réunion avec Pietro Parolin, le cardinal qui est aussi le secrétaire d’État du Vatican, autrement dit son numéro deux. Et, avant cela, pour fixer le cap et, aussi, pour lui présenter une planche de timbres-poste édités, pour l’occasion, par le Vatican et Yad Vachem, une très émouvante audience par le pape lui-même.
Vous figurez sur un ce ces timbres…
Oui. Il y en a douze. Ils sont censés fixer, je crois, des moments de la longue mais sûre réconciliation judéo-chrétienne. Et, sur un de ces douze timbres, il y a une image que je connaissais et où on me voit, il y a vingt ans, avec le pape Jean-Paul II à qui j’avais amené le président de la Bosnie, Alija Izetbegovic.
Quelle impression vous a fait le pape François?
Cela surprendra peut-être de la part de quelqu’un d’aussi peu religieux que moi et, surtout, d’aussi profondément juif. Mais l’impression dominante est celle d’une grande sainteté. L’homme est ancré dans le siècle. Informé de l’actualité la plus brûlante. Attentif, y compris, aux derniers soubresauts de la scène politique française. Il est, comme l’était d’ailleurs Jean-Paul II, puissamment incarné. Mais ce qui domine, c’est, dans ce grand et robuste corps, derrière ses grands sourires et ses rires tonitruants, l’impression de n’être pas tout à fait d’ici et d’être, en tout cas, plus grand, bien plus grand, que cet être de chair que le visiteur a sous les yeux et côtoie.
De quoi avez-vous parlé ?
C’était bref. Mais, avec lui, je crois qu’aucun sujet n’est tabou, y compris Daech ou tels politiciens se réclamant abusivement des valeurs chrétiennes. Je l’ai interrogé, aussi, sur une drôle de phrase qu’il a eue, dans une interview récente en Espagne, où il dit que, quand il prie et récite un psaume, il le fait pour partie « en juif ». Mais l’impression dominante, je vous le répète, était celle d’un être pas tout à fait là, pas complètement de ce monde, une part de lui du côté des anges.
En ces temps « religieusement troublés », quels objectifs peuvent unir juifs et chrétiens?
La lutte commune contre ce que Sigmund Freud appelait « la marée noire de l’occultisme ». En clair, les djihadistes d’un côté. Et, de l’autre, leurs quasi-jumeaux des partis populistes, voire fascistes, européens. Dans ces deux combats, et dans d’autres, juifs et catholiques sont, plus que jamais, au coude-à-coude. Du reste, je vais vous faire un aveu. Vous aviez là trois juifs. Et même, dans le cas des amis qui m’accompagnaient, des juifs orthodoxes. Or nous avons passé la journée à nous balader dans les caves du Vatican, ses chapelles, ses « escaliers de la mort, ses lieux de pouvoir divers et variés. Nous allions du bureau de tel cardinal à la grande salle de réception où nous en rencontrions un autre. Or nous n’avons, ni Rosen, ni Landau, ni moi, jamais eu le sentiment de nous trouver – comment dire ? – en terrain étranger…
Le dialogue inter-religieux est-il encore utile à l’heure du matérialisme triomphant?
Oui. Et je vais, d’ailleurs, vous en donner immédiatement un exemple très concret. Les chrétiens d’Orient. Et, en particulier, ce monastère de Mar Matta, quasiment sur la ligne de front avec Daech, auquel j’ai consacré un « Bloc-notes » il y a quelques semaines. Eh bien j’ai donné au pape, traduit en espagnol, une copie de ce « Bloc-notes ». Plus des photos, bouleversantes, que j’ai prises de ses quatre derniers moines qui ont refusé de fuir et qui seront peut-être un jour, ce qu’à Dieu ne plaise, de futurs moines de Tibhirine. Eh bien je ne peux pas vous en dire plus pour le moment, mais si ces quatre moines sont sauvés et, avec eux, ce monastère qui date des premiers siècles de la chrétienté, peut-être le devra-t-on à ce dialogue judéo-catholique…
Un entretien paru sur le site du Point.